Vous pouvez retrouver cette chronique dans le 33e numéro de « La Perm’ » en cliquant ici.
Les images d’Épinal travestissent souvent la vérité, c’est bien connu. Il en va ainsi de la fameuse histoire du coup d’éventail d’Alger prétendument administré au consul de France Pierre Deval par le Dey Hussein, le 30 avril 1927, raison supposée de l’invasion du beau pays d’Algérie. Une variante évoque une invasion organisée « pour défendre la Chrétienté des pirates barbaresques ». Cependant, rarement la vérité historique n’aura été aussi tordue et étouffée que dans ce cas d’espèce.
Et si cette invasion, loin d’être une réaction à chaud d’un honneur national bafoué, avait été une opération méditée de longue date avec comme objectif peu avouable le rapt d’un fabuleux trésor de la Régence d’Alger sis dans ladite « Dar el mal » hôtel des finances ? Et si cette manne entreposée dans les caves de la Casbah d’Alger avait eu comme destination d’origine les caisses du roi Charles X, puis, celui-ci ayant été évincé pour cause de révolution, celles de son successeur Louis-Philippe ? Et si ce pillage avait eu comme autres profiteurs certaines grandes familles de ce pays ?
C’est là une thèse ancienne de l’historien communisant Marcel Emerit sur la foi d’un rapport de police de 1852 concernant l’or de la Régence, affirmant que « des sommes très importantes avaient été détournées et qu’une grande partie de ces spoliations avaient abouti dans les caisses privées de Louis-Philippe ». Celle-ci sera reprise par le fameux historien spécialiste de l’Algérie Charles André Julien, avant d’être adoptée après étude par l’écrivain algérien Amar Hamdani en 1985. Enfin, pour finir, c’est le journaliste Pierre Péan qui apportera les détails encore méconnus de ce gigantesque fric-frac dans son ouvrage Main basse sur Alger : enquête sur un pillage (juillet 1830) (Chihab éditions, 2005).
Ainsi donc le maréchal de Bourmont se présente le 5 juillet 1830 devant Alger à la tête d’une flotte considérable de 450 navires. S’ensuivirent des combats acharnés qui n’empêchèrent pas après Sidi Fredj, la plage du débarquement, les troupes françaises de mettre le cap sur la Casbah, où étaient entassées environ 50 tonnes de pièces d’or et plusieurs centaines de tonnes d’argent. Un butin chiffré à plus de 500 millions de francs de l’époque, l’équivalent de 5 milliards d’euros. En fait l’idée était si précise qu’il semble qu’un véritable commando de soldats avait comme mission de se diriger au plus vite vers la Casbah, de mettre la main sur le trésor qui occupait de nombreuses caves et de le charger sur les navires sans tarder. Toujours ça de pris au cas où les troupes au drapeau tricolore auraient dû se réembarquer en catastrophe.
L’élément nouveau dans l’ouvrage de P. Péan est qu’une partie du butin s’est bien vaporisée et a bien été partagée entre les dirigeants français, hommes politiques, banquiers, industriels et généraux, le maréchal de Bourmont, les familles Sellière, De Wander, Schneider, etc. Évidemment, tout a été fait pour que le scandale n’en soit jamais un, durant un siècle et demi. Quant à la France officielle, celle de l’humanisme et des Lumières, elle n’a évidemment jamais reconnu cet acte de brigandage international auquel il faut ajouter tout ce que la France a pu dérober comme vestiges et trésors archéologiques. Sans parler de la mise en coupe réglée de tout un pays jusqu’en 1962.
Gageons que cet épisode peu glorieux ne figurera pas dans le rapport sur la guerre d’Algérie que le ci-devant Benjamin Stora doit remettre à Macron le 20 janvier 2020.
Illustrations :
- Combat de la prise d’Alger, 5 juillet 1830
- Le trésor d’Alger
- Invasion de l’Algérie par l’armée française, 14 juin/5 juillet 1830