Édito #34 – Révoltes antivax en Guadeloupe : l’angle mort colonial

Au moment où nous publions cet article, les événements vont très vite en Guadeloupe. La République française, dans le sillage de sa célébration cette année de Bonaparte qui rétablit l’esclavage aux Antilles via des expéditions militaires meurtrières, a décidé d’y envoyer des troupes – en l’espèce RAID et GIGN. Une opération jugée « normale » par le candidat d’EELV, Yannick Jadot. Le couvre-feu décrété et les coups de mentons pour mater la révolte – et il y a à cette heure des morts – attestent que l’insurrection du peuple de Guadeloupe est avant tout anticoloniale.

 

Depuis plusieurs jours, à la suite d’un appel (selon Le Monde) à la « grève générale » contre l’obligation vaccinale des soignants, la Guadeloupe connait une situation quasi insurrectionnelle. La population guadeloupéenne qui a payé un lourd tribu à la pandémie de Covid se révolte donc contre une vaccination obligatoire ainsi que contre le Pass sanitaire.

Nous ne discuterons pas la pertinence de ce point tant il nous semble sur le fond presque subalterne et masquer l’essentiel. Il ne faut pas perdre de vue le point politique central dans la situation : la révolte en Guadeloupe aujourd’hui comme celle, valeureuse et emmenée par Elie Domota et le LKP en 2009, est une révolte anticoloniale qui a tout notre soutien.

C’est pour cela que la question de la politique sanitaire à mener en Guadeloupe ne peut pas, ne doit pas recouvrir la question essentielle et le point révoltant d’injustice qu’est le colonialisme.

Les Antilles françaises ont beau être devenues dans le sillage de la décolonisation un département d’outre-mer (un DOM), elles demeurent une colonie française et la politique que l’État français mène en Guadeloupe (mais aussi en Martinique et en Guyane) est une politique coloniale.

Plusieurs aspects illustrent ce point : la pauvreté y est plus élevée qu’en France métropolitaine, les élites y sont majoritairement blanches, la jeunesse guadeloupéenne est tenue de se rendre en France si elle veut mener des études universitaires dignes de ce nom et enfin, pour ce qui touche aux questions de santé publique, le CHU de Pointe-à-Pitre est dans un état de délabrement avancé comme c’est le cas de la plupart des centres hospitaliers des DOM/TOM. La grande île antillaise qu’est Cuba façonnée par l’anti-impérialisme de Fidel Castro et de ses compañeros assure, elle, bien que pauvre et isolée, la santé et l’instruction pour sa population.

La révolte en Guadeloupe répond aussi à cette injustice, à la situation criante de l’île par rapport à la France, aux coupures d’électricité ou d’éclairage public et de la vie chère. Sur l’hostilité au vaccin et au Pass, le refus de la population d’être empoisonnée fait au long cours écho à l’histoire antillaise contre l’esclavage. En effet, Caroline Oudin-Bastide dans L’effroi et la terreur (Esclavage, poison et sorcellerie aux Antilles) montre comment le thème de l’empoisonnement a un rôle dans les rapports entre oppresseurs blancs colons et esclaves déportés d’Afrique qui, chacun, en éprouvent la crainte. Le colon esclavagiste craint d’être empoisonné par les esclaves qui ne disposent d’autres armes de libération tandis que les esclaves craignent la colère de leurs maîtres et la puissance de l’empoisonneur.

Ce thème puissant du refus de l’empoisonnement par les descendants d’esclaves en Guadeloupe doit être pris au sérieux comme remémoration anticoloniale. Lorsque, dans un article, un Guadeloupéen fait référence au vaudou, il rappelle l’importance de cette histoire, de la violence coloniale (et postcoloniale, on le verra) doublée de l’esclavage aux Antilles. La crainte de l’empoisonnement et la référence au vaudou évoquent en quelque sorte ce que dit Walter Benjamin sur la mémoire et la revanche des ancêtres, des vaincus. Par sa révolte, et au-delà de toute considération sur la nécessité d’être vacciné et du Pass sanitaire, le peuple de Guadeloupe n’entérine pas la fable des DOM qui auraient mis fin à la décolonisation. Il a opiniâtrement refusé l’intégration au récit faisandé républicain et partant défend admirablement dans ce que cela a de plus profond et existentiel sa dignité, sa négritude (au sens de Césaire).

L’histoire des esclaves en Guadeloupe est en effet et y compris au sein des Antilles encore sous domination française particulièrement violente. Cette histoire a beau être en France occultée, il faut se souvenir que Bonaparte, comme en Haïti, décide après l’abolition de 1794 de rétablir l’esclavage en Guadeloupe. Avec 4000 militaires, il y écrase la révolte en 1802 au prix de plusieurs milliers de morts guadeloupéens (6% environ de la population noire). Louis Delgrès, célébré par Aimé Césaire, est le dirigeant de l’héroïque insurrection des esclaves. L’un des deux généraux napoléoniens auteurs de ce massacre, Richepance, a eu longtemps son nom dans une rue parisienne et qui figure encore sur l’Arc de Triomphe.

L’histoire guadeloupéenne est particulièrement jonchée de ce genre d’épisodes parmi les Antilles françaises avec, dans la seconde partie du XXème siècle, les tragiques événements de Mai 67 après qu’une sommité gaulliste blanche locale a lâché, comme dans l’Afrique du Sud de l’apartheid ou les USA des années 1960, son berger allemand contre un cordonnier noir handicapé. La répression des émeutes consécutives à ce racisme d’Etat déchaîné fera près de 100 morts (probablement 87 mais Taubira elle-même parle de « 100 morts »). Plus près de nous, la question de l’empoisonnement, bien réel celui-là, est revenu avec le scandale du Chlordécone, pesticide cancérigène utilisé des années dans les bananeraies pour éradiquer un ravageur et dont l’épandage a empoisonné les sols et une large partie de la population de l’île.

Au-delà donc des considérations sur la nécessité vaccinale, c’est bien toute cette histoire qu’il faut avoir à l’esprit. La gestion du COVID-19 par la République française en Guadeloupe est coloniale. Le refus guadeloupéen du vaccin n’a donc rien de comparable avec celui d’ici, souvent individualiste et confusionniste. Par sa révolte contre la politique sanitaire de la République française, le peuple guadeloupéen se constitue de nouveau politiquement en tant que peuple. Un peuple débout qui n’a pas sombré dans l’oubli de l’histoire de ses ancêtres, de l’esclavage et de la violence y compris empoisonneuse de la puissance coloniale. Du reste, l’envoi de policiers et de gendarmes du RAID et du GIGN accompagnés d’un couvre-feu à la suite d’une déclaration gouvernementale martiale ne font qu’attester et confirmer la dimension coloniale de l’affaire.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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