La Chine et son insolente expansion économique ne cessent de susciter en France les épithètes les plus outrancières quand ce ne sont pas des accusations relevant des heures les plus sombres du « péril jaune ». Chacun y va de son couplet sur ladite « fourberie chinoise » prétendument ontologique. Des comptoirs de bistrots aux salons de l’Assemblée nationale c’est un unanimisme d’où émerge cette poignante interrogation « mais qu’avons-nous donc fait à la Chine pour qu’elle veuille nous chiper notre Afrique ! ». Victime du jeu économique inventé par lui-même, l’Occident ne comprend pas que la Chine en ait compris si vite les règles et qu’elle les lui applique avec une telle rigueur.
Pourtant si un pays a de bonnes raisons de se plaindre de l’autre ou plutôt des autres, c’est bel et bien la Chine. Elle qui tout au long du XIXe siècle subit les méfaits des huit principales puissances de l’époque que sont l’Autriche-Hongrie, l’Allemagne, l’Italie, le Japon, la Russie, les Etats-Unis, mais surtout la France et le Royaume-Uni. Toutes désireuses de se tailler des fiefs et privilèges commerciaux en territoire chinois, usant de leur supériorité militaire absolue pour établir progressivement leur domination sur l’empire du Milieu. Sous les prétextes les plus fallacieux, le Royaume-Uni et la France profitant des troubles intérieurs et révoltes sociales qui agitent ce pays lui imposent « les traités inégaux » avec entre autres la cession aux puissances occidentales de comptoirs commerciaux sur la côte chinoise.
La première guerre de l’opium (1839 à 1842) déclarée par le Royaume-Uni à la Chine dont le but était d’imposer à ce pays la consommation d’opium britannique en provenance de l’Empire des Indes puis la seconde guerre de l’opium (1856 à 1860) menée de concert avec la France sur fond de révoltes internes comme la révolution des Taiping (1851 à 1864) ou la révolte des Boxers (1899 à 1901) font des millions de victimes chinoises et rapportent aux agresseurs un butin considérable. La seule révolte des Taiping où la France et le Royaume uni se tiennent aux côtés de l’empereur fait de 20 à 30 millions de victimes.
Pourtant, plus que le pillage économique ou la prise de fortifications, un évènement terrible sur lequel planent encore certaines zones d’ombre illustre bien le mépris que ces puissances ont entretenu à l’encontre de cette civilisation. Pour contraindre l’empereur de Chine Quing à mettre en application sans tarder les traités signés entre 1842 et 1958 qui accordaient aux anglo-français et aux autres puissances des privilèges commerciaux exorbitants, leurs deux armées conviennent d’un débarquement commun en 1860. Le commandement en chef des troupes françaises est entre les mains du général Cousin-Montauban, un ancien des guerres d’Afrique et le commandement général aux mains du baron Gros. Le corps expéditionnaire anglais a lui à sa tête Lord Elgin et le général Grant pour la direction militaire.
le 7 octobre 1860 les troupes alliées se trouvent aux abords du Palais d’été de Yuen Ming Yuen près de Pékin. Et là les deux compères organisent le pillage en bonne et due forme de toutes les richesses qu’il contient. Il faut considérer ce palais d’été de l’empereur comme tout à la fois Versailles, Buckingham palace, le Louvre, la Bibliothèque nationale et le British Museum tant pour la beauté et le raffinement inouï des bâtiments, des dizaines de pavillons, lacs, ponts, îles artificielles, que par leur contenu. Il s’y trouve alors près d’1 million et demi de pièces de valeurs. Etoffes de soie, de brocart, vêtements d’apparat par centaines, meubles laqués, vases, pots, fontaines de bronze, vaisselles d’or, d’argent, porcelaines des plus luxueuses, objets de décoration, bijoux d’or, de pierreries, de jade par centaines de milliers etc. De plus s’y trouvent tous les vestiges de l’antiquité chinoise, parchemins, cartes, livres très rares, archives impériales.
Le 18 octobre 1860, pour venger la torture et la mise à mort d’otages franco-britanniques, les troupes britanniques décident, en plus du sac, d’incendier le palais d’été. Il faudra 3500 soldats du génie britannique pour mener à bien cette destruction, l’incendie dura 3 jours. Celle-ci est considérée jusqu’à aujourd’hui comme le symbole de l’agression et de l’humiliation suprême infligées à la Chine par l’Occident. D’autant qu’en 1900 lors d’une nouvelle invasion de la Chine les troupes anglo-françaises pour en finir totalement avec ce symbole de la magnificence chinoise, incendièrent les bâtiments restés debout.
Une fois le Palais d’été rasé, les soudards laissent une inscription : « Ceci est la récompense de la perfidie et de la cruauté ». Charles Gordon, un des officiers britanniques chargés de l’incendie écrira :
« Vous pouvez à peine imaginer la beauté et la magnificence des lieux que nous avons brûlés. Ça brisait le cœur de les brûler ; en fait, ces lieux étaient si grands, et nous étions tellement pressés par le temps, que quantités d’ornements en or ont été brûlés, considérés comme étant en laiton »
Victor Hugo qui pourtant en avait vu d’autres, quant à lui résumera ainsi la destruction du palais :
« Cette merveille a disparu. Un jour, deux bandits sont entrés dans le Palais d’Été. L’un a pillé, l’autre a incendié. […] Nous, Européens, nous sommes les civilisés, et pour nous, les Chinois sont les barbares. Voilà ce que la civilisation a fait à la barbarie. Devant l’histoire, l’un des deux bandits s’appellera la France, l’autre s’appellera l’Angleterre »9,b. La Chine ces dernières années a demandé la restitution de son patrimoine dispersé dans plus de 47 pays. En France de nombreuses familles bourgeoises se transmettent entre générations des pièces de ce sac. Chaque mois les principales salles de vente du monde mettent aux enchères des pièces de ce gigantesque pillage. L’un des plus grands crimes culturels de l’histoire humaine.