C’est un véritable camouflet pour la France. Depuis près de trois mois, Paris a tenté de minimiser voire d’étouffer une affaire devenue trop encombrante. Un rapport accablant de l’ONU vient pourtant de mettre en cause la responsabilité de l’armée française dans la mort de vingt-deux personnes dont dix-neuf civils, réunis pour un mariage, le 3 janvier, près de Bounti, dans le centre du Mali. A peine ce rapport publié que de nouvelles accusations étaient portées contre l’armée française. Cette fois-ci, ce sont six jeunes chasseurs de Talataye, dans la région frontalière du Niger, qui ont été abattus par une frappe des forces de l’opération Barkhane. Comme dans le cas de Bounti, la France se défend en affirmant avoir ciblé des « djihadistes ».
Dès lors, un mot revient, lancinant: « bavure ». Ces « victimes collatérales » comme il s’agit de les nommer, seraient la conséquence regrettable de la « guerre contre le terrorisme » que la France livre au Sahel. Or, à l’instar des violences policières, les crimes de l’impérialisme français ne sauraient être réduits à de quelconques bavures ou accidents. Ils sont les conséquences même du déchaînement de violences provoqués par les opérations Serval et Barkhane. Loin d’être un cas isolé, le massacre de Bounti illustre au contraire la brutalité systémique qu’engendre les opérations militaires extérieures françaises et occidentales. Souvenons-nous des tueries causées par les frappes de drones états-uniens au Pakistan. Partout les mêmes scènes de carnage et de désolation. Partout une haine et une rancoeur contre les puissances occidentales. Partout ce même terreau propice au terrorisme.
Malgré ces lourdes accusations, il est peu probable que la France change de politique et de stratégie en Afrique. La ministre des armées, Florence Parly, a immédiatement rejeté en bloc les conclusions de l’enquête. Emmanuel Macron avait quant à lui réaffirmé au mois de février l’engagement de la France au Sahel. Les intérêts valent en effet bien quelques « victimes collatérales ».
Car cette « guerre contre le terrorisme » n’est évidemment qu’un prétexte, un écran de fumée visant à occulter les intérêts économiques et géopolitiques de l’État et du capitalisme français. Longtemps considérée comme son pré-carré, la zone sahélo-sahélienne, riche en terres rares et en ressources minières aiguise désormais l’appétit de nombreuses autres puissances mondiales. La Chine, la Turquie, la Russie mais aussi le Canada ou l’Australie convoitent des richesses indispensables à la fabrication des technologies de demain. Le contrôle du lithium, du coltan ou encore des minerais magnétiques sont en proie à une guerre de plus en plus féroce entre les multinationales.
L’exemple de l’or est à ce titre emblématique. Il représente respectivement 54 %, 78 % et 92 % des
exportations du Niger, du Burkina Faso et du Mali, trois pays éminemment stratégiques pour lesquels Paris porte une attention toute particulière.
Et que dire de l’uranium du Niger, dont l’extraction est du ressort quasi monopolistique d’Areva. Il a été a été au coeur de l’intervention française au Mali en 2013, comme l’a rappelé le général Vincent Desportes: « si la France ne s’était pas engagée le 11 janvier ( au Mali ), les risques les plus grands auraient existé ( … ) pour les ressources tout à fait importantes en uranium qui se trouvent au Niger » (1)
Le pillage des richesses, la misère, les massacres comme celui de Bounti, le soutien à des régimes et dirigeants corrompus ont déclenché ces derniers mois des manifestations sans précédent contre la présence française en Afrique. Dernier exemple en date, l’attaque et le pillage de nombreuses enseignes telles que Total ou Auchan, en marge des manifestations contre le président Macky Sall au Sénégal.
En première ligne de ces mobilisations se trouve une jeunesse africaine de plus en plus informée et politisée. Pour elle, pas de doute, les mécanismes néocoloniaux tels que le franc CFA ou les accords de libre-échange maintiennent les économies africaines dans un état de dépendance.
Les combats de cette nouvelle génération africaine ne saurait pour autant nous faire oublier la responsabilité qui est la nôtre, Si nous devons apporter un soutien indéfectible à tout mouvement qui vise à se libérer du joug néocolonial, c’est aussi des entrailles de l’édifice impérialiste que nous devons lutter, dans une perspective résolument internationaliste et décoloniale. Or, le moins que l’on puisse dire c’est que l’opinion est dramatiquement indifférente. On pourrait mettre cela sur le compte de la crise sanitaire qui redéfinit les priorités mais ce serait une fausse excuse. Cette guerre dure depuis bien trop longtemps pour effacer notre responsabilité tant morale que politique. A ce titre, il nous apparait primordial d’appeler chacun d’entre nous à un réveil internationaliste et à rejoindre les rangs du collectif ni guerre, ni état de guerre (http://www.collectifantiguerre.org/) qui a mis l’anti-impérialisme au coeur de son action, sa priorité étant de cibler l’impérialisme français, c’est à dire le nôtre. Il est grand temps de redevenir humain.
(1) Survie, Françafrique, la famille recomposée, Syllepses, 2014