Ce texte tente d’appréhender, à travers ses échanges avec Gershom Scholem et les prémices de sa conversion marxiste de 1924 (à laquelle une certaine bolchévique lettone ne sera pas étrangère), un devenir antisioniste du jeune Walter Benjamin. Si son projet d’une installation en Palestine fut bien réel, non seulement rien ne permet de parier sur une potentielle adhésion de ce dernier au sionisme, mais nous verrons, au regard de ses exigences à la fois méthodologiques et éthiques, qu’il ne pouvait que nourrir un scepticisme grandissant à l’égard du nationalisme juif, quand bien même celui-ci aurait intégré des éléments dits utopiques1.
En 1915, lorsque Scholem et Benjamin se rencontrent2, ce dernier a déjà rompu avec le Mouvement de jeunesse, coupable, à ses yeux, d’avoir vendu ses idéaux au nationalisme allemand en justifiant et encourageant la Grande Guerre. Quant à Scholem, il est engagé depuis peu sur la voie de ce qu’il nomme lui-même « sionisme radical » afin d’affirmer une démarcation, non seulement vis-à-vis du bellicisme de nombreux sionistes, mais également vis-à-vis de l’intégrationnisme auquel ont succombé de nombreux juifs de la petite et grande bourgeoisie allemande.
Si le désengagement de Benjamin semble le livrer à une ambition relativement ordinaire parmi les enfants de la bourgeoisie juive intégrée, celle de faire œuvre de pensée et d’écriture, l’intérêt de Scholem pour l’étude talmudique et son apprentissage de l’hébreu revêtiraient, selon ses propres mots, un caractère plus « exceptionnel3 ». Notons que ce dernier se dit également proche du « socialisme » de son temps. Ce qui pourrait laisser supposer que Scholem réalise en les synthétisant les deux voies de rupture de la petite et grande bourgeoisie juive assimilée.
En vérité, s’il fréquente et lit de nombreux sociaux-démocrates ou communistes, ses affinités théoriques et politiques le rapprochent surtout de penseurs et de militants anarchistes. Dans la catégorie de « socialisme », il faut entendre dans la bouche ou sous la plume de Scholem tout ce qui s’apparente à une critique de la bourgeoisie occidentale et de la modernité capitaliste. Mais c’est l’expression d’anarcho-nihiliste qui définit sans doute le mieux sa pensée et son engagement politique — une expression qui caractérise également le positionnement idéologique de Benjamin, même tardif, lorsque celui-ci maintient sa loyauté à un certain esprit de leur jeunesse.
Il faut donc commencer par insister sur le fait que le jeune Scholem n’était pas réellement socialiste, et, s’il a pu rejoindre des sociaux-démocrates (sa minorité non belliciste) et des communistes sur des positions anti-guerre, que c’est bien depuis l’anarchie et la critique radicale de l’État qu’il pense et agit. Soulignons également son refus, contrairement à Benjamin4, d’identifier dans l’histoire un « élément objectif connaissable5 » — désamorçant ainsi toute possibilité de se rallier à une conception matérialiste de l’histoire.
On pourrait alors penser, en raison précisément de cette inspiration anarchiste, que son sionisme singulier ne saurait déboucher sur la volonté d’établissement d’un « État juif » en Palestine. Nous verrons qu’il n’en est rien. S’il est vrai, comme de nombreux « socialistes » juifs d’inspiration libertaire, qu’il s’intéresse surtout à une forme de sionisme dite utopique, celle-ci partage bien, avec des formes de saint-simonisme du siècle précédent, la tragique négation de la réalité autochtone et un déni du fait colonial.
Mais il serait paresseux de ranger unilatéralement Scholem dans le courant du sionisme utopique. À vrai dire — et quand il évoque l’« exceptionnalité » de son sionisme il s’agit surtout de cela —, celui-ci conçoit son engagement comme essentiellement religieux et apolitique, ayant pour finalité ultime de se rendre à Jérusalem afin d’y étudier le judaïsme au sein d’une université juive qui, en 1915, n’est encore qu’un projet (la première pierre en sera posée en 1918 et son inauguration n’interviendra qu’en 1925). Mais peut-on dissocier à ce point le sionisme strictement religieux et anarchique de Scholem d’un sionisme plus directement politique ? Mieux : peut-on admettre la légitimité d’un sionisme aux prétentions non hégémoniques dans le cadre d’un mouvement sioniste plus général ayant une ambition explicitement coloniale ?
Par ailleurs, Scholem, en faisant régulièrement allusion aux milieux sionistes, comme si ces derniers étaient particulièrement étendus au sein de la communauté juive allemande, nous semble commettre une falsification de la réalité juive de son temps. En effet, tous les spécialistes de la question estiment que le sionisme, dont l’origine est chrétienne et anglo-saxonne, fut très majoritairement rejeté par les Juifs allemands, comme il le fut par les Juifs anglais ou français, et ce en raison du fait que les Juifs luttant pour leur droit en Europe ne nourrissaient généralement aucune aspiration à s’installer sur une terre qui n’était pas la leur.
Pour revenir à Benjamin, avec lequel il discutera souvent, bien que de façon assez vague, du sionisme, Scholem ne cesse de lui prêter des convictions sionistes à l’endroit de simples curiosités ou d’intérêts sincères pour le judaïsme. Ainsi, dès 1913, lors d’un rassemblement regroupant des membres du Mouvement de jeunesse dont Benjamin est un des principaux représentants et de jeunes sionistes du groupe « Jung-Juda » auquel il appartient lui-même : « … le débat devait porter sur notre attitude vis-à-vis de l’héritage à la fois juif et allemand. Chacune des deux parties était représentée par deux ou trois orateurs. Du côté des disciples de Wyneken, l’orateur principal était Walter Benjamin, dont on disait qu’il était le plus doué d’entre eux sur le plan intellectuel. Il fit un exposé assez tortueux, ne rejetant pas le sionisme a priori, mais l’évacuant en quelque sorte ; à vrai dire, j’ai oublié la teneur précise et les détails de son discours6. »
Il est regrettable que sa mémoire fasse ici défaut. Scholem revendique dans son « Avant-propos » l’honnêteté et même la relative objectivité de son témoignage. Précisons quand même qu’en 1975, lorsqu’il publie ce témoignage de son amitié avec Benjamin, cela fait maintenant de nombreuses décennies, non seulement qu’il est engagé en tant que sioniste, mais qu’il est installé en Palestine sous occupation coloniale israélienne. Et si ce dernier n’approuve pas la droite nationaliste qui s’apprête à prendre le pouvoir, il adhère désormais pleinement à l’établissement de fait d’un « État juif » en Palestine.
Pour revenir à l’époque de leur rencontre, et c’est le principal motif de sa rupture avec Wyneken et le Mouvement de jeunesse, Benjamin ne cesse de marteler sa répulsion à l’égard de toute forme de nationalisme. Il est donc peu probable, sachant que le sionisme repose, y compris sous sa forme intellectuelle et sophistiquée, sur un nationalisme juif, qu’il puisse constituer à ses yeux un antidote au nationalisme allemand. Quant à savoir ce que fut chez lui la part de curiosité intellectuelle ou de rejet politique, l’acrobatie rhétorique de Scholem à ce propos nous semble avoir valeur, non de confusion fugace, mais, au mieux, d’aveugle obstination, au pire, de manipulation délibérée.
Ainsi, lorsque Benjamin manifeste un intérêt pour le texte d’un ouvrier agricole pionnier du mouvement des kibboutsim7 (en été 1916) tout en rejetant dans le mouvement sioniste son « idéologie raciale » en même temps que sa « manie agricole » et son culte du « vécu juif8 » (quelques semaines ou mois plus tard), Scholem, bout à bout, relativise la critique de Benjamin et transforme son intérêt bien réel pour le texte d’un sioniste utopiste en potentielle adhésion au sionisme en soi. Pourtant, entre la manifestation d’un intérêt pour le texte de A. D. Gordon et ce rejet du caractère racial du sionisme, n’y aurait-il pas, plutôt que les prémisses d’une adhésion au sionisme en soi, ainsi que le laisse supposer Scholem, la courte maturation d’une critique implacable du sionisme en général ?
Les suppositions de Scholem sont d’autant plus saugrenues que celui-ci n’hésite pas à désigner Benjamin comme « non-sioniste9 » ni à évoquer le milieu sioniste au sein duquel Dora Pollack, l’amante et future épouse de Benjamin, a grandi (son père étant, comme il le relève d’ailleurs, un ami très proche de Théodore Herzl dont il sera même l’exécuteur testamentaire) et avec lequel elle a explicitement rompu10. La critique de Benjamin, soulignons-le, intervient tandis que Scholem vient de faire part de son souhait de s’installer en Palestine (rappelons que nous sommes en 1916, l’année des fameux accords Sykes-Picot).
Tout ce que Scholem trouve à répondre à cette critique d’une « manie agricole » au sein du sionisme (essentiellement sa frange utopique) est qu’il devrait être tout à fait possible de ne pas s’y établir comme paysan, mais comme instituteur. Passons pour le « vécu juif », qui est essentiellement une critique à l’adresse de Martin Buber, mais insistons ici sur la dénégation du fait racial : Scholem mentionne cet aspect de la critique de Benjamin, mais refuse d’y répondre, même a posteriori. Ce n’est pas seulement un oubli ou une négligence, mais un choix qui revêt, au moment de la rédaction de l’ouvrage (le début des années 1970), un caractère hautement politique.
Avant de revenir sur ce qui est souvent présenté comme une longue hésitation de Benjamin entre l’engagement communiste et l’adhésion au sionisme, et qui se cristalliserait autour d’un projet de départ en Palestine, arrêtons-nous un peu sur deux aspects théoriques fondamentaux de sa méthode en devenir, et que Scholem soit ne comprend pas soit feint d’ignorer. Ces deux aspects trouveront dans un texte futur, « Critique de la violence » (1921), une première formulation et une rigoureuse articulation.
Le premier est une conception d’inspiration judaïque de la justice ; l’une de ses sources, si l’on en croit Scholem, pouvant être identifiée chez Ahad Haam11 et sa conception de la justice dans le judaïsme en tant que « volonté de faire du monde le bien suprême ». C’est au cours de la même discussion, qui verra Benjamin formuler ses premières critiques à l’égard du sionisme, que Scholem lui parle de Haam et que son ami semble alors, écrit-il, « [manifester] beaucoup de compréhension12 ». Il est évident que cette conception de la justice, telle qu’il la comprend alors, s’affranchit de toute dimension ethno-nationaliste et que son enthousiasme, s’il atteste bien d’un attrait pour une conception de la justice héritée du judaïsme, ne saurait avoir valeur d’adhésion au sionisme. Précisément : une telle conception de la justice, du point de vue de Benjamin, est appelée à s’étendre au-delà du monde juif. Allons même plus loin : c’est une telle conception de la justice qui aimante chez lui cet attrait pour le judaïsme et nourrit conjointement son scepticisme à l’égard du sionisme.
Second aspect théorique, qui s’articule donc au premier : la critique du mythe. Ici, Scholem commet, dans le meilleur des cas, un grave contresens en postulant que le mythe serait, pour Benjamin, l’objet d’une « pénétration philosophique13 » qu’il appellerait de ses vœux. C’est ne pas comprendre que, dès son texte de jeunesse sur Hölderlin, Benjamin salue la liquidation dans le poème de l’élément mythologique14. Ou encore, lorsqu’il dit de Socrate qu’il est « l’argument et le rempart de Platon contre le mythe15 », qu’il signifie que Socrate a précisément la fonction d’arracher l’œuvre platonicienne à ses sources et tendances mythologisantes16. De façon générale, la représentation mythologique du monde — que se disputent également les philosophes bourgeois ne faisant qu’interpréter le monde — est au service d’un ordre que Benjamin appelle à briser. C’est en tout cas le sens de sa « Critique de la violence » : seule la justice échappe au mythe, en arrache les tentacules étatiques et juridiques, ces formes sociales fondées sur la violence originaire que le mythe, non seulement justifie, mais appelle à se déployer afin de préserver un ordre qu’il institue.
Ainsi, quand Benjamin déclare que « le jour où [il aura sa] philosophie, ce sera d’une certaine façon une philosophie du judaïsme17 », il faut entendre l’importance que revêt à ses yeux une conception de la justice en tant que potentialité insurgée contre l’ordre établi, une conception qui appelle, d’une façon sans doute anarchique, à la destruction de tous les ordres et de leur armature mythologique. Ceci est crucial pour la compréhension de sa critique du mythe et son renouvellement à venir d’un concept d’histoire. Ceci est crucial au point que le principe constructif que Benjamin associera au communisme radical (auquel il se ralliera explicitement dès 1924) devra faire l’épreuve d’une telle conception de la justice et corrélativement d’une telle critique de l’élément mythologique tel qu’il se manifeste dans une conception matérialiste appauvrie de l’histoire.
En tout cas : ni la mobilisation d’une conception d’inspiration judaïque ni son prétendu recours au mythe ne sauraient justifier une quelconque adhésion (même strictement religieuse, même simplement intellectuelle) au sionisme. Bien au contraire : la justice conçue comme extension du bien au monde lui-même peut constituer une arme contre les mythes justificateurs de la violence instituante. Dès lors, comment ne pas associer l’établissement d’un État juif en Palestine à une telle violence ?
Mais, plus encore, la question que nous devons nous poser est celle-ci : pourquoi Benjamin a-t-il tant hésité à rejoindre Scholem en Palestine ? Et c’est là qu’il nous faut, afin d’évaluer la sincérité de cette hésitation, suivre ce que Scholem, mais également Benjamin lui-même, nous en disent.
Commençons par relever les nuances que Scholem est bien obligé d’apporter concernant le rapport de son ami à la question sioniste. C’est d’ailleurs dans le chapitre relatant leur séjour commun en Suisse, à la fin de la guerre, que ce dernier est bien forcé de reconnaître que, si Benjamin entretient un intérêt constant pour le judaïsme entre 1915 et 192718, cet intérêt sera amené à muer en intérêt essentiellement dirigé vers une approche philosophique et théologique de celui-ci19. Encore faut-il démêler, et depuis leur rencontre en 1915, ce que fut réellement la part de sa foi juive, de son intérêt pour le judaïsme en tant que religion ou forme culturelle spécifique et de son intérêt théologique ou philosophique pour celui-ci. En soi, rien de ces trois types de rapport au judaïsme n’implique de facto un rapprochement avec l’idéologie sioniste.
À vrai dire, nous croyons qu’il n’y a pas non plus de lien de causalité entre l’éventualité d’un tel rapprochement et la volonté de Benjamin de se ménager une possibilité d’installation en Palestine, perspective qui, pour un intellectuel juif de plus en plus lucide quant à l’exacerbation des structures raciales étatiques et sociales de l’Allemagne de son temps, a sans doute constitué essentiellement une issue de secours.
Durant les premières années de leur amitié, Scholem oriente bien Benjamin vers la lecture de textes considérés comme fondateurs du sionisme (sous sa forme contemporaine et d’inspiration juive), dont notamment ceux de Moïse Hess20. Une fois encore, cependant, et malgré l’intérêt que Benjamin porte à de tels textes, rien ne permet d’identifier les traces ou les prémisses d’une quelconque adhésion au sionisme entendu comme captation politique du judaïsme à des fins coloniales.
Non seulement rien ne permet d’identifier de telles traces ou prémisses, mais le rapport de Benjamin au judaïsme semble échapper à toute instrumentalisation politique et même à toute forme de réduction strictement religieuse. Ce qui pourrait attester d’un intérêt philosophique et théologique, plus que directement religieux, pour le judaïsme, c’est notamment son admiration pour les recherches de Joseph Molitor sur la Kabbale dont il convient de noter, indique Scholem lui-même, que celui-ci lui « [attribua], sans motivation sérieuse, une orientation christologique21 ».
En 1918, lorsqu’ils se retrouvent dans la région de Berne, Scholem fait état d’une véritable déception amicale : non seulement car la nouvelle proximité avec Benjamin lui en révèle certains traits cyniques et autoritaires (essentiellement à propos de ses parents dont il méprise le caractère bourgeois), mais également car semble se confirmer la détermination « abstraite » de son « penchant pour le judaïsme22 ». Le témoignage de Scholem ne cesse d’osciller, ici, quasiment d’une page à l’autre, entre l’affirmation selon laquelle, de 1915 à 1927, « le domaine religieux occupait dans la pensée de Benjamin une place tout à fait centrale qui n’entamait nullement un doute fondamental23 » et la reconnaissance qu’il ne s’agit pas tant de quelque chose de central que d’un « penchant qui conservera toutefois plutôt un caractère abstrait24 ».
Il ne s’agit aucunement de relativiser l’importance du rapport de Benjamin au judaïsme, mais plutôt de souligner la torsion continuelle, sous l’impulsion de sa propre idéologie sioniste, que Scholem fait subir à son témoignage, et qui le conduira notamment à de lourds aveuglements quant à l’interprétation des textes plus tardifs de son ami25. En termes psychanalytiques, on pourrait concevoir un tel aveuglement comme le produit d’une projection inversée de ses propres déterminations idéologiques sur l’œuvre et la vie de Benjamin. En atteste, au fil des années, le fait qu’il ne cesse de surévaluer son rapport strictement religieux au judaïsme, qu’il distingue lui-même d’un simple intérêt philosophique ou théologique, tout en minorant les implications du ralliement de son ami au marxisme.
Quant au projet, moins engageant que celui d’un départ en Palestine, d’apprendre l’hébreu, Benjamin initiera bien un bref apprentissage après la guerre, qu’il abandonnera assez vite. Une fois encore, cela ne saurait relativiser l’importance du judaïsme en général dans sa vie et son œuvre, mais attester que cette importance, non seulement ne saurait se traduire par une forme de nationalisme juif, mais que son étude de la langue hébraïque et des textes talmudiques n’est pas même au centre de ses priorités intellectuelles et politiques, contrairement au communisme radical à partir de 1924.
De façon générale, la grande erreur politique et morale de Scholem, à savoir son adhésion au sionisme et sa subordination de la judéité à celui-ci, explique son refus d’entendre et d’accepter, non seulement les critiques précoces (et encore insuffisantes) que Benjamin adresse au sionisme, mais l’intérêt de son ami pour une certaine idée de la justice qui entre en collision avec toute forme de nationalisme juif, même utopique. C’est d’ailleurs une telle erreur qui altèrera le plus souvent son jugement sur les amitiés (Bloch, Lacis, Brecht) et les positionnements stratégiques (notamment son programme d’une politisation de l’art à l’ère de la nouvelle reproductibilité technique) de Benjamin et le conduira à guetter sans cesse les traces ou les prémisses d’une conversion sioniste de son ami.
Entendons bien qu’une telle conversion justifierait, à tout point de vue, excédant d’ailleurs la précarité et l’isolement qui vont s’abattre sur Benjamin à partir des années 1920, le choix d’un départ à Jérusalem. Ainsi, entre 1918 et 1924, et malgré la désagrégation de cette image de « savant de l’Écriture26, égaré dans un autre univers et qui serait à la recherche de son ‘‘écriture27’’ », Scholem continue d’espérer que Benjamin se ralliera au projet d’une installation en Palestine et qu’il trouvera dans le sionisme un motif pour le faire. Il faut pourtant insister sur l’usage non orthodoxe que Benjamin ne cesse de faire des concepts hérités de la tradition judaïque — ce que relève d’ailleurs une nouvelle fois son ami : « En fait, il y a chez Walter une foule de théories illégitimes28 » — tout en s’efforçant de croire à une orientation plus strictement religieuse de celui-ci : « À cette époque, j’avais nettement l’impression que Benjamin allait incessamment s’orienter activement, lui aussi, vers l’étude du judaïsme29. »
Tandis que Benjamin est sans cesse attiré par des formes marginales du judaïsme, ou concurrentes, que son approche est donc profane (quand elle n’est pas ésotérique), Scholem voudrait le pousser à une rigueur et à une orthodoxie plus grandes, et lier une telle orientation à un engagement sioniste. C’est peine perdue : non seulement Benjamin conservera et développera un intérêt pour des formes occultes de croyance (nous pensons par exemple à l’astrologie, ou encore à son rapprochement avec l’un des membres de la secte de Goldberg ayant une approche farfelue du judaïsme et farouche opposant au sionisme), mais fera de certains concepts hérités de la tradition judaïque un usage qui, dans le cadre de son ralliement au matérialisme historique et de sa réélaboration d’un concept d’histoire du point de vue des vaincus, contreviendra à la perspective de l’institution d’un « État juif » en Palestine.
Ainsi, et alors que la dimension essentiellement philosophique et théologique de son intérêt pour le judaïsme est confirmé par Scholem lui-même : « nos discussions, écrit-il à propos de leur période suisse, portaient souvent sur la théologie juive et les notions fondamentales de l’éthique juive, mais bien plus rarement sur les problèmes juifs concrets30 », le projet d’une installation en Palestine ne cessera, jusqu’en 1929, d’apparaître à ses yeux comme une simple issue de secours. Et pour cause : non seulement sa conversion marxiste ne cesse d’apparaître aux yeux de Scholem comme à la fois désespérante et inéluctable31, mais Benjamin n’entrevoit aucune « nécessité théorique d’y aller32 ».
À vrai dire, nous ne croyons pas qu’il ait été véritablement attentif ni en capacité matérielle de saisir les enjeux réels de la question sioniste et des conflits internes ayant traversé le mouvement sioniste. Contrairement à Hannah Arendt qui, elle, ne cessera de s’y intéresser et d’affuter ses positions à l’endroit d’une telle question. L’intérêt ici d’un détour par leur amie commune nous semble éclairer l’obstination aveugle de Scholem.
En 1944, quatre ans après la mort de Benjamin, elle évoquera dans son « Réexamen du sionisme » le « raz de marée révisionniste dans l’Organisation sioniste33 » ayant conduit les principaux dirigeants et intellectuels sionistes, même les plus utopistes, à refouler la question arabe et à viser l’établissement d’un État ethno-religieux en Palestine. Mais, selon Arendt, le sionisme historique (celui de Herzl) était déjà porteur d’un tel projet, tout en faisant fi d’ignorer la réalité autochtone et de synthétiser d’autres tendances, qu’elles soient dites générales (projetant l’établissement d’un foyer juif sous tutelle britannique) ou utopiques (sur le modèle déjà évoqué des kibboutsim). Avant de se confronter à la possibilité concrète d’un « État juif » en Palestine, précise-t-elle, et donc en « méconnaissant délibérément les problèmes politiques qui étaient en jeu34 », le sionisme a même pu conquérir une jeunesse juive européenne séduite par ses éléments les plus utopiques.
Arendt accuse les sionistes d’avoir renoncé à se battre contre l’antisémitisme et même d’avoir capitalisé sur celui-ci afin de se renforcer auprès des masses juives opprimées en Europe. Et va même plus loin en pointant les compromissions de la direction du mouvement sioniste, qu’il s’agisse de ses éléments révisionnistes ou de ses éléments généraux, ayant pactisé ou continuant à pactiser avec les ennemis du peuple juif : « Ici aussi il s’est révélé difficile de déceler la différence entre les révisionnistes et les sionistes généraux. Si les révisionnistes de l’époque ont été violemment critiqués par d’autres sionistes pour avoir entamé des négociations avec le gouvernement antisémite polonais d’avant-guerre en vue de l’évacuation d’un million de Juifs polonais — et ce afin d’obtenir que les Polonais soutiennent les exigences sionistes extrémistes devant la Société des Nations et d’exercer ainsi des pressions sur le gouvernement anglais —, les sionistes généraux eux-mêmes sont constamment restés en contact avec le gouvernement de Hitler en Allemagne au sujet des opérations de transfert35. »
Dans une lettre datée du 28 janvier 1946, Scholem réagira avec virulence à l’article d’Arendt, se faisant solidaire du sionisme en général tout en reconnaissant la légitimité d’une critique de celui-ci dans la mesure seulement où elle lui resterait solidaire. Ce que ne fait pas Arendt qui s’appuierait, selon lui, sur des « justifications qui ne sont pas sionistes, mais expressément trotskystes et antisionistes36 ». Évidemment, c’est très exagéré : non seulement Arendt pense depuis la double critique du nationalisme et du socialisme, mais une connaissance même approximative de ses travaux permet de connaître ses positions souvent antimarxistes. Pour autant, Scholem n’y va pas de main morte, accusant sa « chère amie », pêle-mêle, de folie, de bolchévisme et d’antijudaïsme (dans la mesure où il subordonne le judaïsme au sionisme, et donc que l’antisionisme serait de facto un antijudaïsme).
Son « sionisme radical », affirme-t-il, serait quant à lui porté par un souffle utopique et mu par une conviction anarchiste, et ne viserait donc pas l’établissement d’un « État juif », à proprement parler, mais simplement une nation pour un peuple enfin libéré d’une histoire éternelle d’oppression et de massacre — il croit, dit-il, à la « durée éternelle37 » de l’antisémitisme — et renouant avec les sources spirituelles de sa tradition. À ce titre, il assume le choix d’une politique du fait accompli, et donc celui d’un établissement par la force d’un foyer national juif (bref d’un État, que ce soit sous tutelle britannique ou non), et va même jusqu’à regretter que leurs « adversaires arabes » ne soient pas « d’abord intéressés par [leurs] opinions morales ou politiques, mais par la simple question de savoir s’[ils sont] présents ou pas38 ».
Remarquons que ce regret d’une absence de compréhension des Palestiniens vis-à-vis de leurs propres colonisateurs (en acte et en puissance) est assez surprenant de la part d’un homme qui revendique ici son « sectarisme39 ». À vrai dire, il est un peu difficile de comprendre comment, au sein du « sionisme radical » de Scholem, cohabitent à présent son héritage anarcho-nihiliste et ce nationalisme juif assumé. De toute évidence, ce qui fut un sionisme mâtiné d’utopisme anarchisant et religieux, campant au bord du politique, révèle désormais toute sa profonde vérité réactionnaire.
Pour Arendt, qui dit ignorer dans sa réponse aux accusations de Scholem40 qu’il succomba aux attraits du sionisme en tant que tel, sachant que selon elle une idéologie nationaliste ne saurait être considérée comme apolitique, c’est précisément son anarchisme qui expliquerait cet aveuglement, soit, peut-être, une forme de dénégation de la question de l’État couvant de facto une défense implicite de celui-ci.
Dans un autre texte publié également en 1946, elle évoque d’ailleurs l’intégration au socle idéologique sioniste d’éléments plus utopistes (visant explicitement Scholem ?) — et annonce déjà la catastrophe à venir : « Certains dirigeants sionistes feignent de croire que les Juifs peuvent se maintenir en Palestine contre le monde entier, et qu’eux-mêmes peuvent poursuivre une politique du tout ou rien envers et contre tous, et contre tout. Cependant, sous cet optimisme fallacieux se dissimulent un désespoir complet et un authentique empressement au suicide qui pourraient devenir extrêmement dangereux si d’aventure ils parvenaient à dominer la tonalité et l’atmosphère de la politique en Palestine. Rien dans le sionisme de Herzl ne peut faire échec à cela ; au contraire, les éléments utopiques et idéologiques qu’il a introduits dans la nouvelle aspiration des Juifs à l’action politique risquent de conduire une fois de plus les Juifs hors de la réalité — et de la sphère de l’action politique. Je ne sais pas — et je ne veux pas savoir — ce qui arriverait aux Juifs dans le monde entier et à l’histoire juive dans l’avenir si se produisait une catastrophe en Palestine41. »
En s’accrochant à l’exceptionnalité de son sionisme, Scholem ne se contente pas de fermer les yeux sur la catastrophe annoncée, il ferme aussi les yeux sur ses propres compromissions morales et religieuses — à moins qu’il n’ait réellement, dès les années 1930, ainsi qu’il l’écrit dans une confession sous forme de poème, « perdu la foi qu’il avait en arrivant ici ». Car, en effet, lorsque celui-ci émigre en Palestine, en 1923, c’est bien pour travailler au sein de la Bibliothèque nationale juive, puis pour occuper une chaire de professeur au sein de la future université de Jérusalem, composante centrale du futur État hébreu ; il occupera ainsi une position institutionnelle forte au sein d’un État en devenir, puis d’un jeune État en quête de reconnaissance et de légitimité. Tandis que son propre frère, faisant le choix d’un engagement communiste, tout comme celui de Benjamin, va mourir dans un camp d’extermination, Scholem s’établit donc sur le dos des futurs peuples colonisés de Palestine.
Par ailleurs : n’y a-t-il pas une contradiction farouche à se décréter « nationaliste juif », tel qu’il le fait dans sa lettre, et à prétendre s’extraire du champ politique ? Scholem a choisi le camp des vainqueurs, s’est établi en Palestine, non comme modeste religieux ou simple savant, mais comme fonctionnaire d’un futur État colonial prospérant sur les causes du génocide d’un peuple dont il se réclame. Et quand Arendt évoque une telle instrumentalisation politique de la souffrance d’un peuple, Scholem lui rétorque qu’elle n’aime pas le peuple juif. Ou encore qu’elle refuse de comprendre les motifs profonds de son « sionisme radical ». Ainsi faisant il déplace la discorde d’un terrain politique vers un terrain affectif ou mystique. Une discorde qui se conclura, en 1963, par une rupture définitive — en raison sans doute de la publication d’Eichmann à Jérusalem dont le propos sur la banalité du mal lui semble porter atteinte à la justification d’Israël en tant que fondée sur la « durée éternelle » de l’antisémitisme.
Tout ceci est à prendre en considération quand Scholem reproche à Arendt d’avoir réduit, dans son petit opuscule sur Benjamin42, l’intérêt de celui-ci pour le judaïsme à un pur attrait théologique ou philosophique43. Et ce, nous l’avons vu, alors même qu’il ne cesse de reconnaître lui-même tous les « obstacles » s’opposant à une orientation de son ami vers l’étude stricte du judaïsme44. Mais le cœur de la question, et du différend entre Scholem et Arendt, excède un intérêt plus ou moins religieux, plus ou moins théologique ou plus ou moins philosophique de Benjamin pour le judaïsme : c’est l’organicité que conçoit Scholem entre sionisme et judaïsme qui est éminemment problématique, tant celle-ci enclôt le judaïsme dans un projet colonial fondé sur le principe implicite d’un nettoyage ethnique.
Aux yeux d’une certaine orthodoxie, Benjamin ne sera peut-être jamais un bon Juif, mais il aura le mérite de ne pas trahir l’essence d’une conception judaïque de la justice qui trouvera toute son actualité à l’épreuve du matérialisme historique. Tandis que Scholem sera incapable de se retourner sur l’histoire, la sienne, celle de son engagement sioniste, et plus généralement celle à laquelle il participera activement, celle de la création de l’État d’Israël. Que sa foi demeure intacte ou non, sa faillite morale et politique est sans commune mesure avec les illusions de ces jeunes Juifs européens ayant rêvé, sur le modèle des kibboutsim, de réaliser une forme concrète et communautaire de socialisme utopique, mais s’étend par-delà l’institution du fait colonial, solidaire avec les compromissions et les crimes d’une nouvelle bourgeoisie juive à la tête d’un jeune État-nation s’instituant sur l’invisibilisation et l’éradication d’un peuple. À ce titre, le destin de Scholem s’éloigne radicalement de celui de Benjamin et nous livre une image inversée de la rédemption communiste fondée sur la justice des peuples.
Contrairement à Arendt (dont nous connaissons les réticences à l’égard de toute forme de radicalité), nous nuancerions cependant le lien qu’elle établit un peu facilement entre les convictions anarchistes de Scholem et son engagement sioniste. Nous les nuancerions d’autant plus que Benjamin, nous l’avons dit, revendique la continuité pour lui-même de telles convictions. Ce qui nous semble plus déterminant, c’est la façon dont le premier se replie de façon sectaire (ce qu’il assume) sur des positions qu’il n’est plus en mesure de défendre et de soutenir, alors qu’il aurait pu, précisément au nom de ses convictions anarchistes, mais également, allons plus loin, au nom de la sincérité avec laquelle il épousa un certain « rêve sioniste », prendre conscience des implications politiques et historiques de ce rêve, comprendre que ce rêve se tissait sur le dos des peuples de Palestine et avoir le courage d’y renoncer.
Tandis que Benjamin, qui lors de leur période suisse pouvait même observer assez dédaigneusement ce qui se passait en Hongrie ou en Allemagne, va demeurer loyal, au sein de son processus de politisation et après sa conversation marxiste, à ce qu’il nomme son « anarcho-nihilisme » et qui l’oblige à se soustraire à toute forme de pétrification idéologique.
Si le jeune Benjamin, qui vient à peine de rencontrer Ernst Bloch et s’apprête tout juste à découvrir Georg Lukács, assume déjà un attrait pour une méthode d’inspiration matérialiste, ce n’est pas encore au sens de son actualité marxiste (à laquelle il donnera une forme et une signification toute particulière à partir de 1924), mais dans le sens où toute connaissance se fonde sur une expérience concrète des choses, des êtres et des situations. Il ne s’agit aucunement de se cantonner à une dimension morcelée de la réalité socio-historique, mais de soumettre sa pensée à un plan d’immanence où se mêlent une multitude de strates de perceptions entremêlées au sein de l’actualité la plus vive. C’est une telle méthode qui offre à sa pensée (et bientôt à sa pensée de l’histoire) de se tenir dans l’escarcelle d’un temps réellement présent. Ainsi, même les idées en apparence les plus déliées de toute production matérielle, même les médiations les plus abstraites sont amenées, pour accéder à la dignité d’une forme ou d’un langage vivants, à faire l’épreuve de la réalité la plus prosaïque. La totalité, à laquelle depuis ses vingt ans aspire Benjamin, d’une façon d’abord anhistorique et naïve, puis de plus en plus ancrée dans les enjeux politiques de son temps, n’est nullement contrainte par son attrait pour le minuscule, seulement elle doit en partir et, calibrée sur une certaine optique dialectique, s’ouvrir sur une dimension intégrale de la vie et de la pensée.
Cette interpénétration de différentes inspirations, aspirations ou nécessités, chez Benjamin, contrairement à Scholem qui se replie dogmatiquement à l’endroit de sa défense du sionisme (nous pensons notamment aux échanges évoqués avec Arendt), peut être illustrée par un désaccord de jeunesse aux contours tout à fait anodins : « Dans l’hôtel de Berne où nous passions la nuit, nous eûmes une discussion sur l’intuition. Je notais la définition de Benjamin, sur laquelle je n’étais pas d’accord : ‘‘L’objet de l’intuition est la nécessité, pour un contenu qui est pressenti comme étant pur, de devenir perceptible.’’ Il ne put admettre ma protestation contre ce transfert théologique de l’intuition vers le domaine acoustique. Il m’expliqua que là était précisément le point important : les divers domaines ne peuvent pas être séparés entre eux ; il n’y a pas d’intuition pure qui ne soit une perception, non certes la perception d’une voix, mais celle d’une nécessité45. »
C’est précisément ce lien postulé d’un lien organique entre intuition intellectuelle, spirituelle ou divine et la perception sensible qui permettra à Jean Genet d’établir la justesse de la cause palestinienne à partir d’une perception acoustique46. A contrario, c’est la surdité de Scholem qui le condamne à d’irréparables errances idéologiques et au balbutiement le plus coupable dès lors qu’il est sommé par Arendt de justifier son engagement sioniste sur un terrain plus théorique. Entendons bien qu’il ne s’agit aucunement de dénier aux puissances de la raison leur légitimité et leur efficacité, mais d’affirmer qu’il ne saurait y avoir d’engagement révolutionnaire, de philosophie émancipatrice ou de littérature vivante sans une appréhension sensible des causes de l’injustice.
Qu’importe que le jeune Benjamin n’ait pas bénéficié de toutes les données historiques lui permettant de comprendre la situation en Palestine. Dans la mesure où ce dernier n’eut de cesse de placer l’expérience concrète au cœur de toutes les médiations abstraites, on ne saurait lui inventer un destin d’idéologue et encore moins de défenseur acharné d’un quelconque nationalisme juif. Il est donc tout à la fois opportuniste et inopportun de chercher à le rallier au projet sioniste. Tout indique même que son acuité sensible, ferment de sa lucidité historique, non contente de se plier aux contours d’un rêve coupable, aurait ressaisi la situation en Palestine depuis le point de vue de ceux qui en sont les opprimés et désigné Israël, au cœur des processus historiques, de leurs développements à la fois capitalistes et impérialistes, comme l’expression maudite de leur condensation.
Pierre-Aurélien Delabre
1 Pour une meilleure saisie des courants majoritaires et des tendances plus marginales du sionisme nous
renvoyons aux textes de Pierre Stambul publiés notamment chez Syllepse.
2 Ainsi que le relate Scholem, ils se sont croisés deux années auparavant, mais sans s’adresser la parole (nous y
reviendrons plus loin) : « Avant de faire la connaissance personnelle de Benjamin, je le vis pour la première fois
un jour de l’automne 1913, au cours d’une réunion de jeunes qui se tenait dans une salle du café Tiergarten à
Berlin. » (Gershom Scholem, Walter Benjamin. Histoire d’une amitié, traduction de Paul Kessler, Les Belles Lettres,
2022, p. 11.)
3 Ibid., p. 23.
4 L’intérêt du renouvellement de la conception matérialiste de l’histoire chez Benjamin tenant précisément, nous
y reviendrons ailleurs, au fait que cette conception demeure matérialiste tout opérant une critique des « informes
tendances progressistes » (« La vie des étudiants » (1915), traduction de Maurice de Gandillac revue par Rainer
Rochlitz, in OEuvres, I, Gallimard, Folio, 2000, p. 125) qui en altèrent le plus souvent les potentialités réellement
révolutionnaires.
5 Gershom Scholem, Walter Benjamin. Histoire d’une amitié, op. cit., p. 28.
6 Ibid., p. 12.
7 Ibid., p. 51-52.
8 Ibid., p. 56.
9 Ibid., p. 41.
10 Ibid., p. 42.
11 Partisan d’un centre culturel en Palestine, mais non d’un État juif, il s’oppose ainsi au sionisme politique de
Herzl. Meurt en 1927 à Tel Aviv, non sans avoir relevé et combattu les dérives du nationalisme juif.
12 Ibid., p. 57.
13 Ibid., p. 59.
14 « Le poème, au lieu de s’appuyer sur la mythologie, instaure la cohésion de son propre mythe. » (Walter
Benjamin, « Deux poèmes de Friedrich Hölderlin », op. cit., p. 107.)
15 Gershom Scholem, Walter Benjamin. Histoire d’une amitié, op. cit., p. 58.
16 Il insiste quelques années plus tard : « C’est pourquoi, en Grèce, l’art véritable et la véritable philosophie — à la
différence de leur phase théurgique qui n’était art et philosophie qu’au sens impropre de ces mots — ne naissent
qu’à la fin du mythe, car l’un et l’autre se fondent la vérité, exactement au même degré, ni plus ni moins. » (Walter
Benjamin, « Les Affinités électives de Goethe », in OEuvre, I, op. cit., p. 334.)
17 Gershom Scholem, Walter Benjamin. Histoire d’une amitié, op. cit., p.61.
18 Année, sans doute, et aux yeux de Scholem, qui marque de l’effondrement chez Benjamin à la fois de son
projet d’établissement en Palestine, mais également de celui d’apprendre l’Hébreu et de se rapprocher, par l’étude
et le culte, du judaïsme. C’est également l’année de son départ pour Moscou.
19 À ce propos, ne déclare-t-il pas, dès 1916, comme évoqué plus haut, que sa philosophie sera une philosophie
du judaïsme ? Mais cela signifie-t-il qu’il s’agira d’une forme philosophique inspirée du judaïsme ou d’une forme
philosophique du judaïsme lui-même ? À ce stade, nous refusons de trancher la question.
20 Ibid., p. 67.
21 Ibid., p. 71.
22 Ibid., p. 101.
23 Ibid., p. 99.
24 Ibid., p. 101.
25 C’est ainsi, par exemple, qu’il identifie un fond métaphysique sous une forme matérialiste dans le fameux texte
de 1936 sur « L’oeuvre d’art à l’ère de sa reproductibilité technique » (Cf. Ibid., p. 81), texte qui nous semble
pourtant, sur le fond comme sur la forme, être sans doute l’un des plus strictement matérialistes de Benjamin.
26 Entendons ici ce qui porte à confusion dans l’usage de la majuscule, ou, en tout cas, cette espérance mystique
projetée sur les recherches d’un philosophe non encore marxiste, certes, mais déjà aux prises avec une forte
exigence de matérialité.
27 Ibid., p. 95.
28 Ibid., p. 125.
29 Ibid., p. 158.
30 Ibid., p. 126.
31 Ibid., p. 195.
32 Ibid., p. 196.
33 Hannah Arendt, « Réexamen du sionisme » (1944), in Écrits juifs, traduction de Sylvie Courtine-Denamy,
Fayard, Ouvertures, 2011, p. 512.
34 Ibid., p. 513.
35 Ibid., p. 514.
36 Gershom Scholem, « Lettre à Hannah Arendt du 28 janvier 1946 », in Correspondance. Hannah Arendt-Gershom
Sholem, traduction d’Olivier Mannoni, Seuil, édition numérique.
37 Ibid.
38 Ibid.
39 « Je suis ‘‘sectaire’’. Et je n’ai jamais eu honte d’affirmer ma conviction en public : le sectarisme peut constituer
quelque chose de très décisif et de très positif. » (Ibid.)
40 « Honnêtement, je n’ai jamais eu l’idée, même en rêve, d’admettre que vous auriez pour autant une ‘‘idéologie’’
sioniste, ne serait-ce que parce que j’espérais à vrai dire que vous n’aviez pas d’idéologie du tout. » (Hannah
Arendt « Lettre à Gershom Scholem du 21 avril 1946 », in Correspondance. Hannah Arendt-Gershom Sholem, op. cit.,
édition numérique.)
41 Hannah Arendt, « L’État des Juifs : cinquante ans après, où la politique de Herzl a-t-elle conduit ? » (1946), in
Écrits juifs, op. cit., p. 556-557.
42 Cf. Hannah Arendt, « Walter Benjamin », in Vies politiques, traduction d’Éric Adda, Jacques Bontemps, Barbara
Cassin, Didier Don, Albert Kohn, Patrick Lévy et Agnès Oppenheimer-Faure, Gallimard, Les Essais, 1974.
43 Gershom Scholem, Walter Benjamin. Histoire d’une amitié, op. cit., p. 99-100.
44 Ibid., p. 158.
45 Ibid., p. 146.
46 Cf. Jean Genet, Le Captif amoureux, Gallimard, 1986.