A la fin des années 50, qui est Fidel Castro ? C’est un avocat cubain qui après plusieurs années de prison a pris depuis 1956 la tête d’un mouvement de guérilla en compagnie d’exilés cubains et d’un Argentin, Ernesto Guevara, avec qui il chassera le dictateur Fulgence Batista soutenu par les Etats-Unis et avec qui encore, il installera un pouvoir populaire à la Havane, la capitale.
Rappelons que jusque-là, Cuba est une île des Caraïbes connue pour abriter à Guantanamo une importante base maritime Etasunienne. Une île qui sert de port de relâche et de loisirs pour les permissionnaires de la Navy, ce qui est tout dire.
A ce moment, en janvier 1959, rien ne dit que le nouveau gouvernement de la Havane va se retourner contre les Etats-Unis. Rien ne dit que Castro va se rapprocher de l’URSS. Y compris Che Guevara qui n’est pas encore aussi posé au plan idéologique si ce n’est qu’il rend les EU responsables de la misère de l’Amérique latine. D’ailleurs ceux-ci à ce moment sont convaincus qu’ils vont pouvoir se mettre Castro dans la poche. Après tout, fidèles à leurs méthodes, ils lâchent Batista au bon moment quand ils constatent qu’il perd du terrain et s’ouvrent à toute nouvelle direction cubaine pour peu que leurs intérêts militaires soient garantis.
C’est donc dans le cadre d’une opération de séduction qu’un groupe d’éditeurs et de journalistes étasuniens décide d’inviter Fidel Castro pour une visite de New York juste avant la séance des Nations Unies où doit se rendre le nouveau dirigeant cubain, le 19 septembre 1960.
Castro et sa délégation de barbudos arrivent à New York et jouent le jeu. On leur fait faire le tour du propriétaire, histoire de les éblouir, on les balade sur les grandes avenues, on les emmène au zoo. Castro se fait photographier avec un tigre. Il se fait aussi photographier avec des enfants des beaux quartiers portant des barbes postiches et des casquettes cubaines histoire de donner au personnage une image rassurante. Il semble bien en effet qu’il s’agisse d’une opération de communication dirigée tant vers Castro que vers une opinion étasunienne qui se méfie encore de lui. Avec sa barbe de tonton et ses gros cigares, entouré d’enfants, la machine de propagande américaine espère ainsi lisser son personnage.
Personne à ce moment là ne s’imagine le coup de Trafalgar qu’il a mijoté.
En effet, ce 19 septembre 1960, se pose la question du lieu de séjour de la délégation cubaine. Et là une controverse nait. Selon la version de Castro, il a très mal été accueilli au grand hôtel de Manhattan qui lui a été proposé par les officiels des EU. Il décide dans un geste d’irritation, feinte diront certains, de s’installer au siège de l’ONU. Mais coup de théâtre, le soir même il jette son dévolu sur un hôtel d’Harlem, l’hôtel Theresa, surnommé le Waldorf of Harlem. Selon d’autres sources, tout a été scénarisé et ce sont des organisations noires qui rencontrant Castro aux abords du siège de l’ONU, l’auraient convaincu de s’installer à Harlem. Il faut savoir qu’à l’époque, Harlem est encore ce ghetto noir misérable et sous-alimenté connu pour sa délinquance et ses trafics de drogue. Ces associations sont conduites par divers leaders de la communauté dont un certain Malcolm X encore représentant de Nation of Islam ainsi que divers autres dont des représentants de la National Association for the Advancement of Colored People, la vénérable NAACP.
En fait, en se laissant convaincre par les organisations noires, Castro fait un choix décisif. Ces organisations ont besoin de lui pour donner un large écho à leur lutte pour les droits civiques, quant à lui, il se prête de bon gré à cette opération qui est l’occasion de marquer clairement le camp auquel désormais il appartient, celui de la cause des Noirs et du Tiers-monde. C’est ce choix qui amènera Cuba non seulement à soutenir la lutte contre l’apartheid aux EU mais aussi à s’engager pleinement dans la lutte militaire contre l’apartheid d’Afrique du sud dont la petite île sera, grâce à la victoire de Cuito-Cuanavale en 1987, l’un des principaux acteurs. Soulignons qu’à cette session de l’ONU de septembre 1960, 14 nouveaux pays d’Asie et d’Afrique doivent faire leur entrée dans l’organisation internationale.
C’est ainsi que Castro et ses camarades sont reçus au Waldorf de Harlem où tout est fait pour assurer leur confort. Au grand dam de l’administration étasunienne et de la police chargée tout de même de la protection de cet hôte encombrant. La nouvelle connue, des centaines de Noirs, d’Hispaniques et de membres d’autres minorités se précipitent vers l’hôtel Theresa où pendant les 10 jours du séjour de Castro, ils constitueront une haie d’honneur pour ceux qu’ils considèrent désormais comme leurs alliés. Tous les diplomates de ce qui forme déjà le Tiers-monde et le mouvement des pays non-alignés tiennent à venir saluer la délégation cubaine. Il y a là le président égyptien Gamal Abdel Nasser, le 1er ministre indien Nehru, le président indonésien Sukarno et puis aussi le soviétique Nikita Khrouchtchev mais aussi des journalistes du monde entier. En faisant cela, Castro ne fait pas que narguer les Etats-Unis chez eux, il force les projecteurs du monde entier à se braquer sur la question raciale aux Etats-Unis qu’il entend dénoncer avec vigueur jusque dans l’enceinte de l’ONU. D’ailleurs, le moment le plus émouvant de ce séjour est sans conteste sa rencontre avec Malcolm X. Leur entretien va durer une bonne partie de la nuit. A cette occasion Castro demandera à son nouveau camarade s’il a des nouvelles de Patrice Lumumba qui au même moment, au Congo, est aux prises avec une rébellion militaire orchestrée par les puissances coloniales belges, françaises avec l’aide de la CIA. Rébellion qui malheureusement réussira et lui coûtera la vie. Néanmoins, Malcolm X comprend bien que Castro partage la cause des Noirs. Aussi est-il d’autant plus ravi quand Castro lui annonce « Demain à l’Onu je parlerai de Patrice Lumumba, je le défendrai, il le vaut bien ». Et c’est comme ça que pendant 10 jours, l’hôtel Thérèsa deviendra une annexe tiers-mondiste des Nations Unies. Le lendemain, Castro comme promis parlera des sujets indiqués à la tribune de l’ONU. Il aurait dû parler une dizaine de minutes, il fera un discours de quatre heures. Les Etats-Unis l’ont mauvaise et feront assaut de mesquinerie. Exemple : l’hôte américain prétexte des frais de garage non payés pour l’avion cubain et refuse le décollage de celui-ci. C’est le dirigeant soviétique Khrouchtchev qui mettra à la disposition des Cubains l’avion du retour. Et nous le savons, ce sera le début d’une lune de miel ininterrompue entre Cuba et l’URSS. Mais ceci est une autre histoire. Quant à Cuba c’est l’un des rares pays du monde a avoir maintenu de 1959 à nos jours une ligne clairement anti impérialiste sans aucun renoncement. Ligne qu’il paye d’un embargo terrible depuis près de 60 ans. Le prix de la dignité.