Contre la guerre et le militarisme, pour le bonheur commun

Ce texte est la transcription de l’intervention de Stathis Kouvélakis à la table ronde « Bloquons tout, à commencer par l’économie de guerre » qui s’est tenue le 20 septembre 2025 à la Dynamo de Pantin dans le cadre de la soirée en soutien à la Palestine coorganisée par le collectif « Faire bloc, faire peuple » et Jazz for Palestine.

 

ll y a une chose qui est claire : ils veulent la guerre.

La nomination de Lecornu incarne à elle seule cette volonté. Il y a deux choses qui distinguent Lecornu des autres politiciens de la macronie. La première, c’est qu’il est le seul ministre à avoir fait partie de tous les gouvernements depuis le premier mandat de Macron. La deuxième, c’est qu’il n’a pas hésité à afficher un désaccord public avec le ministre sortant de l’économie, Éric Lombard. Pour Lombard, conformément au budget présenté et aux dispositions de la loi de la programmation militaire (LPM), il s’agit d’atteindre un budget militaire de 70 milliards à l’horizon 2030. Pour Sébastien Lecornu, ce n’est pas suffisant. Lui, il propose un budget pour la défense « de poids de forme de 100 milliards » !

En réalité, l’augmentation vertigineuse des budgets militaires a commencé depuis longtemps. Au début du premier mandat de Macron, on était à 32 milliards. Dans le budget présenté par Bayrou, on atteint 50 milliards. L’horizon 2030, c’est 70 milliards, je viens de le dire. Et la loi de la programmation militaire sur les 6 ans 2024 à 2030, c’est 413 milliards. Mettez ces chiffres en comparaison avec les coupes qui sont prévues dans les budgets sociaux. Mais le problème n’est pas que français et cette volonté n’est pas simplement une volonté française.

Le premier boost décisif est venu de l’Union européenne avec le programme de 800 milliards nommé ReArm Europe. On nous disait, et c’est comme cela qu’on nous a vendu le projet européen, que l’Europe, l’ « intégration européenne », c’est la paix. Eh bien maintenant, on le sait, l’Europe c’est le militarisme et le bellicisme.

Le deuxième boost vient de l’OTAN. Voici ce que déclarait en janvier dernier son secrétaire général Mark Rutte : « En moyenne, les pays européens dépensent facilement jusqu’à un quart de leur revenu national pour les retraites, la santé et les systèmes de sécurité sociale, et nous n’avons besoin que d’une petite fraction de cet argent pour renforcer la défense ».

N’oubliant pas que l’OTAN est une alliance au service des Etats-Unis, le même Mark Rutte ajoutait aussitôt :

« L’implication des alliés non européens dans les efforts de l’UE en matière d’industrie de la défense est vitale … à l’heure où la Russie, la Chine, la Corée du Nord et l’Iran augmentent leur coopération industrielle en matière de défense à des niveaux sans précédent, ériger de nouvelles barrières entre les alliés au sein de l’OTAN serait un acte d’autodestruction ».

Les importations d’armes en provenance des États-Unis des Européens ont ainsi augmenté de 155 % au cours des 5 dernières années par rapport à la période précédente. Les Etats-Unis, qui vendent dans 107 pays, pèsent 43 % du total mondial des exportations d’armes, contre 35 % il y a dix ans. Plus que jamais, l’avancée du projet européen, au lieu d’aller dans le sens de la soi-disant « autonomie de l’Europe » a signifié sa soumission croissante aux États-Unis.

Bien sûr, l’impérialisme est un système mondial, un système mondial hiérarchisé. Mais il y a un super-impérialisme qui domine tous les autres, c’est l’impérialisme états-unien. Lui seul combine en effet le complexe Pentagone + dollar + Wall Street + Silicon Valley. Mais cela ne doit pas nous faire oublier qu’ici en France, nous vivons dans pays qui est un impérialisme secondaire. Certes, c’est un impérialisme déclinant mais il est pleinement intégré dans ce système mondial d’exploitation et de pillage. La Françafrique est un exemple caricatural de régime néocolonial auquel aucun gouvernement n’a touché jusqu’à présent. Un régime qui n’a d’équivalent dans aucune autre ancienne puissance coloniale.

Mais le rôle impérialiste de la France ne se limite pas à son pré carré africain. La France intervient à la fois économiquement et militairement en dehors de celui-ci. On peut mentionner, par exemple, le rôle que joue une entreprise comme Total dans des pays comme le Mozambique ou la Birmanie, ou les interventions militaires françaises en Libye, en Afghanistan et en Yougoslavie, dans ce dernier cas dans le cadre d’une opération de l’OTAN.

Mais la France a une spécificité. On peut discuter sur le fait de savoir si c’est déjà une économie de guerre et de la façon dont on définit l’économie de guerre. Ce qui est sûr, c’est que l’économie française est dopée à son industrie d’armement et que le complexe militaro-industriel français est une part essentielle de ce qui reste d’un tissu industriel extrêmement affaibli. Je ne citerai qu’une seule donnée. La France est le deuxième exportateur au niveau mondial d’armement, soit 10,9 % du total des exportations d’armes. Cela veut dire que plus d’une arme sur dix exportée au niveau mondial est une arme française. Dans ce sinistre palmarès, la France occupe désormais le deuxième rang, après le déclin relatif de la Russie depuis le début de la guerre en Ukraine.

Ce dopage à l’exportation d’armes dicte largement la politique étrangère du pays. Car les ventes d’armes, on le sait, dépendent de contrat d’État à État. Des contrats qui impliquent, ce sont des secrets de polichinelle, un niveau de corruption absolument extraordinaire et des rapports étroits avec des régimes dictatoriaux ou autoritaires comme l’Égypte, le Qatar par exemple ou l’Arabie Saoudite. Mais ce n’est guère différent avec des pays démocratiques qui se trouvent littéralement avec le couteau sous la gorge. Car pour eux, la course au surarmement signifie un saccage social sans précédent. Je viens de Grèce, un pays qui a depuis de longues années déjà réalisé l’exploit de consacrer plus de 3 % de son PIB à des dépenses militaires, donc à atteindre l’objectif adopté par la France et les autres pays de l’OTAN. La Grèce, ce petit pays de 10 millions d’habitants, est ainsi devenue, retenez-vous bien, le troisième client en matière d’exportation d’armes de la France ! Quelle performance pour un peuple et pour un pays qui sont saignés littéralement par la thérapie néolibérale de choc qui lui a été infligée depuis une quinzaine d’années et qui ne s’est pas arrêtée depuis !

L’impérialisme français est donc pleinement inséré dans ce système de domination et d’exploitation. Pour reprendre le titre d’un livre de Thomas Deltombe et d’autres, c’est « un empire qui ne veut pas mourir ». Il n’y a pas une année sans une intervention militaire française à l’étranger, et ce depuis des décennies. J’ai consulté la page Wikipédia consacrée à ce sujet, qui compile une série de documents officiels. On ne compte pas moins de 189 interventions militaires françaises, ou avec participation française, à l’étranger depuis le début de la Ve République, c’est-à-dire une moyenne de 3 par an. Rappelons ici que la dite Ve République est elle-même issue d’un coup d’état militaire et que ceci n’est pas sans rapport avec cela.

Le militarisme conduit à une économie qui se fait au détriment des besoins sociaux et s’insère à ce régime de domination et de pillage à l’extérieur. Mais il signifie aussi un autoritarisme croissant à l’intérieur. Car l’impérialisme implique d’habituer les populations à accepter la guerre, donc à désigner des ennemis. Aujourd’hui, l’ennemi au nom duquel s’opère ce réarmement, c’est la Russie. Ceux qui sont assez âgés se souviennent des propos d’un Michel Poniatowski [ministre sous la présidence de Giscard] qui parlait de la menace des chars russes défilant sur les Champs-Élysées. Mais pas grand monde ne prenait à l’époque au sérieux Poniatowski. C’était la guerre froide, on savait que c’était le genre d’hyperboles qui avaient cours dans le cadre de l’anticommunisme. Aujourd’hui, on ressort le plus sérieusement du monde les vieux stéréotypes qui identifient la Russie à des barbares asiatiques contre lesquels l’Occident doit se défendre.

Mais l’ennemi extérieur, il faut également un ennemi intérieur. Le soutien inflexible à Israël de la France et de la quasi-totalité des Etats européens fait corps avec la politique islamophobe et raciste poursuivie par tous ces gouvernements. Le consensus sur le militarisme et l’escalade guerrière est un élément décisif pour neutraliser la crise sociale, pour diviser le peuple, pour étouffer les luttes, pour réprimer et pour marginaliser les opposants.

Dans cette situation, disons-le sans hésiter, il faut revenir aux fondamentaux du mouvement ouvrier et de la gauche révolutionnaire. Il faut revenir à Rosa Luxembourg et à son mot d’ordre de « guerre à la guerre ». Il faut revenir au mot d’ordre du mouvement ouvrier allemand et de l’Internationale socialiste du début du 20e siècle « Pas une vie, pas un centime pour la guerre ».

Il faut se rappeler aussi de ces paroles immortelles de Jean Jaurès, quand, s’adressant aux représentants de la bourgeoisie, il déclarait : « Toujours votre société violente et chaotique, même quand elle veut la paix, même quand elle est à l’état d’apparent repos, porte en elle la guerre, comme la nuée dormante porte l’orage. Il n’y a qu’un moyen d’abolir enfin la guerre entre les peuples, c’est d’abolir la guerre entre les individus, c’est d’abolir la guerre économique, le désordre de la société présente, c’est de substituer à la lutte universelle pour la vie, qui aboutit à la lutte universelle sur les champs de bataille, un régime de concorde sociale et d’unité. Et voilà pourquoi, si vous regardez, non pas aux intentions, qui sont toujours vaines, mais à l’efficacité des principes et à la réalité des conséquences, logiquement, profondément, le parti socialiste est dans le monde aujourd’hui le seul parti de la paix ».

Aujourd’hui, le défi pour la gauche de rupture, c’est de se montrer à la hauteur de ces paroles de Jaurès. Les initiatives dont il a été question depuis cette tribune vont dans ce sens. C’est en particulier le meeting international contre la guerre du 5 octobre qu’organisent les camarades du POI et auquel le collectif « Faire bloc, faire peuple » se joint pleinement.

Notre défi c’est donc de s’affirmer comme « le parti de la paix », comme la force qui lutte sans relâche et sans compromission contre l’impérialisme et le militarisme à commencer par le nôtre, celui de notre propre pays.

Nous sommes le parti de la paix car nous sommes le parti de l’antiracisme, de la lutte pour la liberté et pour la démocratie.

Le parti de la paix, car nous sommes le parti de la solidarité avec tous les peuples opprimés, en premier lieu avec le peuple palestinien, aujourd’hui exterminé sous les yeux activement complices de l’impérialisme occidental et de tous les régimes réactionnaires de la planète.

Nous sommes le parti du combat pour la paix car nous sommes le parti du combat pour l’émancipation humaine et pour le bonheur commun.

 

Stathis Kouvélakis, philosophie, membre de la rédaction de Contretemps et membre du collectif  « Faire bloc, faire peuple ».

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