Samedi 5 février, Edwy Plenel a dit dans l’émission de Laurent Ruquier et de Léa Salamé qu’Éric Zemmour parlait des musulmans comme il y a 90 ans Hitler des juifs.
Plenel, évidemment, a raison, d’autant plus que Zemmour, particulièrement, semble éprouver un vif plaisir à singer le discours nazi dans ses grandes lignes d’avant même la prise du pouvoir, légale, du NSDAP (le parti nazi) en Allemagne. Serge Klarsfeld, figure pourtant consensuelle de la République française, l’a dit lui-même dans l’émission À l’air libre de Médiapart.
Lorsqu’en novembre 2019 a eu lieu une manifestation contre l’islamophobie, celle-ci a été la cible de nombreuses attaques sur fond diffamatoire. Le consensus médiatique et parlementaire dénonçait cette manifestation comme « islamiste », « communautariste », « antisémite » et nombre de ses participants, pour peu qu’ils soient en vue, ont été sommés de s’expliquer. Ainsi Mélenchon a-t-il été mis à l’amende sur France inter, tenu de se justifier et de redire qu’il condamnait les attentats contre Charlie Hebdo et l’Hypercacher.
Ce que dit justement Plenel est donc hélas la stricte et terrifiante vérité. Zemmour semble véritablement inspiré par les nazis dans ses discours. On peut même se demander s’il ne s’en nourrit pas sciemment dans une fascination doublée d’une haine de soi pour le Reich hitlérien. Lorsque Zemmour déclare aux policiers du syndicat d’extrême droite Alliance qui l’ont invité à un « oral » qu’il y a sur le sol national « deux civilisations » et qu’il faudra en « éliminer » une, il s’inscrit dans la rhétorique de la politique nazie comme Goebbels justifiant l’extermination des juifs par le fait, selon Goebbels lui-même, que si les juifs ne sont pas tous éliminés, alors ils élimineront les Allemands, les Aryens.
Aujourd’hui, le consensus est islamophobe. Il est dommage en ce sens que Serge Klarsfeld ne dise que maintenant ses vérités sur l’analogie inquiétante entre musulmans désignés comme ennemis intérieurs par l’extrême-droite et juifs jetés à la vindicte par les nazis (mais aussi par Drumont et Barrès, en France, au début du siècle dernier). C’est dommage car Zemmour n’a pu prospérer que sur ce consensus raciste. L’état actuel de l’opinion n’est dramatique que parce que les clivages dans la plupart des partis parlementaires français ne relèvent que du degré d’islamophobie et non de sa dénonciation. Le PS n’a pas défilé contre l’islamophobie en novembre 2019 et le Printemps républicain est aligné sur l’extrême-droite comme s’en est par exemple réjoui Jordan Bardella du RN.
Quant aux organisations musulmanes paraétatiques, Darmanin les oblige à dire que non, il n’y a pas d’islamophobie d’État.
Dire, comme nous étions quand même quelques-uns à le faire, que l’islamophobie est le pendant conjoncturel de l’antisémitisme est immédiatement dénoncé comme…antisémite.
Rappelons pourtant, à ce sujet, la polémique odieuse contre Esther Benbassa qui aurait posé avec des jeunes filles portant des étoiles jaunes renvoyant donc la situation des musulmans de ce pays aujourd’hui à celle des juifs en Allemagne dans les années 1930. Cette polémique a duré des jours voire des semaines et il était en vérité interdit, impossible, d’y répondre dans des médias mainstream où les musulmans sont assimilés à des terroristes et l’islamophobie à un impératif démocratique.
La perversion politique et historique est totale.
Au nom du devoir de mémoire par ailleurs largement obscurci par l’incapacité de la France à regarder la régime de Vichy et l’histoire coloniale en face, l’islamophobie est le nec plus ultra du philosémitisme français, selon lequel, plus on dénonce l’antisémitisme des Musulmans, plus on se blanchit de tout soupçon d’antisémitisme. Le discours républicain sur le crime nazi (mais aussi de l’État français) est une résonance de celui de Netanyahu faisant du grand Mufti de Jérusalem l’inspirateur du génocide perpétré par les nazis. C’est une antienne subtilement négationniste.
Ainsi, il y a quelques jours, lors d’une semaine particulièrement islamophobe sur France inter, Marc Lazar, co-auteur d’un rapport sur les jeunes et la politique, s’étonnait de ce que les Musulmans se sentent stigmatisés. Cela venait peu de jours après l’invitation sur la même radio des auteurs – dont un proche de LR – d’un rapport sur l’antisémitisme notamment commandé par une organisation sioniste – l’AJC France – dont la conclusion était que l’antisémitisme en France venait des Musulmans.
Les Musulmans de France voient déversée sur eux la mauvaise conscience d’un pays de longtemps antisémite (La France juive d’Édouard Drumont, best-seller en son temps, préfigure l’antisémitisme nazi) en plus d’une volonté de revanche coloniale.
Mais penser, au-delà du caractère scandaleux de cette « pensée », que cette mauvaise conscience en réalité inépuisable se cantonnera aux Musulmans et épargnera les Juifs est une erreur. Il suffit, pour en prendre conscience d’écouter les propos de Zemmour remettant en cause l’innocence de Dreyfus ou ceux, tout récents, de l’éditorialiste Rioufol du Figaro, sur le Ghetto de Varsovie. Celui-ci aurait été créé pour protéger des « contaminants » (sic) du typhus. Mais qui étaient donc les « contaminants » selon la propagande nazie ?
Suivez le regard de Rioufol.