Bâtir un mouvement climatique anti-impérialiste

Dans son dernier livre, A People’s Green New Deal, Max Ajl défend l’idée qu’il faut mettre l’agriculture et les luttes du Tiers-Monde pour l’autodétermination au cœur des politiques environnementales. Il propose une analyse radicale, souvent accablante, des tentatives limitées du Nord global d’atténuer et de s’adapter au réchauffement mondial. L’éco-nationalisme, l’éco-modernisme, la social-démocratie verte et les itérations socialistes démocratiques en faveur d’un Green New Deal sont tous passés au crible et se trouvent tous pris en défaut. Chacun à leur manière, affirme Max, ils restent trop attachés à ce qu’Ulrich Brand et Markus Wissen nomment « le mode de vie impérial ». Un mode de vie fondé sur la subordination du Sud global aux besoins, à la volonté et aux désirs du Nord global. Et chacun, à leur manière, nie l’étendue de la crise sociale et économique à laquelle nous sommes confrontés.

Afin de répondre à cette question, Max se tourne vers les luttes du Sud global. Il y trouve les contours d’une réponse alternative à l’effondrement climatique enraciné dans les pratiques agroécologiques paysannes, les réparations climatiques et les luttes pour l’autodétermination. Plus qu’une critique, alors, le livre de Max est un appel de poids et provoquant qu’il nous lance, à nous dans le Nord global, de reconsidérer la manière dont nous luttons pour la justice sociale et climatique.

Dans cet entretien, Kai Heron discute avec Max de son livre et de l’importance de mettre l’agriculture et les luttes du Tiers-Monde pour l’autodétermination au cœur des politiques environnementales.

 

Kai Heron : Peut-être pouvons-nous commencer par une simple question. Il existe déjà au moins cinq livres disponibles imaginant ce à quoi un Green New Deal (GND) pourrait ressembler. Qu’est-ce qui t’a motivé à en écrire un autre ? Et étant donné que tu es très critique envers les cadres de GND déjà existant – y compris de l’américano-centrisme du nom lui-même – pourquoi as-tu décidé de réimaginer le contenu du GND plutôt que d’appeler à quelque chose d’entièrement différent ?

Max Ajl : D’abord, il est extrêmement clair que depuis fin 2018, l’idée d’un GND interagit d’une manière étrange avec le débat public, avec l’invention d’Alexandria Ocasio-Cortez en tant que socialiste démocratique. Son GND et celui d’Edward Markey ont immédiatement été brandie comme éco-socialiste et toute la question de l’impérialisme et de l’accumulation inégale a été entièrement ignorée. Il est rapidement devenu clair qu’une intervention était nécessaire qui soulignerait les demandes émanant du Tiers-Monde et des besoins développementaux du Tiers-Monde, et qui pourrait faire basculer la discussion hors du cœur impérial d’une sorte de soutien modéré à la social-démocratie impérialiste, verte ou autre.

En ce qui concerne la ré-imagination du GND : l’idée du GND a capté l’attention des gens. Ceci est, bien sûr, lié au pouvoir des médias et de la publicité capitalistes ainsi qu’à l’allure persistante d’une notion romantisée du New Deal étatsunien, cisaillant toute menace communiste comme ayant été une composante majeure du pacte social étatsunien. Mais je suis quelque peu populiste et je n’ai aucun problème à rencontrer les gens où ils sont, du moins sous une certaine forme.

Toutefois, ou de plus, le livre s’intéresse à nombre de discussions autour d’un GND, tout en clarifiant leurs fossés, absences et limites. Par ailleurs, je pense qu’il y a un besoin prolongé d’imaginer – même via l’abolition ou la décolonisation, voire les deux – quel type de société peut être bâtie sur les terres actuellement occupées par les Etats-Unis. Je pense que beaucoup de personnes cherchent les formes qu’une telle société pourrait prendre, y compris en imaginant comment celle-ci pourrait être réellement internationalistes et être une république pour ses habitants. C’est donc pour ces raisons que j’ai nommé ce livre A People’s Green New Deal.

 

K.H. : Ton livre reprend l’appel de Colin Duncan afin que les marxistes mettent l’agriculture au centre de leurs luttes pour le communisme. Pourquoi penses-tu que c’est important ? Et qu’est-ce que le fait de mettre l’agriculture au centre apporte à ton analyse, qui soit peut-être ignoré par ceux qui négligent le secteur en faveur de sujets plus communs comme les transitions vers l’énergie verte ?

M.A. : Il a toujours été clair pour moi que si vous voulez bâtir un monde durable, égalitaire et juste, vous devez prendre soin des bases et bâtir une fondation solide : vous devez faire attention à la terre. L’agriculture est la technologie historique par laquelle l’humanité a pris soin de la terre tout en érigeant des civilisations complexes – bien que nombre étaient sauvagement hiérarchiques. C’est-là le point le plus général.

L’agriculture est également connectée à tout un éventail de ruptures écologies, au sens le plus large. Elle est spécialement intimement connectée au changement climatique. On estime qu’entre un sixième à plus d’un tiers d’émissions dans le monde sont liées au système alimentaire, ce qui est ahurissant, étant donné que l’agriculture est, en principe, une activité absorbant du carbone de dioxyde. En effet, l’agriculture est probablement capable de fonctionner entièrement sans dioxyde de carbone et en utilisant environ 10%, certains vont jusqu’à 30%, des émissions mondiales annuelles. Nous n’en savons rien, étant donné que le capitalisme surdétermine l’épistémologie. Il n’est pas profitable, bien que cela aurait bénéficié à l’humanité pauvre, de savoir comment des formes durables de paysannerie pourraient faire baisser le CO2 excédentaire dans l’atmosphère.

De plus, l’agriculture industrielle capitaliste est le moteur principal de la destruction de la biodiversité, via les pesticides, la déforestation et, plus généralement, la destruction de l’habitat. C’est l’un des fronts écologiques, et il est clairement urgent – et possible – de reconstituer l’agriculture sur des bases entièrement souveraines et écologiques. Les rendements par unité de terre augmenteraient sous la production agroécologique du Tiers-Monde et aurait à faire face à une diminution relativement petite – autour de 25% au plus des cultures céréalières – dans le Premier Monde, qui produit un surplus massif de céréales, notamment le maïs qui est utilisé pour nourrir des animaux ou transformé en éthanol ou sirop de maïs.

Mettre l’agriculture au premier plan et au centre est également le moyen d’imaginer et de bâtir une convergence développementale entre le Premier et le Tiers Monde. Dans ce dernier, plaider en faveur du fait de mettre l’agriculture au premier plan et au centre a une justification assez claire : l’agroécologie, avec des réformes agraires et de la bonne technologie rurale, augmenteraient la santé écologique globale, la consommation de nourriture saine per capita et ouvriraient les marchés intérieurs, tout en procurant les entrées premières organiques pour une industrialisation souveraine. Le revers de la médaille est que le Nord qui repose actuellement sur les exportations tropicales du Sud, comme le café, les fruits et légumes hors-saisons, l’huile de palme, aurait besoin de trouver des équivalents domestiques, ou de payer un juste prix pour l’exportation de marchandises du Tiers-Monde. Cela impliquerait une attention plus accrue aux systèmes fermiers du Nord et, peut-être – je ne sais pas – que plus de personnes s’impliquent dans l’agriculture, et s’impliquent certainement plus dans l’aménagement du sol.

Mettre l’agriculture au centre nous rappelle alors que l’impérialisme, le colonialisme et la surindustrialisation ont bâtis le monde d’une manière très spécifique, dans laquelle il était possible d’imaginer l’ignorance des tendances de la terre. Ce type d’aliénation doit être défait.

 

 

K.H. : En lisant A People’s Green New Deal, je me suis souvenu d’un vieux débat au sein des études agraires critiques entre des marxistes agraires comme Henry Bernstein, Terence Byers et Tom Brass qui puisent chez Karl Kautsky et Lénine et ceux que l’on nomme parfois les populistes paysans comme Jan Douwe van der Ploeg et Miguel Alteri qui ont été inspiré par Alexander Chayanov. A People’s Green New Deal semble osciller entre ces traditions. L’importance de Marx dans ton travail est évidente, pourtant même le nom de ton livre semble se référer à une influence populiste. Le livre ne s’appelle pas un « Green New Deal ouvrier » ou un « Green New Deal anti-impérialiste ». Penses-tu que cette assertion soit exacte ?

En même temps, ton travail doit beaucoup à des chercheurs liés au journal Agrarian South : Samir Amin, Sam Moyo, Paris Yeros, Utsa et Prabhat Patnaik, pour n’en citer que quelques-uns. En quoi cette tradition contribue-t-elle à ta pensée et aux luttes pour la justice climatique ?

M.A. : Là où le marxiste a le mieux réussi, il a été capable d’adopter et de refaçonner le jargon et les demandes populistes et nationalistes au service de transformations révolutionnaires mondiales. Il n’est que de penser à la capacité qu’avait Ho Chi Minh à synthétiser le nationalisme et le communisme en une théorie de la révolution nationale-populaire, à la focale mise par Amilcar Cabral sur la culture nationale et la capacité à s’adresser à des traditions nationales de Guinée-Bissau, à l’adoption par Lénine d’une partie de la rhétorique du  populisme russe et, plus récemment, à la capacité brillante qu’avait Hugo Chavez d’absorber et de réoutiller l’héritage nationaliste révolutionnaire de l’Amérique latine et particulièrement du Venezuela pour aider les objectifs chavistes de transformation révolutionnaire. Dans chaque cas, leurs rares dons politiques tendaient à interagir avec une capacité à parler avec, à et pour un peuple, bien que définit.

Au centre, il y a clairement un problème de clarification d’un projet populaire internationaliste, anticolonialiste et anti-chauvin. Il est plausible, mais peut-être pas possible, que les centres puissent être reconstitués comme des républiques populaires pour leurs habitants, plutôt que, comme c’est actuellement le cas, de tendre vers des Etats de Herrenvolk. Cela nécessiterait, certainement, de s’inspirer des mouvements noirs et indigènes des Etats-Unis, par exemple, pour lesquels le nationalisme révolutionnaire a été la grammaire de la lutte pendant très longtemps. Je pense, ainsi, que la tradition populiste offre une riche rhétorique et un riche imaginaire pour les pratique politiques actuelles, bien qu’avec des critiques connues, bien que souvent stériles, de fragiles marxismes métropolitains.

Chayanov ainsi que Miguel Altieri, qui le suit dans cette voie, ont eu le génie de prendre la vie paysanne et les connaissances paysannes, selon leurs propres termes, et d’y trouver des ressources pour la transformation révolutionnaire dans ces modes de vie, se focalisant moins sur la culture ou « le peuple » en soi que sur a production matérielle. Leurs propositions étaient souvent brillantes. Chayanov en appelait à décentraliser la culture en une utopie paysanne d’une manière présageait l’appel de Mao à équilibrer la croissance rurale et urbaine, tout en imaginant des moyens de bâtir organiquement à travers des coopératives dans les campagnes. Au-delà de ça, l’attention agroécologie envers la logique et la promesse des systèmes agraires traditionnels, on trouve l’un des courants majeurs de la recherche développementale populaire-paysanne des dernières 40 années, qui a pourtant principalement souffert de la négligence du marxisme métropolitain.

Nous avons besoin d’une nouvelle fusion capable de prendre le meilleur de cette dernière tradition tout en s’assurant de garder la classe et l’impérialisme au cœur. En ce sens, le vaste éventail de pensée que l’on peut construire comme populisme doit être perçu comme une correction externe au marxisme, une correction externe qui, selon les mots de Richard Levin vient « d’un extérieur déjà influencé en partie par le marxisme », un extérieur que « l’on accueille autant qu’on y résiste. »

Mettre la question de l’impérialisme au centre tout en reconnaissant l’importance de la nation a été une contribution centrale du projet Agrarian South, y compris leur reconnaissance de la centralité absolue du nationalisme radical noir au Zimbabwe dans la mise en place de la plus importante redistribution de richesse post-Guerre froide. Si un peuple marche aux côtés d’une nation, on peut clairement voir que le nationalisme populaire a été une composante centrale des transformations réellement existantes quant à qui détient la richesse dans le monde aujourd’hui.

 

K.H. : Autant que je sache, ton livre est le premier sur le GND à s’attaquer à la traditionnelle question marxiste de la division entre les villes et la campagne. Je suis pleinement d’accord qu’il s’agit-là d’une question urgente pour les radicaux de tout type aujourd’hui. Mais pourquoi était-il aussi important pour toi de t’attaquer à cet enjeu et pourquoi penses-tu que d’autres l’ont négligé ?

M.A. : Le GND a émergé en tant que proposition du nord pour la transformation écologique et social-démocrate ou pour la demande de gestion keynésienne. Le nord n’est plus particulièrement agraire et, en effet, les projets agricoles sont tournés en dérision. Il me semble que le marxisme académique haute couture le plus important a, en fait, été imbibé de la théorie de la modernisation et considère, d’une manière ou d’une autre, que le Nord a réussi, ou du moins partiellement, sa transition vers une société industrielle et urbaine. Concernant le Sud, moins on en dit, mieux c’est.

On semble passer à côté du fait que notre société est profondément aliéné, écologiquement destructrice, vorace quant à sa consommation de la nature non-humaine et joyeusement ignorante de l’impact de l’accumulation du Nord et de la consommation de la majorité sur la planète, au point que la plupart des écrits sur un GND du Nord ignorent simplement l’agriculture ou embrassent des schèmes coloniaux ou fascistes de nettoyage ethniques de populations nomades, via l’occultation de la savane en arbres ou autres « solutions ». Cela est simplement dû au fait qu’ils ne savent ou ne se soucient pas de ce qu’il se passe dans la campagne. Ainsi, si l’être détermine la conscience, le lieu métropolitain de la plupart des marxistes du Nord semble être loin de pouvoir expliquer pourquoi l’agriculture et la division ville-campagne sont ignorés ou tournés en dérision, s’inscrivant dans le biais anti-rural du marxisme occidental dans son ensemble.

 

K.H. : A People’s Green New Deal oppose un argument moral percutant au GND tel que conçu par les socialistes démocratiques et les progressistes. Tu montres de manière très convaincante que ce type de GND repose sur le fantasme d’une « croissance verte » et sur le vol, le pillage et l’exploitation des terres et de la main d’œuvre du Sud global. Mais à quel penses-tu que nous verrons quelque chose comme un GND progressive qui serait cyniquement adopté par les Etat impérialistes durant les prochaines années ? Et que peuvent ceux d’entre nous qui s’opposent au capitalisme vert comme solution à la crise climatique ?

M.A. : Alors que la pression populaire dans le Nord se fait de plus en plus forte pour une redistribution et pour s’attaquer à la crise climatique, nous verrons sans aucun doute des mesures prophylactiques : c’est-à-dire une social-démocratie verte. Je pense qu’Ocasio-Cortez était un avant-goût de cela et beaucoup, comme Naomi Klein, semble s’être portés volontaire pour servir d’émissaire d’AOC afin de la représenter comme une alliée dans la lutte contre le capitalisme, le colonialisme, etc. La menace est donc tout à fait réelle.

Quant à ce que nous pouvons faire pour arrêter cela, il faut concrètement identifier ses mécanismes, exposer les plans eux-mêmes et, si nécessaire, identifier ceux qui présentent ces plans comme anti-systémiques ou anticapitaliste à la gauche progressiste ou social-démocrate. Ce type de contre-insurrections advient dans l’histoire : ce n’est pas juste « le système » ou une intelligentsia naïve bien intentionnée mais confuse qui produit ces mensonges. Ceux-ci émergent concrètement, avec des lignes claires de responsabilité. Il faut, en premier lieu, les identifier puis constituer un pôle séparé de force organisationnelle qui peut, dans les faits, les arrêter.

 

K.H. : A People’s Green New Deal appelle le Nord global à rembourser sa dette climatique accumulée au Sud global. Je suis d’accord que c’est essentiel aux luttes pour la justice climatique. Mais dès que cet argument est mis sur la table, il y a toujours ceux qui disent qu’il est impossible de rallier les travailleurs du Nord global autour de la solidarité avec le Sud global avant que les conditions de la classe ouvrière du Nord global se soient améliorées : accès universel au système de santé, des emplois verts syndiqués, et ainsi de suite. Que fais-tu de ces arguments ? Et en quoi la solidarité entre le Nord et le Sud est-elle concrètement possible aujourd’hui ?

M.A. : Je pense que ceux qui ne veulent pas discuter ces questions devraient se demander s’ils ne sont pas davantage investis dans le colonialisme que ce qu’ils sont prêts à admettre publiquement. Prenons le système de santé, un sujet dont je traite dans le livre. Cuba arrive à de meilleurs résultats dans la santé car il y a davantage de médecins par habitants, il y a une attention portée à la communauté et il y a un système de santé préventif et peu cher plutôt que réactif, cher, inefficace, lourd en biens industriels et inefficace. Ce sont là des questions de modèles. Un modèle repose sur les aptitudes humaines, le savoir et les soins et peut-être fait par des méthodes relativement légères en ressources. L’autre modèle repose sur toute cette technologie plus massive et donne de biens moins bons résultats, avec des émissions de CO2 plus importante.

Pourquoi ne pas enseigner aux gens les modèles alternatives de soins ? Nous devrions leur apprendre le modèle cubain. Nous devrions proposer une augmentation conséquente du soin à la communauté et de la formation des médecins, une focale mise sur la nutrition et la gratuité des soins pour tous, comme on le trouve à Cuba. Et il faudrait combiner cela au remboursement de la dette climatique. Est-ce que quelque « classe ouvrière occidentale » imaginaire ne s’intéresserait pas à ce projet, ou le problème repose-t-il sur le racisme profitable des « experts » occidentaux ? Il nous faut une discussion sérieuse sur cela, en gardant à l’esprit que le racisme est un projet de classe.

Il est évident que la solidarité Nord-Sud est difficile. Mais cela commence par l’élévation des luttes du Sud pour la dignité, se féliciter de leurs succès et montrer comment le Nord fait obstacle à ces luttes. Hélas, l’essentiel de la classe d’« experts » et de sa presse vaniteuse prend le chemin opposé : ils n’élèvent les luttes du Sud pour ce qu’ils nomment la dignité que dans les Etats visés par l’impérialisme étatsunien, ils ne se félicitent jamais des succès tant qu’ils ne sont pas contraints de le faire, comme lors de la reconnaissance de la diplomatie médicale de Cuba face à l’épidémie actuelle et leur effacement et suppression systématiques du rôle du Nord dans la négation de l’auto-détermination du Sud.

Imaginez-vous qu’Historical Materialism, un journal marxiste prétendument anti-impérialiste, a ignoré pendant des années les sanctions occidentales contre le Zimbabwe ou a, plus récemment, ignoré le rôle occidental dans le coup d’Etat contre le parti des travailleurs au Brésil, et que ses contributeurs ont signé une lettre appelant à sanctionner l’Iran. D’autres « experts » d’autres secteurs du même cartel éditorial déplore le racisme permanent de la classe ouvrière et l’impossibilité en résultant de bâtir une solidarité entre le Nord et le Sud. Je crois que le terme que les jeunes utilisent pour un tel spectacle est « gaslighting ». Il me semble que le problème du racisme commence par les « experts » vendant leur plume plutôt qu’avec la classe ouvrière ayant des idées ignorantes.

 

K.H. : Tu te montres intraitable dans tes critiques envers les universitaires, militants et « experts » qui ne considèrent pas les luttes du Sud global et ses traditions intellectuelles. Qu’est-ce qui t’a amené à prendre ce parti ? Et avec quels travaux les militants du Nord global devraient-ils se familiariser s’ils veulent approfondir leur compréhension du fonctionnement de l’impérialisme aujourd’hui ?

M.A. : J’ai passé l’essentiel des 13 dernières années de ma vie d’adulte hors des Etats-Unis, plus précisément dans des pays arabes. Mais ce n’est-là qu’une anecdote personnelle. En fait, c’est l’humanisme qui devrait nous guider et qui peut guider ceux d’entre nous vers l’empathie et le soutien aux luttes du Sud pour le pain, la terre, la liberté, l’émancipation et le développement populaire. Tout le monde sur cette planète mérite d’avoir une vie descente, et il faut être sérieusement sur-éduqué ou sous-informé pour penser que la voie vers une vie meilleure sur cette planète passera principalement par l’action politique des classes ouvrières occidentales et la main d’œuvre intellectuelle critiquant les contradictions interne du développement du Tiers-Monde depuis le piédestal du monde universitaire du Nord.

C’est plutôt le contraire : ce sont les périphéries qui ont poussé la transformation révolutionnaire, apportant de nouvelles perspectives au centre, de l’URSS, du maoïsme, de Cuba et de la Révolution vietnamienne ainsi que de la Palestine. Si nous pensons qu’un système-monde juste est un monde dans lequel les plus exclus et opprimés ont la dignité et la liberté, alors il semble logique qu’il faille couper les manières et demandes par lesquelles leur oppression est liée à l’impérialisme contemporain. Au contraire, ceux qui ignorent et dénigrent ces demandes et révolutions participent de la stabilisation du système actuel.

Heureusement, les choses évoluent. En fait, nous vivons dans une période de renaissance de la théorie révolutionnaire sur l’impérialisme. Je ne peux que recommander la lecture des travaux d’Utsa et Prabhat Patnaik, de John Smith, d’Ali Kadri, ainsi que les livres et articles du Agrarian South project, en plus des travaux fondateurs de Samir Amin, Walter Rodney, Ruy Mauro Marini et Vania Bambirra, ainsi que la littérature de la dépendance plus ancienne, qui a émergé dans chaque région périphérique.

 

Max Ajl

Ce texte a initialement été publié, en anglais, par ROAR : https://roarmag.org/essays/peoples-green-new-deal-max-ajl/

Max Ajl est postdoctorant au Rural Sociology Group de l’université de Wageningen et est chercheur associé à l’observatoire tunisien pour la souveraineté alimentaire et l’environnement. Il fait partie du comité editorial d’Agrarian South. Son livre A People’s Green New Deal a été publié en 2021 chez Pluto Press.

 

 

 

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