Médine, Roussel et Hassani, à propos de deux masculinités antagoniques et d’un trait d’union

Le 8 mars, journée internationale des droits des femmes, Médine publie un document sonore sur son compte X qui dit en substance :

« On va se manger un mur en pleine gueule si on se déconstruit pas les gars. Perso la déconstruction s’est devenue une gymnastique quotidienne. Je suis encore en chantier. T’as qu’à voir les figures auxquelles je fais référence depuis le début. Y’a pas beaucoup de meufs. Pour un rappeur engagé, l’éveil aux autres combats, ça vient tester l’élasticité des tes engagements : lutte contre le patriarcat, féminisme, black live matter, transition écologique, lutte contre l’antisémitisme… T’as intérêt d’avoir les adducteurs de Jean-Claude Van Damme. Quand tu pointes les discriminations des quartiers populaires ou des Musulmans, et que t’es incapable de questionner ton privilège masculin à l’ère de MeeToo parce que ça te bouscule, qu’on ne peut plus rien dire, c’est que tu fais un peu partie du problème. Toi tu te plains qu’on ne considère pas assez tes revendications, « I’m muslim don’t panik », « le savoir est une arme » mais quand un autre groupe t’interpelle avec ses propres revendications, tu te braques, c’est que t’es pas un bon compagnon de luttes, c’est comme être contre les gros salaires jusqu’à quand on en ai un ».

Ce « coming out » féministe qui pourrait paraître salutaire d’un point de vue progressiste, l’est moins d’un point de vue décolonial quand on a en tête à la fois le caractère civilisationnel du féminisme blanc d’Etat et l’injonction faite aux hommes non blancs de s’y soumettre. C’est l’occasion pour nous de publier cette contribution d’Houria Bouteldja parue dans le Nous 3 qui, déjà, avait identifié la manière dont le parti communiste de Roussel reproduisait ce schéma raciste à l’endroit de Médine et de Bilal Hassani. Houria Bouteldja concluait son texte par l’espoir que Médine ne serait pas perdu à la cause décoloniale. A l’aune de son tout récent « coming out » et de cette analyse, nous laissons le lecteur en juger.

Deux photos, deux salles, une ambiance. Quand je suis tombée sur la première, Médine et Bilal Hassani, dans le journal l’Humanité du 31 août 2023, je l’ai eu mauvaise. Mais à quoi bon susciter une énième polémique dont on ne retiendra que ma phobie de ceci ou de cela ? Et puis, il y a eu la deuxième : Roussel et Hassani. Là, j’ai souri. Le message était limpide. On vous veut, mais à nos conditions : domestiqués. Nous sommes nombreux à comprendre le message et autant à avaler les couleuvres. Dès lors, la question qui se pose à moi est la suivante : dois-je souffrir seule de garder cette épine au travers de la gorge ou dois-je m’en débarrasser et la planter dans la gorge du bon progressiste blanc ? 

Si j’écris ce texte c’est que la question est tranchée. Tout d’abord, j’attire votre attention sur la photo manquante : celle de Roussel avec Médine. Autrement dit, du mâle blanc dominant, ici version saucisson-pinard avec celle du mâle indigène musulman au « sexe-couteau » – réputé alpha, hétérosexiste. J’y reviendrai mais convenez que c’est déjà significatif et qu’il y a déjà matière à gloser. 

      Ceux qui sont familiers de notre littérature savent comment le genre et la sexualité sont instrumentalisés par le pouvoir blanc contre les hommes non blancs vus uniquement sous le prisme d’une altérité sexuelle rivale. Ceux-là savent que le colon entretient un rapport raciste à l’endroit des hommes indigènes qui ne sont acceptés dans les cercles blancs qu’émasculés et dépouillés de tous leurs attributs virils. C’est-à-dire inoffensifs comme le sont les homosexuels dans l’imaginaire homophobe.

       Ainsi au moment où l’alliance des beaufs et des barbares se fait pressante et devient un enjeu politique – ce fourbe de Mélenchon ayant fait la preuve qu’elle est une clef du succès électoral -, il devient impératif pour les formations de gauche de faire les concessions qui conviennent pour attirer le chaland indigène. Médine est une porte d’entrée. Les Verts l’ont compris en dépit de « leur attachement à la lutte contre l’antisémitisme », les communistes aussi, en dépit de leur laïcardisme et de toutes leurs trahisons. Tout le monde l’aura compris, Paris vaut bien une messe. Mais tout comme les Verts ont résisté à l’annulation de l’invitation de Médine non sans lui avoir extorqué un acte public de contrition, les communistes, pas spécialement réputés pour leur avant-gardisme en matière de luttes LGBT, ont aussi tenu à se laver de ce rapprochement en associant le rappeur à Bilal Hassani, homosexuel déclaré se définissant comme « non binaire » bref en associant (diluant ?) une masculinité indigène anxiogène à une masculinité rassurante et inoffensive. Plus exactement, cette rencontre organisée par l’Huma avait valeur de test. Si Médine accepte de s’asseoir aux côtés de Bilal Hassani, c’est qu’il n’est pas si radical que ça ou, pour être plus précis, pas si musulman que ça. Remarquez au passage que « pas si musulman signifie « pas si antisémite », « pas si homophobe », « pas si sexiste ». 

Les communistes ont passé leur épreuve du feu avec succès. Ils ont invité Médine – on ne pourra plus leur reprocher leur islamophobie – mais à leur condition, celle du ralliement de Médine au progressisme libéral de la gauche blanche. N’a-t-il pas déclaré en parlant de Bilal Hassani : « nous sommes des frères de douleur » ? C’est bô. L’épreuve de l’homophobie (remplacez homophobie par sexisme ou antisémitisme) en compagnie de Bilal Hassani (remplacez Bilal Hassani par Sophia Aram ou Golem) a été remportée avec succès. Champagne ! 

               La seconde image est tout aussi significative. Si l’Huma s’excuse d’inviter Médine en créant cette mise en scène qui le dédouane, Médine reste encore trop radioactif pour le patron du PCF. Au parti, on se partage les tâches. Aux lecteurs et aux militants de base, on sert un discours woke adaptée à une opinion traversée par les courants antiracistes, féministes et LGBT : la rencontre de Médine et de Bilal Hassani est taillée pour eux.

               Au cœur de l’état-major, il n’en va pas de même. Médine reste suspect et sa barbe est trop longue. Et puis, il a fait une quenelle que les médias ne cessent de rappeler. Au Colonel Fabien on craint la réaction du beau et sémillant Raphaël Enthoven dont l’amitié a été conquise de haute lutte. Bilal fera mieux l’affaire. Il a une qualité majeure qu’il partage avec Médine : c’est un arabe. Il a une qualité majeure qui l’en distingue : c’est un homo revendiqué. Son corps lui appartient. Surtout, il n’appartient plus à sa communauté, ce qui est en soi une victoire car il devient « disponible ». Disponible à toutes les formes d’instrumentalisation. Il devient la figure indigène idéale avec laquelle Roussel peut s’afficher, le « racisé » qui rapporte et qui ne coûte rien. Ça méritait bien un tweet que Roussel s’est empressé de faire le 16 septembre 2023 pour donner à la rencontre toute la publicité qu’elle méritait : « Très heureux d’avoir pu rencontrer Bilal Hassani à la Fête de l’Humanité », s’affichant fièrement avec lui, main sur l’épaule, comme au bon vieux temps de la main jaune. Champagne bis !

    Là où le bât blesse c’est que l’imaginaire grossier du PC est globalement partagé par les quartiers : un arabe homo ET revendiqué comme tel n’est plus tellement un arabe. Par conséquent, si l’opération peut être une réussite côté bobos et grands médias, elle ne l’est pas tellement pour rallier l’indigène profond. Car l’indigène profond coûte. En plus de n’être point lisse, il exige du PC qu’il se salisse les mains, par exemple qu’il dénonce l’islamophobie, la fermeture des mosquées, l’expulsion des imams, les crimes policiers, voire demande l’abrogation de la loi de 2004… Ce qu’évidemment le parti de Roussel, étant donné sa dérive droitière, ne peut se permettre, raison pour laquelle un shooting Roussel-Médine n’est pas près d’être programmé.

Résumons : 

La première photo halalise Médine. Passé par un sas de dévirilisation, il a le droit de mettre un orteil à la Fête de l’Huma. La deuxième photo donne à Roussel l’illusion de concurrencer la FI en s’affichant avec un « vrai » indigène à condition que sa blanche virilité ne soit pas impactée.

Il en résulte que :

1/ Roussel est raciste. Mais ça, tout le monde le sait.

2/ Roussel reconduit et prolonge, en associant homosexualité et inoffensivité, une homophobie qu’il prétend combattre.

3/ Roussel fait de Bilal Hassani un token : celui d’être un trait d’union entre deux virilités antagoniques et irréconciliables.

4/ Roussel fait chou blanc. 

Cette opération aura sûrement eu le mérite de choquer la gauche institutionnelle (à cause de Médine) et de susciter l’admiration de la gauche de gauche (à cause d’Hassani), mais n’aura gagné aucun indigène à la cause du communisme français. De la même manière qu’en Picardie on ne confond pas les torchons et les serviettes, dans la cité du Luth ou aux Minguettes, personne ne confond Roussel et Mélenchon !

Juste avant la rencontre de l’Huma, et alors qu’il était invité par les Verts provoquant une polémique que seuls les Français peuvent comprendre, j’avais personnellement interpellé Médine et lui avais donné un conseil : 

« Médine, si j’étais toi, je n’irais pas. Si tu y vas, ils pourront se vanter auprès des indigènes de ne pas avoir cédé aux fachos mais, alibi, tu resteras leur otage. Si tu déclines la tête haute, tu les laisses face à eux-mêmes et aux contradictions qu’ils doivent résoudre pour nous mériter. » Sans surprise, il ne m’a pas écoutée. Les décoloniaux, combien de divisions ? N’est-ce pas ? 

Mais comme je ne désespère pas, ce conseil reste valable car la pulsion domesticatrice de barbares est puissante. Abdelkebir Khatibi ne nous a-t-il pas mis en garde ? « Pauvre Arabe, où étais-tu, réduit à une série de traits d’union! » Si je devais formuler un vœu, j’aimerais que Bilal l’entende aussi.  Après tout, on a bien récupéré Zineb… Mais avant tout, puissions-nous ne pas perdre Médine !

Houria Bouteldja

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