Édito #29 – Zemmour ou le dernier avatar du bonapartisme transcendantal

Pour qui est familier des discours d’Eric Zemmour au moins depuis son accès à la notoriété et la publication du Premier Sexe (2006), son personnage historique favori n’est autre que le petit caporal, Napoléon Bonaparte. Mais si tout dans son discours se réfère à Bonaparte (jusqu’à la proposition de revenir à la loi de 1803 sur les prénoms français – loi que Zemmour simplifie d’ailleurs allègrement) il ne s’agit pas seulement d’une passion historique ou d’un vernis servant à légitimer ses propos : c’est là un vrai ancrage idéologique. Cet ancrage permet de mieux imaginer le type d’Etat qui inspire Zemmour – le journaliste comme l’homme politique. On pourrait ici, reprendre ce qu’en écrit Sadri Khiari dans sa thèse de doctorat :

« (…) dans sa forme manifeste, l’Etat bonapartiste apparaît comme une dictature personnelle et plébiscitaire, voire paternaliste, bénéficiant, au moins un temps, d’un fort soutien populaire. Ce qui permet au chef suprême – le Bonaparte – de jouer un rôle d’arbitrage entre les intérêts sociaux antagonistes. Son autorité s’appuie sur un appareil bureaucratique, policier ou militaire puissant, développant une idéologie populiste et nationaliste, souvent belliciste. Le pouvoir Exécutif et son chef cherchent à s’arroger le monopole de la représentation sociale et politique, supprimant tant que faire se peut les corps intermédiaires et réduisant les institutions représentatives, comme le parlement, à un rôle de façade démocratique tandis que les procédures électorales sont généralement tronquées. Quant aux formes non-étatiques d’organisation et d’initiative (presse, partis, syndicats, etc.), elles sont contraintes de faire allégeance à l’Etat sinon carrément prohibées. »

Si cet idéal-type de l’Etat bonapartiste proposé par Khiari ne se retrouvera sans doute pas tel quel chez un Zemmour candidat à la présidentielle, il y a tout de même fort à parier que ce dernier s’en rapprochera. Guère surprenant, donc, que d’aucun font du bonapartisme une sorte de pré-fascisme ou de fascisme avant l’heure. Gramsci, lui, se référait plutôt à César pour évoquer Mussolini – et parlait de « césarisme » (dans le Cahier 13) pour évoquer cette situation « dans laquelle les forces en lutte s’équilibrent de telle façon que la poursuite de la lutte ne peut aboutir qu’à leur destruction réciproque. » Le César (ou Bonaparte, c’est selon) a donc la tâche de jouer le rôle d’arbitre d’une situation historique « caractérisée par un équilibre de forces annonciateur de catastrophes ». Or, rajoute Gramsci, ce césarisme « n’a pas toujours la même signification historique (…) [C]e n’est pas un schéma sociologique mais l’histoire concrète qui peut établir la signification exacte de chaque forme de césarisme. »

Toutefois, si Zemmour se rêve en Bonaparte ou en César, cela signifie-t-il qu’il sera amené à jouer ce rôle ? Si celui-ci ne cesse de grimper dans les sondages, possède-t-il un appareil politique suffisant pour lui permettre de mener sa barque seule face au reste de la droite ? Tout comme la force de la gauche ne viendra pas d’un seul parti (aussi révolutionnaire soit-il) mais d’un assemblage complexe (et parfois conflictuel) de diverses forces politiques, intellectuels, appareils médiatiques, etc. … La droite visant à renforcer la France blanche ne pourra pas s’appuyer sur un seul camp ou parti mais devra, nécessairement composer avec la complexité des forces en présence (non seulement parmi les candidats à la présidentielle mais également parmi leurs nombreux soutiens dans les médias – de Pascal Praud à Jean Messiah). Zemmour ne sera donc sans doute pas le prince moderne de la droite raciste, ce dernier « ne peut être une personne réelle, un individu concret, il ne peut être qu’un organisme, un élément complexe de société dans lequel a commencé déjà de se concrétiser une volonté collective qui s’est reconnue et affirmée en partie dans l’action » (Cahier 13). Si cette volonté politique s’incorporait auparavant dans un parti politique, force est de constater que celle-ci prend aujourd’hui la forme d’une multiplicité de camps politiques, parfois en conflits mais dont l’objectif final reste le même : préserver l’identité blanche de la France.

Que Zemmour atteigne ou non le second tour de la prochaine présidentielle importe bien évidemment afin de pouvoir évaluer l’évolution du rapport de forces, mais dans tous les cas Eric Zemmour deviendra sans doute la figure de proue du camp raciste et nationaliste à droite. Il importe, néanmoins, d’identifier les options les plus à même de contrer cette montée zemmourienne. De ce point de vue, la prochaine élection présidentielle est une étape à ne pas négliger. Si nous ne sommes pas dupes de l’efficacité d’une campagne présidentielle sur le sort des indigènes, celle-ci nous semble tout de même essentielle afin de pouvoir évaluer la situation dans laquelle nous lutterons. Car si le camp antiraciste a, ces dernières années, subit quelques déconvenues, celles-ci ne signifient aucunement que l’antiracisme politique a disparu. Du résultat de la prochaine présidentielle dépendra donc certainement notre place dans la lutte politique. De ce point de vue, Mélenchon apparaît sans doute comme la chance la plus crédible de résister à la génération Z et à ses représentants.

Un point d’éclaircissement nous semble, ici, essentiel : si nous sommes au fait du fossé qui nous sépare de Mélenchon sur le plan politique et si nous n’avons pas vocation ici à donner des consignes de votes, il nous apparaît important de clarifier le point suivant : Mélenchon n’est pas Zemmour. Il en est même assez loin. Si Mélenchon prône toujours un programme républicain blanc, ces dernières années l’ont vu très largement évoluer (de manière positive) sur la police, les questions raciales et sur l’islamophobie en particulier. Par ailleurs : si l’on évalue la situation en fonction du rapport de forces véritable, il faut constater que Mélenchon est le seul à pouvoir opposer une alternative électorale crédible à la droite nationaliste et raciste. Si nous ne pouvons donc que souhaiter un glissement du rapport de forces vers Mélenchon, c’est qu’il est la seule condition de pouvoir rebondir dans de meilleures conditions. Car la constitution d’un bloc contre-hégémonique – capable d’unir la gauche et l’antiracisme politique – ne passera pas par des mots d’ordre, aussi radicaux soient-il, mais bien par une analyse du mouvement réel. La prochaine présidentielle n’est qu’un instant de ce mouvement, mais c’est cet instant qui déterminera, en partie, notre devenir politique et notre devenir tout court.

Laisser Un Commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *