20 ans du 11 septembre : guerre permanente ou paix révolutionnaire, il faut choisir !

A l’occasion du vingtième anniversaire du 11 septembre, le QG décolonial s’associe à cet appel initialement paru dans Mediapart, le 11 septembre 2021.

 

C’est un anniversaire tragique que nous commémorons ce 11 septembre : à la fois les vingt ans d’un acte terroriste qui visa la plus grande puissance impérialiste du monde, les États-Unis, et provoqua la mort de plus de 3000 personnes, et ceux du déclenchement de la « guerre au terrorisme » qui sèmera la mort par centaines de milliers, détruira l’Afghanistan et l’Irak et provoquera un chaos à l’échelle internationale dont nous ne sommes pas près de voir la fin.

L’heure du bilan a sonné

Vivons-nous dans ce monde de paix que la doctrine antiterroriste nous promettait ? Non.

Le monde est-il plus dangereux qu’avant le 11 septembre ? Oui.

Si cette « guerre au terrorisme » a fait consensus parmi les dirigeants des grandes démocraties libérales du bloc occidental, la France – à l’instar des États-Unis – s’est distinguée par un bellicisme hors du commun. Elle s’est lancée dans la chasse aux signes islamiques ostentatoires, a réhabilité son passé colonial, redéployé ses armées dans ses anciennes colonies africaines, sécurisé ses intérêts dans le monde au détriment des souverainetés populaires et s’est battue activement pour maintenir son rang de grande puissance, d’abord face à son meilleur ennemi, les États-Unis, mais aussi face à la concurrence impitoyable d’autres prétendants à l’hégémonie : la Chine et la Russie.

Les bénéfices de l’industrie de l’armement n’ont cessé d’augmenter, et la France est devenue le troisième plus gros exportateur d’armes de la planète. Des armes qui servent à renforcer des régimes autoritaires, à écraser la révolte des peuples du Sud, et à faire régner l’ordre colonial/racial dans ses « outre-mer ».

Durant ces vingt ans, nous avons donc connu le renforcement de l’impérialisme français sous toutes ses formes mais aussi une crise économique sans précédent en 2008 qui allait jeter sur le carreau des dizaines de milliers de travailleurs et menacer la stabilité sociale des couches moyennes blanches relativement épargnées jusque là.

Mais, durant ces 20 ans, des phénomènes politiques majeurs, qui échappent aux cadres classiques de la gauche tant réformiste que révolutionnaire et réinventent la lutte, sont apparus :

  • L’antiracisme politique.
  • La révolte des Gilets Jaunes.

Le premier, qui tente d’exprimer les revendications des couches les plus basses du prolétariat, impose une analyse matérialiste du racisme mettant en évidence les rapports entre capitalisme et racisme, entre racisme et impérialisme, entre impérialisme et État-Nation, entre État-nation et blanchité et sonne le glas de l’antiracisme moral. Son adversaire : le racisme d’État et les formes nouvelles d’impérialisme. C’est cette version politique de l’antiracisme qui est aujourd’hui combattue avec force : propagande contre les « islamo-gauchistes », contre les réunions non mixtes, dissolution du CCIF, de Barakacity, menace de dissolution de l’Unef, féminisme civilisationnel, diabolisation des figures de l’antiracisme…

Si cette propagande a pris une telle ampleur, c’est aussi à cause du deuxième acteur de la révolte : les Gilets Jaunes qui représentent une part non moins négligeable du prolétariat blanc. Si ces derniers ont fait trembler le pouvoir, c’est essentiellement parce qu’ils ont tendanciellement dirigé leur colère non pas contre les quartiers ou les Musulmans, mais contre les classes dirigeantes. Voilà qui avait de quoi inquiéter le bloc bourgeois !

Si l’inquiétude est devenue panique c’est aussi parce que des organisations politiques et syndicales, à la gauche de gauche, ont su prendre fait et cause pour les Gilets Jaunes, les familles de victimes des violences policières, contre la négrophobie, et pour les Musulmans.

L’hypothèse d’une recomposition politique autour d’un bloc antiraciste et social ne pouvait que provoquer une frayeur immodérée.

C’est bien à l’aune de ces faits qu’il faut comprendre la surexploitation par le pouvoir de l’horrible assassinat de Samuel Paty qui aura la double conséquence de détourner l’opinion de la critique de son incurie dans la gestion de la crise sanitaire et sociale et de désigner un coupable idéal : la communauté musulmane.

Les effets de cette stratégie (isoler et réprimer le cœur du prolétariat le plus précaire – les non-blancs – et s’assurer de la collaboration de classe du prolétariat blanc en agitant l’épouvantail de « l’islam radical ») ne se feront pas attendre : si la loi dite « sécurité globale » provoque une vague d’indignation à gauche parce qu’elle multiplie les contraintes liberticides, ce ne sera hélas pas le cas de la loi contre les séparatismes qui cible les habitants de banlieue.

C’est malheureusement au cœur de cette contre-révolution que va se déliter l’antiracisme politique

En cause :

1/ D’habiles stratégies de marketing racial, qu’elles proviennent de l’État qui s’affaire à des nominations de façade et à des captures de prestige dans ses institutions ou, d’entreprises privées qui vendent l’émancipation et la liberté comme un droit de toutes et tous à consommer du luxe. Profitant de la brèche ouverte par le désir légitime de reconnaissance de populations longtemps méprisées et maltraitées, cette célébration individualiste et narcissique de la race comme nouveau produit libidinal et esthétique du capitalisme a pour but d’empêcher les dynamiques de transformation profonde de la société et d’offrir quelques récompenses pour mieux masquer les inégalités structurelles qui ne cessent de se creuser. Les effets de cette politique de diversion ne se sont pas fait attendre : concurrence entre les racisé·es, guerre interne et prise de distance forcée avec l’antiracisme politique jugé déraisonnable et contre-productif. Armes historiques du racisme, les politiques de respectabilité sont de nouveau à l’œuvre avec une efficacité redoutable.

2/ L’impact d’un renouveau européen de l’antisémitisme et de son instrumentalisation sur un fond de vraie / fausse culpabilité française héritée du régime de Vichy et de la collaboration, mais aussi sur un fond antijuif bien antérieur et toujours vivace. L’instrumentalisation du judéocide du XXe siècle non seulement justifie la fondation d’un État colonial – Israël – mais aussi dédouane l’Occident et la France de leur responsabilité dans tout autre crime raciste, colonial, ou impérial faisant de l’antisémitisme le seul baromètre de l’antiracisme officiel. Cette instrumentalisation n’offre que des avantages : éteindre toute critique d’Israël – il s’agit même aujourd’hui d’assimiler antisionisme et antisémitisme ! ; désigner la communauté arabe / musulmane dans son ensemble comme responsable de l’antisémitisme et de « l’importation du conflit » ; créer un clivage au sein du camp antiraciste, entre ceux qui refusent l’instrumentalisation et ceux qui s’en accommodent. Le statut de « protégés de la République », en organisant la concurrence entre victimes du racisme d’État, ne fait que prolonger l’antisémitisme en produisant un ressentiment qui peut se traduire par des actes violents, voire des crimes contre des Juifs. Dans ce parfait cercle vicieux, les juifs demeurent l’ « étranger secrètement familier » (S. Freud) dissimulant mal l’antisémitisme de ceux qui l’entretiennent.

3/ Un consensus favorable aux interventions françaises, justifiées par la lutte contre le terrorisme, a produit une indifférence de l’opinion et renforcé l’adhésion à l’idée que la France doit assumer un rôle de puissance mondiale. Ce consensus bénéficie d’une alliance objective avec les forces de la gauche réformiste qui défendent le rang de la France dans le monde et qui ne ciblent alors que l’impérialisme étasunien. A cela s’ajoute, ce qu’on pourrait appeler la colonialité de la solidarité, ce tropisme de la gauche qui consiste à ne soutenir que les mouvements qui adhèrent à son idéologie universaliste. Le remplacement de l’anti-impérialisme par la philanthropie corporate relégitime la figure du « sauveur blanc ». La guerre se normalise au point où l’embrigadement de la jeunesse dans l’armée ne choque plus (SNU), et où féminisme et antiracisme sont recyclés par le corps militaire et se traduisent par une exigence de diversité et de parité en son sein. Femmes et non blancs enrégimentés dans la préparation à la guerre : le nec plus ultra de l’égalité républicaine !

L’heure du choix a sonné : celui de la guerre permanente ou de la paix révolutionnaire.

Le funeste anniversaire du 11 septembre et ses conséquences épouvantables, la débâcle du bloc occidental en Afghanistan ainsi que l’ampleur de la crise mondiale sous toutes ses formes – économique, sociale, écologique, sanitaire – mais aussi la résistance des peuples doivent nous obliger à reconsidérer le répertoire stratégique de nos luttes. Les menaces de guerres et de guerres civiles, auxquelles les états-majors militaires se préparent, doivent nous alarmer au plus haut point, nous pousser à redessiner un nouvel horizon utopique et à nous réapproprier la notion de paix, trop souvent abandonnée à l’ennemi. Une paix urgente, impérative et vitale. Une paix irrécupérable par les faiseurs de guerre car tout à la fois anti-libérale, antiraciste et anti-impérialiste. En bref, une paix décoloniale et révolutionnaire.

Signé par : Gilbert Achcar (Grande-Bretagne, professeur en relations internationales), Kader Attia (Algérie-France, artiste), Omar Barghouti (Palestine, défenseur des droits humains), François Burgat (France, politologue), Enrique Dussel (Mexique, philosophe), Bernard Friot (France, économiste), Andreas Malm (Suède, maître de conférence en géographie humaine), Olivier Marboeuf (Guadeloupe, auteur, curateur et producteur de cinéma), Pascale Obolo (Cameroun, France, cinéaste, artiste), Jean-Marc Rouillan (France, militant et écrivain), Abdourahmane Seck (Sénégal, universitaire), Aminata Dramane Traoré (Mali, essayiste, ancienne ministre, Forum pour un autre Mali), Maboula Soumahoro (France, Black History Month), Françoise Vergès (Réunion, France, politologue, militante féministe décoloniale), Cornel West (Etats-Unis, philosophe)

Et par, en France :

  • Norman Ajari, philosophe
  • Yazid Arifi, militant antiraciste et anticapitaliste
  • Simon Assoun, coordination nationale de l’UJFP, éducateur spécialisé en protection de l’enfance
  • Jawad Bachare, militant antiraciste
  • Sandeep Bakshi, université de Paris
  • Yessa Belkhodja, collectif de défense des jeunes du Mantois
  • Omar Benderra, militant associatif
  • Judith Bernard, metteuse en scène
  • Daniel Blondet, militant du collectif antiguerre
  • Rachel Borghi, enseignante-chercheuse, militante, Sorbonne Université
  • Amzat Boukari, historien, militant panafricaniste
  • Houria Bouteldja, QG décolonial
  • Youssef Boussoumah, QG décolonial
  • Ismahane Chouder, féministe antiraciste
  • Eva Doumbia, autrice et metteuse en scène
  • Ali El Baz, militant de l’immigration
  • François Gèze, éditeur
  • Malika Hamidi, auteure et sociologue
  • Eric Hazan, éditeur
  • Marianne Koplewicz, éditrice
  • Léopold Lambert, rédacteur-en-chef de The Funambulist
  • Didier Lestrade, activiste, écrivain
  • M’baïreh Lisette, militant décolonial
  • Franco Lollia, Brigade anti négrophobie
  • Yamin Makri, éditeur
  • Carpanin Marimoutou, professeur, université de la Réunion
  • René Monzat, auteur, militant pour la laïcité
  • Selim Nadi, QG Décolonial
  • Yvan Najiels, militant communiste
  • Dominique Natanson, militant juif antiraciste
  • Adrien Nicolas, collectif ni guerre ni état de guerre
  • Ahmad Nougbo, militant panafricain
  • Olivier Marboeuf, auteur, curateur et producteur de cinéma, Guadeloupe
  • Karine Parrot, enseignante-chercheuse en droit
  • Axel Persson, CGT Cheminot, Trappes
  • Philippe Pignarre, éditeur
  • Lissell Quiroz, professeure, Cergy Paris Université
  • Gianfranco Rebucini, anthropologue, chargé de recherche au CNRS (EHESS, Paris)
  • Nordine Saidi, militant décolonial et membre de Bruxelles Panthères
  • Renaud-Selim Sanli, éditeur
  • Raphaël Schneider, Hors-Série
  • Michèle Sibony, militante de l’UJFP
  • Chantal T. Spitz, autrice tahitienne
  • Ghislain Vedeux, administrateur du CRAN et Vice-Président d’ENAR (European network againt racism)
  • Wissam Xelka, Paroles d’honneur
  • Hèla Yousfi, maitre de conférence, université Paris-Dauphine
  • Dominique Ziegler, auteur, metteur en scène
  • Amina Zoubir, cinéaste et artiste plasticienne
  • À l’international par,
  • Sadia Abbas, associate professor of literature, Rutgers University
  • Ariella Aicha Azoulay, Brown University, Etats-Unis
  • Amanj Aziz, founder Nyans : Muslim, Suède
  • Paola Bacchetta, professeure Berkeley, Etats-Unis
  • Hatem Bazian, universitaire, Etats-Unis
  • Omar Berrada, écrivain et chercheur, Maroc
  • Safa Chebbi, militante antiraciste décoloniale, Canada
  • Liryc Dela Cruz, cinéaste/artiste
  • Romina de Novellis, artiste performeuse et chercheuse, fondatrice Domus Artist Residency, Italie
  • Boaventura de Sousa Santos, university of Coimbra, Portugal
  • Binta Diaw, artiste, Italie
  • Fatima el-Tayeb, Yale University, Etats-Unis
  • Daniela Festa, activiste des communs et professeure, Université de Bologne, Italie
  • David Theo Goldberg, UCHRI, Etats-Unis
  • Ramon Grosfoguel, professeur à Berkeley University, Etats-Unis
  • Muriam Haleh Davis, University of California, Santa Cruz, Etats-Unis
  • Sari Hanafi, professeur de sociologie, université américaine de Beyrouth, Liban
  • Samia Henni, historienne et théoricienne de l’architecture, Etats-Unis
  • Sandew Hira, DIN, Pays-Bas
  • Mouloud IdirDjerroud, politologue, Canada
  • Ali Kadri, économiste, université nationale de Singapour
  • Laleh Khalili, Queen Mary University, Londres, Grande Bretagne
  • Azeezah Kanji, universitaire, journaliste, Toronto, Canada
  • Alana Lentin, universitaire, Australie
  • Ilaria Lupo, artiste, Italie
  • Nelson Maldonaldo Torres, philosophe, Rutgers University, Etats-Unis
  • Jamila Mascat, Utrecht University, Pays-Bas
  • Joseph Massad, professeur, Columbia University, Etats-Unis
  • Marc-Aziz Michael, chercheur, université américaine de Beyrouth, Liban
  • Minoo Moallem, professeure, Berkeley, Etats-Unis
  • Marie Moïse, militante, Italie
  • Valeria Muledda, artiste, Italie
  • Muna Mussie, artiste, Italie
  • Nikolay Oleynikov, artiste, activiste, Russie
  • Camille Penzo, chercheuse astrophysicienne, Italie
  • Alessandra Pomarico, commissaire indépendante, activiste, Italie, Etats-Unis
  • David PalumboLiu, Stanford University, Etats-Unis
  • Silvia Rodriguez Maeso, University of Coimbra, Portugal
  • Sara Riggs, poète, cinéaste, Etats-Unis
  • Racha Salti, commissaire, chercheuse, Liban
  • Guendalina Salini,  artiste visuelle, Italie
  • Salman Sayyid, Professor of  Decolonial Thought and Rhetoric, University of Leeds, Grande-Bretagne
  • Panagiotis Sotiris, journaliste, Grèce
  • Shela Sheikh, Goldsmiths, University of London, Grande Bretagne
  • Michel Warschawski, militant anticolonialiste, Jérusalem

Pour faire suite à ce manifeste, un meeting est prévu en décembre prochain à Paris dont les détails seront prochainement annoncés. Pour signer l’appel : https://chng.it/GVvcbTKJ. Nous contacter : [email protected]

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