3ème édition des rencontres nationales des quartiers populaires organisées par la France insoumise, samedi 1er février à Toulouse.
Bonjour,
Merci pour l’invitation.
Si je suis invitée aujourd’hui c’est parce qu’avec d’autres femmes, d’autres mamans de Mantes-La-Jolie nous avons créé le Collectif de défense des Jeunes du Mantois en 2018 suite à un événement qui avait défrayé la chronique au niveau national et international pendant le mouvement des gilets jaunes. À Mantes-La-Jolie, les élèves des lycée Saint-Exupéry et Jean Rostand, dans lesquels mes enfants ont été scolarisés ont décidé de faire un blocus en solidarité avec le mouvement des Gilets jaunes. Effrayés par l’ampleur du mouvement, et la possibilité d’une contagion du mouvement dans les tours, les pouvoirs publics ont décidé de réagir extrêmement durement. 153 élèves ont été interpellés par la police, dans des conditions particulièrement choquantes : ils ont été forcés à se tenir à genoux pendant des heures, les mains dans le dos ou sur la nuque, pour certains face à un mur, tandis que les policiers se moquaient d’eux, les filmaient et se félicitaient : « Voilà une classe qui se tient sage ».
Se tenir sage, c’est généralement ce qui nous est demandé pour garantir la tranquillité de tous. Accepter notre lot d’humiliations quotidiennes,
faire avec le racisme d’État, composer avec les violences policières, endurer les discriminations systématiques à l’emploi, au logement, à l’accessibilité aux transports. Se tenir sage pour que tienne le pacte racial et que le pays soit tranquille.
Pourtant depuis un certain temps, nous ne nous tenons pas sage. Au cours des dernières années, l’émergence d’un antiracisme politique dans lequel notre collectif s’inscrit, la lutte sans trêves des comités vérités et justice, le travail mené par le CCIF et d’autres ont permis de mettre au premier plan les questions d’islamophobie et de violences policières. Le large soutien dont bénéficie la France insoumise parmi les nôtres s’explique d’abord par le fait que la FI s’est mise à l’école de ces luttes autonomes. En mettant sincèrement nos questions et nos revendications au cœur de son agenda politique, la FI a permis d’approfondir le poids de ces questions, plutôt que de les récupérer pour les vider de leur substance.
En un sens c’est une forme de méthode qu’il serait important de reproduire dans la perspective des municipales pour incarner concrètement cette voie vers l’égalité et préfigurer la tranquillité de tous, plutôt que de sacrifier la nôtre.
On le sait l’un des éléments majeurs de la pacification des quartiers c’est le clientélisme. Son démantèlement systématique doit constituer l’une des tâches prioritaires de nos alliances.
Bien sûr il faudra abolir le contrat d’engagement républicain et la loi contre le séparatisme, mais ce ne sera pas suffisant. Il faut aussi et plus profondément ne pas soumettre les conditions d’attribution de subvention à des conditions politiques. Il faudra pour les mairies FI, ou alliées, acceptent la critique de l’opposition, composer avec notre autonomie et la conflictualité fructueuse.
Cela passe par des choses très concrètes : on ne doit plus avoir à marchander nos lieux de réunion. Ils ne doivent plus être réservés aux associations qui ne font pas de politiques, ou être interdits aux associations de facto qui entendent préserver leur autonomie. Comme le mouvement ouvrier classique avait essaimé des bourses du travail à travers le pays, nous avons aujourd’hui besoin de lieux où discuter, s’engueuler, imaginer d’autres manières d’organiser la société et abolir le racisme.
Il y aussi bien sûr la question des désignations. Pour nous, la Palestine est toujours une boussole. La candidature de Rima Hassan lors des élections européennes était une preuve. Une preuve par la Palestine. Les candidatures d’Amal Bentounsi, d’Adel Amara ou de Yassine Benyettou de très bons signaux, d’un phénomène qu’il faut approfondir et sanctuariser avec rigueur : gare aux parachutages qui ne seraient pas compris par les gens des quartiers. Mais attention aussi – et ce message s’adresse aussi aux nôtres – à ne pas se raconter d’histoire. Il ne suffit pas d’être l’un des nôtres pour nous être fidèles. Ils sont nombreux dans nos rangs à avoir toujours bénéficié des subsides sans avoir jamais rien fait pour nous. Il faut donc être à la hauteur d’un véritable projet de rupture et de son programme.
Outre le clientélisme qu’il faut défaire, il y a la répression qu’il faut désarmer. Un des éléments marquants de la dernière période c’est la volonté de l’État d’enrégimenter la religion musulmane. Soyons clairs, dans la droite ligne de la séparation de l’Église et de l’Etat, nous pensons qu’il faut libérer le culte. Les imams doivent être élus par les musulmans librement, et les velléités d’imposition par l’Etat d’un «Islam républicain » doivent être condamnées sans ambiguïtés. C’est aux fidèles de discuter et de diriger les affaires de l’Eglise dans le régime de la loi de 1905 et les imams doivent jouir des mêmes libertés politiques que les représentants des autres cultes.
Il faut aussi désarmer les forces qui tuent et mutilent nos jeunes. L’abrogation de toutes les formes de permis de tuer légiférées au cours des dernières années est une nécessité vitale, et avec cela l’abolition de la BAC, l’interdiction des flashballs et des grenades, l’instauration du récépissé pour les contrôles d’identité. Toutes ces mesures sont indispensables à notre tranquillité, au fait de pouvoir être sereins lorsque nos enfants sont dehors.
Cela ne fait pas de nous non plus de blanches colombes innocentes. Nous savons aussi que les gens ont besoin de sécurité. Nos quartiers souffrent des rixes, des violences, des règlements de compte liés au trafic de drogues. Et pour les vivre en première ligne, nous savons qu’on ne résout pas ces questions par l’escalade armée ou le tout-répressif. Il faut se poser sérieusement la question de la légalisation du cannabis, celle de la dépénalisation de la consommation d’autres drogues. Nous n’avons pas vocation à être le champ de bataille d’un marché qui concerne des millions de français, chez nous comme dans les beaux quartiers.
Penser les choses autrement donc et s’interdire le tout-répressif. Je voudrais finir sur un dernier élément. Il y a eu des moments où l’on laissait les jeunes faire de la politique. Où il ne serait venu à personne l’idée d’envoyer des compagnies de CRS pour mater des blocus lycéens. C’est un point auquel je tiens au regard de ce qui s’est passé à Mantes-La-Jolie, mais aussi parce que je pense que ça a été un moment politique très important. Ce que l’État a voulu mater ce jour là c’est la possibilité d’une jonction des nôtres avec les gilets jaunes, je veux dire des quartiers ou des « tours » avec un mouvement qui venait essentiellement de la ruralité, du périurbain, qui était très largement blanc.
Le déchainement de violence contre des lycéens ce jour-là s’explique aussi par la formidable menace qu’ils incarnaient – une véritable jonction des classes populaires. Ce qui a été empêché ce jour-là, nous devons continuer à le penser aujourd’hui, pour garantir enfin la tranquillité de tous. C’est que nous avons l’idée bizarre de vouloir faire société avec le reste de la société française, les « petits blancs», la ruralité, même si cela fait des décennies que l’on nous demande de rester sages.
Pour cela, il faut un programme de rupture et des rêves en commun. La gauche aujourd’hui n’est plus la seule qui parle des questions sociales, l’extrême-droite le lui dispute – même si nous savons bien que ce sont des mensonges. Mais trop souvent seule l’extrême-droite s’adresse aux cœurs et aux besoins moraux, avec les résultats que l’on sait.
Nous avons pourtant l’évidence d’un ennemi commun avec ce peuple blanc : la macronie et ses successeurs qui combinent casse systématique des services publics, accélération autoritaire et division raciste des classes populaires. C’est en combinant des mesures concrètes de rupture avec l’ordre établi et l’inscription de celles-ci dans un grand récit commun, endossable par l’ensemble des classes populaires, contre l’organisation de leur division que nous parviendrons réellement à l’égalité et la tranquillité.
Car oui, définitivement, nos rêves ne se tiennent pas sages