Édito #19 – Palestine : deux ou trois choses à savoir sur la victoire de la résistance

Après 11 jours de bombardements continus de la bande de Gaza, l‘ampleur des pertes palestiniennes témoigne de la sauvagerie de l’agresseur israélien : 243 morts dont 60 enfants et 1500 blessés dont nombre d’entre eux dans un état grave. Alors qu’a l’opposé, ce sont 11 morts que déplorent les Israéliens. Dans ce contexte on pourrait donner raison à Neville Chamberlain qui écrivait : “Dans une guerre, même si chaque camp peut se déclarer vainqueur, il n’y a pas de gagnant, uniquement des perdants.”  A l’issue des combats un cessez-le-feu a donc été conclu, accord que les media français ramènent à un « ni perdant, ni gagnant ». Façon cynique de coller faussement dos à dos encore une fois les deux protagonistes dans l’ignorance feinte du fait qu’il existe bien un agressé et un agresseur. Dans la même veine les media main-stream parlent de « retour au calme » ou « à la paix » pour qualifier la normalité coloniale. Souvent ce sont même des métaphores météorologiques auxquelles on a recours. Ainsi on parlera de « brusque détérioration de la situation » comme s’il s’agissait d’une dépression atmosphérique, comme si on ne savait pas qu’Israël depuis un siècle fait feu de tout bois afin de refouler les Palestiniens, comme s’il n’y avait rien à comprendre dans ce déferlement de violence. Et pourtant, une observation plus fine montre bien qu’effectivement sionistes et Palestiniens se battent certes dans un affrontement complètement asymétrique mais pour des objectifs précis. Les uns mus par un mouvement expansionniste de refoulement des populations autochtones, les autres pour résister à l’annihilation.

C’est pourquoi loin de tout irénisme, en analysant cette dernière séquence du conflit d’un point de vue plus objectif, la question se pose de savoir s’il y a un vainqueur et un vaincu. En empruntant au vocabulaire militaire ses concepts de « tactique » et de « stratégique » tentons d’observer la situation.

Ce n’est pas un secret. Israël cherche à détruire le Hamas en tant que seul réel obstacle concret à la colonisation totale in fine de la Cisjordanie comme de Jérusalem. C’est son but stratégique à long terme. Au plan tactique, il lui faut pour cela obtenir sur le terrain des victoires décisives. Israël a donc besoin tactiquement d’infliger des pertes substantielles au Hamas ainsi qu’aux autres organisations de combat mais aussi surtout aux populations civiles afin que le Hamas soit déconsidéré et mort politiquement avant de l’être physiquement.

A l’inverse la stratégie des organisations palestiniennes de combat en tant que composantes du mouvement de libération nationale palestinien est d’une part d’apparaître comme le fer de lance de la résistance palestinienne et d’établir l’équilibre de la menace avec Israël. Sur le modèle de ce qu’a obtenu le Hezbollah lors de la guerre de 2006.

Force est de constater qu’Israël a échoué puisqu’en dépit des pertes et destructions humaines importantes subies par Gaza, il n’a pas pu rétablir ce que Netanyahu considérait comme son but de guerre : la dissuasion. Puisque jusqu’au dernier moment les organisations de résistance ont continué à lancer des missiles. Ces mêmes missiles pouvant rendre invivable la situation jusqu’aux confins nord de la colonie globale Israël. De plus, Netanyahou non seulement n’a pas réussi à atteindre les chefs politiques et militaires de la Résistance mais il n’a même pas osé se présenter à la télé pour s’expliquer sur d’éventuelles concessions sur Al Aqsa et Cheikh Jarrah. Signe de l’impatience d’Israël à cesser les combats, Netanyahu qui espérait attirer le Hamas dans un piège n’a même pas osé tenter l’invasion terrestre. Non seulement sur le terrain tactique Israël n’a pas réussi à obtenir la victoire escomptée mais en plus le système de défense « Bouclier » a été durement éprouvé à tel point que Biden a aussitôt promis une aide pour le remettre en fonction (à 50 000 dollars le missile).

A l’opposé, le Hamas est apparu comme le véritable leader du mouvement de libération national palestinien puisqu’il a réussi à se poser en champion des quatre segments où s’inscrivent les treize millions de Palestiniens et, plus important encore, en champion de Jérusalem. Soit le libérateur de tous les Palestiniens de la mer au fleuve et même au-delà.  Notons que cette victoire a été obtenu en limitant les pertes civiles si l’on compare celles d’aujourd’hui à celles de 2014 et ce, sans se voir infliger des conditions au cessez-le-feu, ce qui est une première.

Quant à Mahmoud Abbas son discrédit s’en trouve amplifié, lui qui a annulé les élections de crainte de voir le Hamas lui ravir la place et qui n’a même pas fait les strict minimum pour les habitants de Cheikh Jarrah  et les fidèles d’Al Asqa. Un discrédit qui largement éclaboussé les régimes Arabes ayant pactisé avec Israël.

Sur le front de l’opinion internationale, non seulement la lutte palestinienne marque des points mais stratégiquement elles se renforce.

Sur un autre plan celui du soutien à la lutte palestinienne, on peut se réjouir que la solidarité avec la lutte palestinienne dans le monde gagne du terrain ainsi que le prouvent l’avancée de BDS mais aussi les manifestations de masse ( 180 000 manifestants à Londres ce week-end et au moins autant à Chicago et New York les jours précédents ). Toutefois en France, même si la ferveur pro-palestinienne ne faiblit pas dans les quartiers d’immigration (c’est eux qui ont fait l’essentiel des manifestations) et si la FI et la CGT ont rejoint les manifestations, comment expliquer notre incapacité globale à atteindre cette masse critique que l’on a constatée outre-manche et outre Atlantique ?

Il semble que deux motifs sont à considérer. Le premier est celui de la lente criminalisation de la lutte palestinienne sous les coups de boutoir des gouvernements successifs de gauche comme de droite. Une gauche renouant avec son sionisme historique et une droite ayant abandonné toute référence gaulliste en matière de conflit Palestine/Israël qui maintenait malgré tout un semblant d’équilibre. Ce à quoi s’ajoute la lente érosion des libertés démocratiques et la mise en place progressive d’un système autoritaire. D’autre part la faiblesse du mouvement anti-impérialiste pour ne pas dire sa liquidation par l’ensemble des gauches de gauche françaises qui ont progressivement renoncé à leur internationalisme pour renouer avec un certain chauvinisme qu’elles n’ont jamais vraiment combattu. Quand on ajoute à cela leur tendance à préférer les résistances « laïques » aux « résistances » se revendiquant de l’islam, on comprend mieux la difficulté à réaliser l’unité du mouvement de solidarité avec la Palestine. Nous nous consolerons cependant en insistant sur la qualité morale des nouvelles générations de manifestants dont la tenue, l’enthousiasme n’ont d’égales que leur finesse politique spontanée.  Ils ont magistralement démenti les préjugés de la classe politique à leur égard et ridiculisé Darmanin aux yeux du monde. On sait donc qu’on pourra compter sur eux lorsque la Palestine aura de nouveau besoin de nous car si celle-ci a gagné cette bataille, la guerre coloniale, elle, n’est pas finie.

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