Le Sénat va-t-il s’auto-dissoudre ? C’est la question légitime que l’on peut se poser au regard de l’amendement récemment adopté par celui-ci et destiné à interdire les réunions en non-mixité raciale en France, sous peine de dissolution. En effet, la Chambre haute est un prototype de lieu où se réunissent des femmes et, surtout, des hommes appartenant à la même catégorie raciale (blanche).
L’observateur attentif devinera cependant rapidement que l’amendement adopté par les sénateurs ne vise pas à interdire toutes les réunions en non-mixité raciale, mais seulement certaines d’entre elles. Pour s’en convaincre, il suffit de regarder le contexte législatif dans lequel cette proposition s’inscrit : l’examen de la loi sur le séparatisme, dirigée contre les musulmans, et la déferlante d’amendements connexes, tels que l’extension de l’interdiction du port du voile et la prohibition des drapeaux maghrébins lors de cérémonies maritales.
Les mesures répressives adoptées par les parlementaires ne semblent donc dirigées que contre les indigènes, qu’ils s’organisent entre eux ou simplement expriment leur existence dans la vie sociale. Le Sénat est donc sauvé.
Mais l’est-il réellement ? Le Sénat ne s’engouffre-t-il pas dans la brèche qui risque de le mener à sa propre ruine ?
Historiquement, le Sénat est une chambre parlementaire conservatrice, dont les membres, autrefois nommés, sont élus au suffrage indirect (les sénateurs sont aujourd’hui élus par les élus locaux). Partageant le pouvoir législatif avec l’Assemblée nationale, la fonction du Sénat est de tempérer les ardeurs que peut avoir la Chambre basse, élue au suffrage direct (les députés étant élus par tous les citoyens Français majeurs jouissant de leurs droits civils et politiques). Ainsi, par exemple, le Sénat a pu s’opposer à l’Assemblée nationale en 2016 lorsque la majorité socialiste avait porté le projet de déchéance de nationalité pour les auteurs d’actes de terrorisme, les sénateurs ayant refusé une telle déchéance pour les Français qui n’avaient pas de double nationalité, ce qui aurait créé des apatrides.
Son rôle actuel se manifeste en revanche par un excès de zèle. Alors que l’Assemblée nationale vient d’adopter en première lecture le projet de loi séparatisme, avec son lit d’atteintes aux libertés individuelles, d’association, de culte, d’expression, le Sénat s’est engagé dans une fuite en avant pour étendre le champ des incriminations et réduire celui des libertés. Interdiction de port du voile pour les accompagnatrices scolaires, les sportifs et les mineurs, possible restriction du port du burkini, interdiction d’arborer des drapeaux autres que de la France et de l’Union européenne lors des mariages, interdiction des listes communautaires, extension du refus de séjour aux étrangers qui rejettent manifestement les principes de la République, interdiction de prier dans les couloirs des Universités. Le Sénat a ôté sa modération pour la déraison.
Il est notable que, si ces mesures s’apparentent à des lois autoritaires et racistes pavant le chemin vers des formes renouvelées de fascisme en ce qu’elles placent les intéressés sous le contrôle total de l’État qui en vient à annihiler leurs droits les plus fondamentaux, elles ne sont dirigées que contre une catégorie bien identifiée de la population, à savoir les indigènes. Un pré-fascisme « chirurgical » en somme.
Au-delà du Sénat, ce sont en réalité toutes les institutions républicaines qui sombrent dans l’unanimisme autour de l’islamophobie, plus aucune d’entre elles ne jouant alors son rôle de contre-pouvoir. Et gare à celles qui refuseraient de participer à la folie anti-musulmane, car leurs jours seraient alors comptés. L’Observatoire de la laïcité peut en témoigner, la conservation par lui d’une approche de la laïcité plus respectueuse de la liberté de conscience justifiant aux yeux du pouvoir qu’il soit aujourd’hui supprimé sur le champ.
Le Sénat se retrouve donc pris entre deux feux. D’un côté, s’il fait machine arrière pour reprendre son rôle de chambre modérée, il pourrait être accusé de complaisance avec l’islamisme et, par-là, de perdre en légitimité. De l’autre, s’il poursuit dans sa fuite en avant, il pourrait participer à l’avènement d’un régime de type fascisant qui, lui, pourrait vider le Parlement de ses prérogatives pour les concentrer entre les mains de l’Exécutif. C’est bien ce qui arriva lors du vote des pleins pouvoirs au maréchal Pétain en 1940, et qui connaît curieusement une certaine actualité avec l’accroissement du recours aux ordonnances de l’article 38 de la Constitution par lequel le Gouvernement est de plus en plus autorisé à intervenir dans le domaine de la loi.
D’où cette question : le Sénat se survivra-t-il ?