Youssef se la raconte #3 : Frédéric II de Hohenstaufen, l’Empereur qui aimait les Arabes

Qui a entendu parler de l’empereur Frédéric II de Hohenstaufen (à ne pas confondre avec son grand-père Frédéric Barberousse) empereur du Saint-Empire romain germanique (1194 à 1250) ?

Vous me direz pourquoi parler de lui ? Eh bien chers amis, ce noble personnage qui en plus d’être empereur fut roi de Germanie, roi de Sicile, roi de Provence-Bourgogne (ou d’Arles), et roi de Jérusalem va vous étonner à plus d’un titre. Et ce, bien que l’histoire semble ne lui avoir concédé qu’un strapontin. En fait, il fut tellement décrié par le monde chrétien officiel qu’il n’existe aucune hagiographie à mettre à son crédit comme cela aurait dû être le cas pour un personnage de cette importance. Plus incroyable, bien qu’empereur du Saint-Empire, sa place dans la hiérarchie des potentats européens suivant immédiatement celle du pape, il fut excommunié à trois reprises. Et le pape Grégoire IX alla jusqu’à le qualifier « d’Antéchrist ».

En fait sa destinée aurait dû être toute différente et on l’imagine plutôt en roi de la Renaissance, aimant la vie et les arts, humaniste avant l’heure, qu’en empereur chevauchant et guerroyant (sachant qu’il abhorrait la guerre). Épris de paix, il ne se résigna à l’usage des armes que contraint et forcé. À sa cour se pressaient des savants du monde entier, car il portait un grand intérêt aux mathématiques, aux beaux-arts, à la philosophie, mais aussi à la botanique, à l’agriculture. L’architecture le passionnait à tel point qu’il dressa lui-même des plans de châteaux. De plus il fut à l’origine de réformes administratives audacieuses. Il parlait au moins six langues : le latin, le grec, le sicilien, l’arabe (oui l’arabe), le normand et l’allemand.

L’empereur Frédéric et le sultan Muha

En fait vous l’avez compris, si je me permets de briser la monotonie de votre dimanche après-midi chers amis, c’est qu’il s’agit d’un personnage hors du commun. Et d’abord parce que Frédéric II fut effectivement ce que l’on pourrait appeler un empereur arabo-islamophile qui voua à la culture et aux sciences arabo-musulmanes une véritable dévotion.

Tout d’abord à cause de sa naissance. L’accouchement de sa mère comme ce fut parfois le cas dans l’histoire, se déroula en public, afin de permettre une totale transparence et légitimité (éviter les substitutions d’enfant comme cela se produisait parfois). On dressa une tente sur la place principale de Jesi (ville italienne de la province d’Ancône dans la région des Marches) où la maman fut installée dès qu’elle ressentit le moment venu. Malheureusement, l’accouchement se présenta si mal que craignant le pire, on dû faire appel à deux médecins arabes qui sauvèrent la mère et l’enfant.

Mais c’est surtout en raison de ses excellentes relations avec le monde musulman qu’il nous intéresse. Non seulement, nous l’avons dit, il parlait l’arabe, mais il arrivait souvent qu’il se vête en arabe à sa cour. Il fut l’ami de princes arabes dont le sultan d’Égypte et son ambassadeur et introduit avec sa femme la mode de l’amour courtois directement inspiré des Arabes. Il excellait comme les Arabes dans l’art de la fauconnerie (il écrivit un manuel qui fit autorité jusqu’à nos jours) et fut aussi une référence en matière d’élevage des chevaux tout comme les Arabes.

Mais là où plus que tout il étonna le monde, c’est la manière dont il mena la sixième croisade, la seule qui fut effectivement un pèlerinage en Terre sainte et non une opération guerrière. De fait, ce fut une croisade pacifique. En tant qu’empereur du Saint-Empire romain germanique il avait obligation de mener la croisade, ce dont il fit la promesse au pape. C’est à dire qu’il était chargé de rameuter tout ce que la chrétienté d’Occident avait comme souverains et chevaliers valeureux et les mener à l’assaut de Jérusalem à nouveau entre les mains des musulmans depuis 1187 par la victoire de Salah ad Din. Et c’est là que son intelligence fit le reste. Ne voulant surtout pas avoir recours aux armes contre le monde de l’Islam qu’il admirait tant et dans une ville sainte comme Jérusalem, il mit au point un stratagème qui lui permit de concilier à la fois ses obligations de souverain et son désir de paix avec le monde musulman.

Tout d’abord il aurait dû partir en croisade, selon sa promesse faite au Pape, en 1227, mais comme différents problèmes de gouvernance et de remous parmi les princes lombards l’en empêchèrent il dut attendre l’année suivante. Ceci n’empêcha pas Grégoire IX, fraichement élu pape et pris de fureur de l’excommunier une première fois. Il partit l’année suivante, alors que son excommunication n’était pas levée. En réalité, sa croisade fut un leurre et une gigantesque mise en scène. Arrivé à Jérusalem en 1228, il demanda aussitôt à rencontrer le sultan Malik al-Kamel avec qui il avait déjà tissé des liens d’amitié. Un simulacre de bataille fut organisé entre les deux armées avec zéro mort, en réalité une sorte de grande joute pacifique où des combattants s’affrontèrent en des combats sportifs comme il s’en faisait beaucoup dans les villes d’Occident les jours de fête. À l’issue de ce semblant de bataille, un accord fut conclu, le traité de Jaffa, qui déclara l’empereur vainqueur. Et c’est ainsi qu’officiellement Frédéric II, se couronnant lui-même, fut déclaré roi de Jérusalem en mai 1229. Une belle fête fut organisée, Malik al Kamel remit symboliquement les clefs de Jérusalem sur un coussin brodé d’or à Frédéric II qui s’empressera de les rendre aux musulmans avant de reprendre la route du retour et chacun reprit sa place. C’est ainsi que le pape Grégoire IX, n’ayant pas été dupe de l’opération, décida la seconde excommunication de Frédéric II, en mars 1228. D’ailleurs, les rapports houleux entre l’Empereur et le Vatican (pour des questions de pouvoir cette fois ci) furent tels que le pape succédant à Grégoire IX, Innocent IV, l’excommunia à nouveau en 1247, incitant les souverains d’Europe à lui déclarer la guerre et à se considérer comme croisés pour l’occasion. Fort heureusement, les rois francs et d’Angleterre ne suivirent pas l’ordre d’Innocent IV.

Frédéric II mourut d’une crise de dysenterie en 1250 et repose dans la cathédrale de Palerme auprès de ses aïeux (si vous passez par la Sicile, n’hésitez pas à faire le détour). Pour être complet sur le personnage, sans doute ne devons-nous pas passer sous silence cette fameuse et criminelle expérience qu’il fit réaliser sur le langage des nouveau-nés et qui se termina par un terrible fiasco. Mais visiblement, il impressionna tant les esprits éclairés de son temps par ses réformes et son esprit moderne qu’ils ne s’y trompèrent pas. Reconnaissant sa valeur, ils lui donnèrent le surnom de Stupor Mundi (la « Stupeur du monde »). Mieux que ça, une croyance naquit, disant qu’il était juste « endormi » d’un sommeil magique dans le cratère de l’Etna et qu’il allait à coup sûr ressusciter. Ne voulant croire à son décès, beaucoup s’attendaient à son retour dans une forme de messianisme païen.

Dans son ouvrage, Dante le place en Enfer, mais loue « la noblesse et la droiture » de l’Empereur. « Le soleil du monde s’est couché, qui brillait sur les peuples, le soleil du droit, l’asile de la paix », écrivit son fils à sa mort.

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