Édito #21 – Donald Trump banni deux ans, Facebook est-il notre ami ?

Déjà banni de manière permanente de Twitter, l’ancien président des Etats-Unis d’Amérique, Donald Trump, apprenait ce vendredi 4 juin qu’il était également banni de Facebook, mais pour une durée de deux ans seulement

Les raisons de ce bannissement du réseau social de Mark Zuckerberg sont les mêmes que celles avancées pour Twitter, à savoir ses publications du 7 janvier dernier encourageant et galvanisant ses partisans lors de l’attaque du Capitole à Washington. Nick Clegg, directeur des affaires publiques de Facebook, explique ainsi que “Compte tenu de la gravité des circonstances qui ont conduit à la suspension de M. Trump, nous pensons que ses actions ont constitué une violation grave de nos règles qui mérite la plus haute sanction disponible dans le cadre des nouveaux protocoles d’application. (…) À la fin de cette période, nous nous tournerons vers des experts pour évaluer si le risque pour la sécurité publique s’est éloigné.”

Bien entendu, Donald Trump a fulminé contre cette décision, arguant que cela représentait aussi une insulte pour les 75 millions d’électeurs qui ont voté pour lui, avant de laisser entendre que lorsqu’il sera de nouveau président, il n’invitera pas le patron de Facebook à dîner.

Le bannissement des deux principaux réseaux sociaux de l’un des représentants majeurs de la montée des forces d’extrême-droite dans le monde – dont la défaite aux dernières élections présidentielles ne doit pas nous laisser croire que sa popularité est en berne puisqu’il est parvenu à rassembler encore plus de voix qu’aux élections précédentes – doit-il nous réjouir ?

Précisons avant tout qu’en ce qui concerne Facebook, le bannissement est limité à deux années, il pourra donc jouir de nouveau de cette plateforme lors des élections étatsunienne de 2024 auxquelles il prévoit de se présenter. De même, si Twitter affirme aujourd’hui que le ban est permanent, rien ne nous dit que les responsables ne changeront pas d’avis d’ici là.

Si l’exclusion de Donald Trump des réseaux sociaux Twitter et Facebook ne nous attriste pas et que nous ne militons pas pour son retour, il ne nous enchante pas non plus. Non pas en raison d’une certaine conception idéaliste de la liberté d’expression qu’on aurait bafouée en excluant D. Trump, mais plutôt parce qu’elle nous amène à nous interroger, ou plus précisément à nous inquiéter, sur la montée en puissance et la place prépondérante que sont en train de prendre les GAFA (les géants du web) dans la vie politique et militante.

Il est désormais établi que les réseaux sociaux sont également un terrain de lutte politique dont on ne peut plus se passer. Depuis les années 2000, ils occupent une place essentielle sur le champ politique, de l’extrême-gauche à l’extrême-droite, chacun les utilisant à sa convenance. Ainsi, ils sont à la fois alimentés par les forces progressistes et par les forces réactionnaires. Cependant, cela revient automatiquement à donner un pouvoir considérable à ces plateformes. Un pouvoir tel qu’elles peuvent désormais bannir l’ex-président de la première puissance mondiale.

Le problème ne réside pas tant dans le fait de bannir un ancien président, mais plutôt dans le fait que des entreprises privées puissent contrôler et réguler l’expression politique sans que nous n’ayons aucun contrôle sur leurs décisions. Comment peut-on leur fixer des limites ? Ne doit-on pas craindre que ces choix deviennent de plus en plus courants et s’étendent à des personnalités de notre camp, susceptibles d’être ‘punies’ en raison de leur radicalité ?

Mais au-delà même des personnalités publiques de premier rang, il faut aussi s’interroger sur la manière dont ces réseaux sociaux influent le débat politique via leurs algorithmes qui peuvent favoriser certains contenus plus que d’autres. Il est alors courant de voir des personnalités et des médias de gauche se plaindre de voir leurs publications êtres moins référencées, moins vues, moins accessibles, sans raison apparente. Sans oublier certaines publications tout simplement bloquées ou supprimées parce qu’elles ne respecteraient pas leurs chartes, ce fut le cas dernièrement avec des publications pro-palestiniennes[1].

Le bannissement de Donald Trump de Twitter et Facebook, et les raisons invoquées, ne doivent pas nous leurrer sur le prétendu caractère anti-fasciste et pro-démocratie de ces derniers. Comme nous l’avons déjà souligné, pour Facebook le ban n’est pas permanent, et nous ne doutons pas qu’il puisse faire un jour son retour sur Twitter. Surtout, ne perdons pas de vue que par ailleurs d’autres personnalités et organisations d’extrême-droite peuvent librement s’exprimer sur ces plateformes, voire même compter sur ces dernières pour se plier à leur autoritarisme ; nous en avons une illustration avec le gouvernement Modi en Inde[2]. Certes, ces entreprises privées gagnent de plus en plus de pouvoir pour réguler et contrôler le débat public, mais elles ne peuvent néanmoins pas encore outrepasser l’autorité de certaines super-puissances mondiales. Si Donald Trump a pu être banni, c’est aussi parce qu’il n’est plus président, il aurait pu continuer à s’exprimer dans le cas contraire. « La puissance ne respecte que la puissance », nous rappelle Booba.

Ainsi, il est essentiel de rappeler que nous ne devons absolument pas faire confiance en ces GAFA pour limiter l’expansion mondiale de l’extrême-droite. Tout d’abord parce que nous n’avons aucun contrôle sur les entreprises privées et sommes donc dépendants de leur volonté si nous leur accordons trop de prérogatives et de légitimité. Mais avant tout parce que les GAFA ne sont pas guidées par une éthique démocratique et/ou anti-fasciste, mais par des intérêts pécuniers. Ce sont ces intérêts qui guident leurs décisions, comme celle de supprimer le compte d’un leader d’extrême-droite si cela s’avère utile, ou se plier aux desiderata d’un gouvernement fasciste s’il le faut.

[1] https://www.france24.com/fr/am%C3%A9riques/20210605-facebook-des-employ%C3%A9s-d%C3%A9noncent-une-censure-de-contenus-pro-palestiniens-sur-le-r%C3%A9seau-social

[2] https://www.liberation.fr/international/asie-pacifique/en-inde-le-gouvernement-modi-se-pose-en-regulateur-autoritaire-des-reseaux-20210528_T25VPOXI55AUDFM3CVTU6OIGMM/

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