Youssef s’la raconte ! #12 – Les leçons du putsch d’Alger d’avril 1961

On a beaucoup écrit sur le putsch des généraux d’Alger en avril 1961. L’actualité récente celle d’une pétition de près de 10000 officiers dont 24 généraux parue dans le magazine Valeurs actuelles a ravivé le souvenir de ce second acte fondateur de la Ve république. En effet, la parution dans Valeurs actuelles, de cette pétition en forme de menace claire contre le gouvernement de Macron, jugé laxiste par rapport à l’affaiblissement du pouvoir, intervient le jour anniversaire de ce putsch, le 21 avril. Faut-il ne voir dans cette concordance des dates qu’une simple coïncidence ? Certainement pas.

Mais rappelons les faits. En décembre 1960, cela fait 6 ans que l’armée d’Afrique piétine en Algérie où elle mène une guerre tant meurtrière qu’indécise. Si effectivement sur le terrain strictement militaire l’écrasante supériorité des troupes coloniales est indéniable, les effectifs rebelles du FLN étant réduits au quart de ce qu’ils étaient au plus fort de leur puissance, sur le plan politique, il en va autrement. Dans les villes, la population musulmane va démontrer par de gigantesques manifestations spontanées qu’elle est toujours massivement acquise au FLN et au mot d’ordre d’Algérie indépendante. Le général de Gaulle finit d’être convaincu par ce véritable plébiscite de la rue que c’en est terminé du rêve d’une Algérie française. Ça tombe bien car ses projets de grandeur et de modernisation pour la France exigent qu’il mette fin au plus vite au gouffre financier et à la dégradation de l’image du pays au plan mondial qu’induit ce conflit.

De son côté l’Armée d’Afrique, comme elle se nomme, dont les cadres supérieurs sont issus de l’armée d’armistice pétainiste est décidée à tout pour conserver l’Algérie à la France. D’autant qu’elle se sent trahie par un de Gaulle qui a su l’utiliser pour parvenir au poste de président du conseil en 1958 et qui, une fois son pouvoir assuré, a peu à peu marginalisé ses chefs. La population pied-noir d’Algérie, quant à elle, non seulement soutient massivement l’armée qu’elle considère sienne, mais elle est prête à la seconder en cas d’action décisive pour forcer le pouvoir de Paris à inverser sa politique. Cependant, la décision de de Gaulle est renforcée par le fait que le 8 janvier 1961 un référendum sur l’autodétermination de l’Algérie, organisé en métropole et en Algérie, a donné près de 75 % des suffrages à l’autodétermination. Aussi dès janvier 1961, les contacts déjà noués avec les représentants du FLN (GPRA) mettent sur rail des négociations plus ou moins secrètes entre le gouvernement français et le GPRA dans la ville d’Evian.

En Algérie près de 450 000 militaires français sont présents. Une partie d’entre eux, plutôt les officiers sont des militaires de carrière ( 33 000 ) mais l’écrasante majorité, 420 000 sont des appelés du contingent. Des jeunes Français n’ayant qu’une idée en tête, « la quille », le retour à la maison.
C’est ainsi que ce 21 avril 1961 plusieurs unités de l’armée d’Afrique se soulèvent avec leurs officiers, s’emparent par surprise des lieux stratégiques d’Alger et tentent de rallier à eux la totalité des effectifs militaires afin de faire pression sur le général de Gaulle pour qu’il revienne sur sa décision. Ils affirment même être en mesure d’intervenir en métropole.

De Gaulle a su très rapidement prendre les mesures qui s’imposent afin de faire échouer ce coup de force. Il paraît à la télévision en uniforme de général et par un vibrant discours appelle les conscrits à désobéir à leurs généraux. C’est là qu’intervient la technique. Comme la plupart des unités de l’armée sont dotées de postes radio à transistors, celles-ci sont en mesure de capter l’appel du chef de l’Etat et refusent d’obéir à leurs officiers, qu’ils font même prisonniers dans certains cas. Pendant ce temps à Paris, le 1er ministre Michel Debré appelle à l’union sacrée les forces républicaines de droite comme de gauche à qui il demande de sortir massivement dans les rues et les places pour exprimer leur soutien au pouvoir légal. Un million de Parisiens répondront à cet appel.

Très rapidement au bout de quelques jours et même dès le 2e jour pensent certains observateurs, il apparaît que la tentative de putsch est un fiasco. Faute de moyens matériels et d’hommes. Les principaux instigateurs sont arrêtés et seront par la suite déférés devant des tribunaux en métropole. De Gaulle sort gagnant de ce bras de fer d’autant que l’évènement va lui servir à renforcer le pouvoir présidentiel par le fameux article 16 de la Constitution qui lui confère les pleins pouvoirs en cas de péril grave mais aussi va lui permettre de faire passer sa réforme institutionnelle de 1962 sur l’élection du président de la République au suffrage universel.

Que déduire de tout cela ? La recherche historique a apporté de nouveaux éléments au dossier sur lequel on pensait tout savoir. En effet, l’historien Pierre Abramovici est non seulement convaincu que le putsch a été largement exploité par l’exécutif mais que « le général de Gaulle a dramatisé au maximum la situation afin de créer autour de sa personne un consensus populaire ». Mais il est également convaincu, avec des éléments précis, que le pouvoir gaulliste était parfaitement au courant depuis des mois par de multiples canaux de la préparation de ce putsch et qu’il aurait laissé faire pariant sur son échec probable par refus d’obtempérer des appelés. Pour les raisons dites plus haut, il aurait ainsi d’une certaine façon manipulé les généraux rebelles. Prévenu ou pas, ce qui est certain, c’est qu’il a su tirer grand profit de cet épisode.

En quoi cela nous intéresse aujourd’hui. Tout d’abord, le fait que l’appel des généraux dans VA ait eu lieu le 21 avril nous en dit long sur leur filiation idéologique d’extrême droite. Leur référence au putsch de 61 sonne comme un sinistre rappel des affres de « la guerre civile en France de 1958 à 1962 » (titre de l’ouvrage de Grey Anderson). Cela démontre aussi la force et l’actualité de la question coloniale qui agit comme un véritable mytho-moteur jusqu’à nos jours au sein de l’institution militaire alors que plus aucun officier de l’époque n’est encore en activité.

La question qui se pose dès lors est la suivante. Les multiples services de renseignements étaient-ils au courant de cette pétition et si oui pourquoi l’exécutif n’a-t-il rien fait pour l’enrayer ou pour bloquer sa diffusion dans VA ? Pourquoi laisse-t-on le site des généraux séditieux, Place d’Armes.fr, continuer à engranger des signatures, déjà 10 000 ? Pourquoi les réactions ministérielles ont-elles été si tardives ?

Et si ce fait pouvait servir à Macron à discréditer la seule concurrente vraiment gênante pour lui, Marine Le Pen, la faisant apparaitre comme séditieuse aux yeux du pays mais aussi à ceux de la droite traditionnelle voire de la gauche en cas de duel avec elle au second tour, ce qui est une possibilité. Et si Macron avait bien appris de l’histoire du putsch d’Alger et qu’il pensait dans un futur proche pouvoir jouer la carte du barrage républicain? Expliquant que lui seul peut éviter la guerre civile annoncée tout simplement en reprenant à son compte les doléances des militaires ?

 

 

 

 

1 Commentaire Youssef s’la raconte ! #12 – Les leçons du putsch d’Alger d’avril 1961

  1. Chevalier 1 mai 2021 et 18h15

    Peut être Macron se serre t-il de ces imbéciles en vue de l’élection présidentielle comme il se serre aussi de Marine Le Pen. Cependant, avec cette pseudo-pandémie « COVID » ils sont allés trop loin semble t’il…

    Répondre

Laisser Un Commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *