Édito #16 – Y-a-t-il un lien entre immigration et terrorisme ?

Le récent assassinat d’une policière à Rambouillet a relancé les obsessions de tout ce que ce pays compte comme forces obscures cherchant absolument à faire le lien entre immigration et terrorisme et plus précisément avec l’immigration à référence musulmane supposée ou avérée. En effet, dans ce cas d’espèce, le meurtrier étant un ressortissant tunisien arrivé clandestinement en France en 2009 et régularisé dix ans plus tard, il n’en a pas fallu plus pour que l’extrême droite, une partie de la droite mais aussi de la gauche islamophobe établissent un lien direct entre terrorisme et immigration. Le réflexe est pavlovien. Cette vieille antienne ressort systématiquement des tiroirs de journalistes en déficit d’audimat. Le résultat en est qu’en 2018, 53 % des Français, fortement travaillés au corps par des enquêtes sur mesure, se disaient d’accord avec l’affirmation selon laquelle « nous ne pouvons pas accueillir plus de migrants, car ils augmentent le risque terroriste dans notre pays ».

Qu’en est-il aujourd’hui ? S’agissant de l’immigration, Valérie Pécresse présidente de la région île de France, sur Europe 1, déclare : « Il y a un lien entre immigration et terrorisme. Il faut dès aujourd’hui, de façon radicale, stopper toute immigration ». Ce que Natacha Polony, ce 29 avril dans Marianne, « au nom de la lucidité » confirme en plaidant « pour le droit de prononcer dans la même phrase les mots « immigration » et « terrorisme » comme si ce droit dont elle use et abuse n’était pas déjà le pain quotidien de très nombreuses rédactions.  Et pourtant, selon Erwan Le Noan, dans Le Point du 28 avril, une vaste étude portant sur 170  pays ne montre aucun lien de causalité « entre part de migrants dans un pays et activité terroriste ». Confirmant cela dans une interview à Europe 1 au moment où le parti gouvernemental s’apprête à présenter un projet de loi « sur la prévention et la lutte contre le terrorisme » Jean-Michel Fauvergue, ancien patron du Raid et député LREM, réfute également le parallèle entre terrorisme et immigration : « Tous les terroristes ne sont pas étrangers, et tous les étrangers ne sont pas terroristes », lance-t-il.

En effet, démentant les analyses chères à Marine à Le Pen, les statistiques montrent que la grande majorité des attentats commis en France ces dernières années, ont été le fait de ressortissants français ou d’étrangers en situation régulière. Dans Info/Migrants, le 26 avril, Charlotte Boitiaux explique quant à elle que depuis 2012, la plupart des terroristes impliqués dans les attaques meurtrières sur le sol hexagonal étaient Français et nés sur le sol français : Mohammed Merah (attentat de Toulouse en 2012), Chérif et Saïd Kouachi (attentat de Charlie Hebdo en 2015), ou encore Amedy Coulibaly (attentat de l’Hyper Cacher en 2015).

Cependant, s’agissant des attentats les plus meurtriers du 13 novembre 2015, si six des 10 membres des commandos étaient bien Français, deux étaient Irakiens, un était Belge et le dernier belgo-marocain.

En tout état de cause, les observateurs les plus honnêtes considèrent que 70 % des auteurs d’attentats sont bel et bien des Français. Quant à la dimension strictement islamique de ces derniers, si elle est indéniable d’un point de vue formel, elle est réfutée quand les enquêtes menées par les polices démontrent que dans l’immense majorité des cas, le déterminant religieux n’apparait qu’en surface, la plupart des mis en cause n’étant pas particulièrement pratiquants et ayant même des modes de vie plutôt dissolus. Le fameux « Allahou akbar » intervenant d’avantage comme une sorte de cri de ralliement politique que religieux.

Cependant si le lien direct entre taux d’immigration clandestine et terrorisme mais aussi entre taux d’immigration légale et terrorisme n’apporte rien d’intéressant, force est de constater que le vœu pieu consistant à écarter tout lien entre ce qui est appelé « terrorisme » et les Français issus de l’immigration post coloniale n’est pas tenable non plus. Effectivement rien ne sert de le nier, la plupart des attentats commis ces dernières années en France ont été le fait de jeunes français liés d’une manière ou d’une autre à l’histoire et à l’immigration coloniales. Dès lors, il est impossible de ne pas voir là les conséquences dramatiques d’une longue histoire d’exclusion et de discriminations qui peut produire ressentiments et désir de vengeance. Déjà, en 1995, avec l’affaire Kelkal, ces aspects étaient patents. Cette explication est valable mais n’épuise pas pour autant le sujet. Si l’on retient comme valide la déclaration de BFM (du 30 octobre 2020) selon laquelle la France est le pays occidental qui a connu le plus d’attentats depuis 2012, comment expliquer que des pays comme le Royaume-Uni ou les Pays-Bas, qui ont une histoire coloniale aussi intense que la France, soient eux beaucoup moins ciblés par le terrorisme que l’Hexagone? Tenter de répondre à cette question, c’est devoir forcément s’interroger sur les politiques extérieures actuelles de ces pays, les comparer entre elles et aussi nous intéresser à celles des Etats-Unis qui eux aussi ont souffert d’importants attentats sur leur sol. Et là, force est de constater une différence majeure : oui la France et les Etats-Unis en comparaison avec des pays comme le Royaume-Uni, les Pays-Bas, le Portugal ou la Belgique – autres pays coloniaux – sont en pointe en termes d’interventions militaires extérieures aujourd’hui. De là, le lien entre interventions extérieures et terrorisme sur notre sol s’avère bel et bien fondé.  Celui-ci est établi par nombre de chercheurs parmi lesquels le réseau OCTAV (Observatoire contemporain du terrorisme, de l’antiterrorisme et des violences)[1].

 

Par ailleurs si l’on en croit Michel Wieviorka pour qui« le terrorisme est dans les yeux de celui qui regarde, et chacun est le terroriste de l’autre » et Noam Chomsky quand il affirme qu’on a jusqu’ici « cherché une définition du terrorisme qui exclurait la terreur que nous exerçons contre eux, mais inclurait la terreur qu’eux exercent contre nous » on ne peut pas écarter l’idée que ces attentats commis par des Français issus de l’immigration interviennent en réponse à une politique extérieure française elle même meurtrière. D’autant que les explications fournies de type « défense des droits de l’homme » ne convainquent que les sots ou les hypocrites. Surtout en ce qui concerne les interventions françaises directes au Sahel ou indirectes au Yémen. Quand sont écartées les explications de type « civilisationnelles » ou magiques de type « ils en veulent à notre manière de vivre », « à notre liberté et à celle de nos femmes » demeure la réalité nue : la somme des intérêts stratégiques et économiques de la France qu’elle entend se garantir dans la concurrence inter impérialiste aussi implacable que destructrice.

Dès lors, qui peut réfuter l’équation : moins de guerres là-bas = moins de terrorisme ici ?

 

[1] https://www.nouvelobs.com/idees/20201114.OBS36086/guerres-et-terrorisme-sortir-du-deni.html

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