Les moyens déployés par le pouvoir en place pour parvenir à ses fins fait entrer la France dans une nouvelle ère, de guerre ouverte contre les classes subalternes du pays.
La réforme des retraites aura été une arnaque du début jusqu’à la fin. Bien évidemment, sur le fond de l’affaire, l’on sait qu’elle n’était pas destinée à répondre à une quelconque utilité sociale, mais à satisfaire les appétits de la bourgeoisie financière. Cette dernière n’en finit pas d’exiger des peuples qu’ils travaillent plus, plus longtemps, pour maintenir ou accroître ses rentes du capital.
Mais au-delà du fond, c’est bien la forme ou, autrement dit, la méthode, qui caractérise la séquence politique actuelle. Cette méthode, c’est celle du mensonge, de la dissimulation, de la duplicité, dont tous les traits ont été employés pour aboutir à la promulgation de la loi le 14 avril 2023 – à l’arrivée de la nuit, ce qui n’est pas fortuit.
Tout débute lors de l’issue de l’élection présidentielle d’avril 2022. Le candidat Emmanuel Macron souhaitait alors reporter l’âge de départ à la retraite à 64 ou 65 ans. Cependant, face à l’évidence de sa victoire non pas grâce à une adhésion populaire à son programme mais à un « barrage » contre l’extrême droite, celui-ci fût contraint d’admettre que « ce vote m’oblige pour les années à venir ».
Que nenni ! Ni une, ni deux, dès le 3 juin suivant son élection, et avant même le renouvellement de l’Assemblée nationale, le président Macron a assuré que la réforme des retraites serait mise en œuvre avant l’été 2023. Peu importe, donc, le choix qui serait fait par les électeurs dans les urnes des législatives à suivre. À cet égard, l’absence de majorité absolue ne l’a pas freiné dans ses ardeurs.
Il s’est néanmoins un peu trop précipité, même pour son propre camp. Macron voulait introduire la réforme des retraites dès l’automne 2022, dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2023. François Bayrou lui-même avait alors mis en garde l’exécutif contre un tel « passage en force ».
C’est qu’il fallait bien garder les apparences de la concertation avec les syndicats qui, s’ils ont été dûment conviés à de nombreuses réunions au ministère du travail, ont cependant systématiquement fait face à un mur : la réforme sera présentée, que vous le vouliez ou non.
Arrive alors la présentation officielle du projet de loi en janvier 2023 et, avec lui, un arsenal complet destiné à tromper et tordre le bras à la représentation nationale, et à la société tout entière – qui y est opposée à 70 %.
C’est d’abord le choix du véhicule législatif qui signale la brutalité à venir. Le Gouvernement a choisi un projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023, plutôt qu’un projet de loi ordinaire. Ce qui lui permettait de recourir de manière illimitée au 49.3, qui venait d’être utilisé pas moins de dix fois par Élisabeth Borne pour le budget de l’État et le financement de la sécurité sociale. Et alors pourtant que la réforme des retraites ne vise en réalité pas à financer le régime de sécurité sociale mais à imposer un certain rapport social au travail.
Ce sont ensuite des manœuvres contraires à la sincérité des débats parlementaires qui ont été employées. Dès le 19 janvier, le Conseil d’État, conseiller juridique du Gouvernement, a alerté ce dernier sur le fait que l’index sénior n’avait pas sa place dans un projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale, et qu’il était donc inconstitutionnel. Les ministres ont cependant dissimulé cet avis du Conseil d’État (qui n’a été révélé que le 15 avril, par Jérôme Guedj), et ont promu pendant des mois cet index comme une mesure d’ « équilibre », de progrès social, pour amadouer les citoyens et les parlementaires. L’index sénior a, sans surprise, été censuré par le Conseil constitutionnel.
Se sont enfin succédés des dispositifs dérogatoires au débat parlementaire normal, avec l’usage de l’article 47.1 de la Constitution, qui permet de réduire de manière drastique la durée des discussions dans les deux Chambres, et le fameux article 49.3, qui conduire à faire adopter un projet de loi sans vote par les députés.
Et c’est sur ce dernier point que la colère populaire s’est cristallisée. Jusqu’alors, tous les gouvernements qui avaient eu recours au 49.3 l’avaient fait en disposant de la majorité absolue à l’Assemblée. Cet outil pouvait alors être utilisé pour accélérer l’adoption d’une loi, ou pour réunifier la majorité présidentielle, tout en conservant une certaine légitimité démocratique du texte. Ici toutefois, Emmanuel Macron, qui ne disposait que d’une majorité relative et était sur le point de ne pas réussir à rassembler suffisamment d’élus LR pour voter la loi, a procédé à un contournement radical de l’esprit du parlementarisme : alors que le dénouement normal d’une telle situation aurait dû être le rejet de la réforme, faute de majorité pour la voter, celle-ci a été passée en force.
C’est à ce moment précis que les débordements ont débuté, que les poubelles ont pris feu, que les boulevards parisiens ont été retournés et les commissariats, préfectures et mairies de province incendiés, que les affrontements avec les forces de police se sont installés. Plus encore, pour la première fois, l’opinion publique a compris et excusé la violence des manifestants.
Tout observateur politique doit prendre en compte le fait que ce qui a démultiplié les forces de la mobilisation, c’est, outre la nature anti-sociale du projet de réforme, la méthode anti-démocratique employée par le pouvoir pour parvenir à son adoption. C’est ce qui explique le discours politique de la France insoumise, Jean-Luc Mélenchon ayant immédiatement pointé, une fois rendue la décision du Conseil constitutionnel, l’opposition entre les besoins de « la monarchie présidentielle » et ceux « du peuple souverain ».
La séquence politique actuelle marque à n’en pas douter un tournant dans la vie démocratique de ce pays. La France apparaît de plus en plus dirigée par un clan qui s’autonomise de la société civile et s’oppose à elle.
L’assaut généralisé mené actuellement contre la Ligue des droits de l’homme en est la concrétisation-même. Pour avoir publiquement soutenu les victimes éminentes de l’islamophobie d’État que sont le CCIF et l’imam Iquioussen, l’association plus que centenaire dont la seule dissolution qu’elle connut fut l’oeuvre du régime de Vichy, est aujourd’hui menacée dans ses financements par le Gouvernement. L’on rappellera que la Ligue a été créée pendant l’affaire Dreyfus, ce qui révèle l’hypocrisie de l’État qui, prétendant pourtant que la lutte contre l’antisémitisme lui est cher, menace l’organisation qui symbolise ce combat. Islamophobie et antisémitisme partagent bien une matrice commune.
Pour le pouvoir, en somme, l’on est soit avec lui (au soutien des intérêts de l’État capitaliste et racial), soit contre lui. Autrement formulé, il ne saurait y avoir de choix démocratique contre le libéralisme économique et le racisme d’État.
Si la guerre peut être définie comme un acte de violence destiné à imposer sa volonté à autrui, alors Emmanuel Macron vient d’inaugurer une ère de guerre ouverte contre les classes subalternes de ce pays.