Édito #42 – Colloque à la Sorbonne : les néo-cons à l’assaut de l’université

Campagne présidentielle oblige, la machine réactionnaire s’emballe. Non contents de monopoliser l’espace médiatique, de nombreux universitaires et intellectuels (Pascal Bruckner, Xavier Gorce, Pierre-André Taguieff, etc) se sont réunis à la Sorbonne pour un colloque intitulé : « Après la déconstruction ; reconstruire les sciences et la culture ». Adoubés par Jean-Michel Blanquer, encensés par plusieurs  médias, galvanisés par leur combat pour la République, ils se sont adonnés à leur passe-temps favori : la croisade contre le « wokisme », le « décolonialisme », le « deconstructivisme » …

Ces termes, jamais définis, devenus de véritables épouvantails, servent à légitimer un nouveau maccarthysme que certains appellent de leurs vœux. Les propos tenus, mélange d’ignorance, de violence et de médiocrité intellectuelle, témoignent d’une offensive liberticide sans précédent dans le monde universitaire.

Jean-Michel Blanquer a ainsi comparé les théories de Deleuze, Foucault et Derrida à un « virus ». Ce sinistre personnage avait déjà parlé de « l’islamo-gauchisme » comme d’une « gangrène » qui infecterait l’université. D’autres n’hésitent pas à qualifier les théories décoloniales, de genre à des « cancers » et des « plaies ».

L’utilisation du champ lexical de la maladie ne doit pas être pris à la légère. Il a en effet le mérite de la clarté. Il s’agit ni plus ni moins que d’extirper du corps social, des idées qui s’éloigneraient de la sainte doxa républicaine. Le temps n’est plus au débat démocratique, à la confrontation des idées, à la rationalité scientifique mais aux discours et aux pratiques martiales.

D’ailleurs, certains ne s’en cachent pas. La sociologue Nathalie Heinich réclame ainsi « un meilleur contrôle scientifique des productions fortement politisées ». L’appel à la censure et à la surveillance généralisée des étudiants ne pouvaient être plus explicites. Car qu’entend-elle par « contrôle scientifique » et « productions fortement politisées » ? On n’en saura rien. Sans doute est-ce le but poursuivi. Jouer sur l’ambiguïté, le flou, afin de justifier les mesures les plus arbitraires et répressives.

Ce contrôle servirait, in fine, à empêcher « qu’un enseignant ne puisse proférer que la Terre est plate ou qu’il existe un racisme d’Etat ». Le parallèle est audacieux. Il n’est pas moins profondément dangereux. Il sous-entend en effet, qu’il faille traiter sur un pied d’égalité une lubie anti-scientifique maintes fois démentie et une réflexion tirée d’une recherche scientifique rigoureuse. Et quand bien même un chercheur affirmant qu’il existe en France un racisme d’Etat se trompait, doit-on pour autant l’empêcher d’utiliser certaines catégories analytiques sous-prétexte qu’elles paraitraient choquantes voire provocatrices ? N’est-ce pas la raison d’être de l’université, par les savoirs qu’elle produit, que de créer du débat, de l’affrontement idéologique, quitte parfois à susciter le scandale ? A ce rythme-là, les termes « exploitation », « domination », « aliénation », « colonialisme » devront peut-être un jour eux aussi disparaître. En réalité, ce dont rêvent les contempteurs du « wokisme », c’est d’une université aseptisée, lisse, où seuls les savoirs qui ne remettent pas en cause l’ordre dominant devraient avoir droit de cité.

Mais plus encore que les propos tenus, ce colloque, organisé en pleine campagne présidentielle, illustre l’offensive de l’arc républicain, allant d’une partie de la gauche à l’extrême droite. L’idée est non seulement de peser dans les débats mais aussi – en atteste la présence de Jean-Michel Blanquer – faire pression sur les candidats pour qu’ils purgent l’université de ses éléments nuisibles.

Toutefois, si l’inquiétude face à de telles prises de positions est de mise, elle ne doit pas nous conduire à surestimer leur influence. La communauté académique, diverse, hétérogène est loin de partager en chœur leurs obsessions. De nombreux professeurs, présidents d’université ont régulièrement dénoncé les propos et procédés de leurs collègues. Et puis, si la fine fleur des universitaires néo-conservateurs possède un certain pouvoir de nuisance, elle est très souvent amplifiée et démultipliée par des médias complaisants. Ces derniers n’hésitent pas à les présenter comme de valeureux résistants au sein d’une institution assiégée et prise en otage par les « islamo-gauchistes ».

La messe est donc loin d’être dite. mais l’organisation d’un tel colloque doit nous alerter. Seul le rapport de force, à l’intérieur comme à l’extérieur de l’université, sera à même d’enrayer la spirale réactionnaire qui déferle sur le monde académique.

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