Bien plus qu’une gifle

Mardi 8 juin, alors que le président Emmanuel Macron était en tournée dans la Drôme, dans le cadre de son tour de France des territoires », et alors qu’il prenait un bain de foule, il reçoit une gifle de la part d’un homme dans le public. Rapidement maîtrisé, le coupable s’avère être un militant royaliste d’extrême droite chez lequel des armes et un exemplaire de Mein Kampf seront trouvés. Cet acte est inédit et marque un tournant grave. Certes, il était arrivé la même chose à Manuel Valls, mardi 17 janvier 2017 à Lamballe (Côtes-d’Armor) mais celui-ci n’était alors que ministre d’Etat. Cet acte doit être pris à sa mesure. Certains, nous les comprenons s’en amuseront mezza voce, considérant au vu de sa politique qu’il ne l’a pas volée, d’autres le condamneront en invoquant le respect dû à la personne du Président de la République, certains resteront silencieux en banalisant ce geste. Enfin un certain nombre, et j’en fais partie, au-delà de l’atteinte à la fonction du Président et de la détestation légitime que celui-ci suscite au regard des milliers de blessés et d’handicapés des gilets jaunes et de sa politique impérialiste (en Afrique notamment) voient dans cette gifle le signe faible de quelque chose de beaucoup plus inquiétant qu’une offense à un chef d’Etat. A y réfléchir ce véritable attentat n’est pas que symbolique. Et même si les dommages corporels subis par Emmanuel Macron sont totalement dérisoires, il faut bien les replacer dans un contexte institutionnel et politique. Au plan institutionnel tout d’abord c’est la première fois qu’un chef d’Etat français est giflé depuis l’avènement de la République. Ce n’est pas rien. Cette agression en dit long sur la perte de considération de la fonction de président et un certain degré d’altération de l’ambiance politique. Et justement, c’est au plan politique que la chose me parait gravissime. Un palier vient assurément d’être franchi. Le fait que l’auteur soit un militant royaliste ultra est tout sauf anodin et ajoute à notre inquiétude. C’est le signe d’une nouvelle offensive de l’extrême droite organisée ou non. C’est le signe de son audace, de son arrogance comme de notre faiblesse.

Puisque les analogies sont de mode, nous pouvons affirmer sans hésitation que la France connaît son grand moment d’extrême droite le plus inquiétant hors contexte de guerre. Moment qui n’est pas sans rappeler les années 30 aussi bien pour la profonde vague raciste qui secoue le pays que pour le développement de tout ce qui peut être classé à l’extrême droite. Un long moment d’extrême droitisation dont les prodromes peuvent être datés de ce grand consensus islamophobe initié par la gauche en 2004. Un peu comme si taper sur les musulmans de surcroît de la part de la gauche avait fait sauter la digue mentale qui jusque là reléguait l’extrême droite dans les placards poussiéreux de l’histoire lui permettant enfin de sortir de sa bouteille de mauvais génie. Est-il nécessaire de rappeler les centaines d’agressions islamophobes contre des personnes ou des mosquées depuis 2004 ; les dizaines de tentatives d’attentats contre des hommes politiques éventées par les forces de police œuvres de groupuscules fascistoïdes qui portent des noms aussi fleuris qu’Action des forces opérationnelles (AFO), OAS, Mouvement Populaire pour une Nouvelle Aurore (MNPA), les « Volontaires pour la France » (VPF) dirigées par un général à la retraite, Antoine Martinez, le groupuscule AFO, « Actions des forces opérationnelles » ou encore les Zouaves qui passent en procès en ce moment pour préparation d’attentats. Sans oublier bien sûr le bloc des Identitaires et les vieilles ganaches de l’organisation royaliste Action française, ainsi que ses dépendances publiques ou clandestines. A cela il faut ajouter l’action des dizaines de tribuns et animateurs vedettes, d’élus frontistes ou proches comme Eric Ciotti, la prolifération de sites internet où s’étalent sans complexes les paroles racistes, islamophobes, négrophobes, antisémites, de haine des immigrés, des militants de gauche, à tel point qu’il est clair que l’expression d’extrême droite est en train de marquer des points dans cette grande bataille pour l’hégémonie culturelle. Que dire de la réhabilitation de Pétain dans la bouche de Zemmour ? Sans même évoquer les activistes « indépendants » qui sur la toile recrutent et font même démonstration de meurtres de militants de gauche, comme le dénommé Papacito. Ou encore les pétitions de vieux ou jeunes galonnés de l’armée que fait paraître le journal porte-voix du nouveau fascisme à la française, Valeurs Actuelles.

Ainsi si on ajoute à cette crise politique grave, les ravages de la crise sociale dont témoigne le mouvement des gilets jaunes mais aussi les soubresauts de la crise morale et identitaire que semble traverser une bonne partie du pays, il semble bien que nous soyons entrés dans cette zone grise, sorte de triangle des Bermudes politique, où tout est possible. Bref une ambiance que certains n’hésitent pas à qualifier de stratégie de la tension par analogie avec l’Italie des années 70. Avec cette particularité que pour la bataille qui s’annonce, les réelles forces de gauche sont notablement faibles. Du coup rendons hommage à l’action et la lucidité de groupes militants comme les Antifa Paris-Banlieue dont l’un des jeunes militants Clément Méric est tombé martyr précisément sous les coups de séides d’extrême droite dans une relative indifférence des forces de gauche. Dans le même temps où l’Etat multiplie les attaques contre les groupes de résistance issus des quartiers-ghettos, d’extrême gauche, anti négrophobie ou de solidarité avec la Palestine et où portées par la possible arrivée au pouvoir du RN, les organisations fascistes de ce pays semblent avoir un bel avenir devant elles. Si l’on prend en compte l’avancée inquiétante de forces similaires partout dans le reste de l’Europe, ce n’est pas d’un sursaut citoyen dont a besoin ce pays mais d’une alternative révolutionnaire crédible. Sans cela l’avenir est effectivement bien sombre.

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