Youssef s’la raconte #18 – Demande de pardon de Macron aux Harkis : oui, mais pour les avoir fabriqués!

Le 20 septembre dernier, le président Emmanuel Macron a officiellement demandé « pardon » au nom de la France aux harkis, annonçant une prochaine loi « de réparation », lors d’une cérémonie solennelle à l’Élysée. Dans le cadre du projet de loi, une commission sera chargée de recueillir les témoignages « et de faire toute la lumière sur ce drame ». 

Qui sont les harkis ? 

Est-ce un hasard si, dès 1955, l’idée de fabriquer des « harkis » est réintroduite par un ethnologue et historien français, Jean Henri Servier, particulièrement connu pour ses travaux d’anthropologie coloniale ? Les harkis sont des Algériens recrutés comme supplétifs par l’armée française. Leur recrutement et leurs fonctions témoignent de statuts et situations multiples. En 1962, au moment de l’arrêt des combats, on dénombre 263 000 musulmans engagés du côté français. Sur ces 263 000, on compte 60 000 soldats réguliers qui sont des jeunes Algériens appelés sous les drapeaux dès l’âge de 21 ans comme leurs homologues de métropole, rarement envoyés dans les zones de combat et plutôt employés à des tâches de maintenance en caserne. Il y a aussi 50 000 notables, c’est-à-dire bachagas, caïds mais aussi employés de mairie et élus ou nommés par l’administration. Et puis 100 000 que l’on peut appeler harkis « volontaires » ou supplétifs militaires. Parmi ces derniers, environ 70 000 ont été « abandonnés » par la France en Algérie et 25 000 ont pu partir pour la métropole. Avec leurs familles, ils seront 80 000 à réussir à s’installer en France. 

Les motifs de recrutement 

Pour l’administration recruter des harkis a un double objectif. D’une part combattre le FLN avec des gens qui connaissent le terrain et les structures de l’ALN. D’autre part comme pour les autres Algériens « au service de la France », il s’agit d’élargir la base sociale musulmane de soutien à la France. De fait, avec leurs familles, tous ceux qui sont liés à la France représentent plus de 1,5 millions de Musulmans. 

Combattre deux idées fausses 

La première est que les harkis abandonnés par la France auraient tous été massacrés. Rien n’est plus faux. Selon Pierre Daum dans son étude “Le dernier tabou “ – Les harkis restés en Algérie”, aux éditions Actes-Sud, on apprend que la plus grande partie des harkis restés au pays « mènent une vie plutôt tranquille et n’ont jamais été exposés à la vindicte populaire ni à des actes de vengeance, comme le prétend l’historiographie officielle française » pour nourrir le ressentiment anti algériens. Même si effectivement plusieurs milliers auraient effectivement subi ce sort dans la période de l’indépendance, au moment où les autorités algériennes n’ont pas encore pris le contrôle de la situation. Après cela, le président Ben Bella ira même jusqu’à menacer de mort les coupables d’assassinat de harkis. (Dépêche de l’Agence France-Presse du 4 juin 1963, reprise par Le Monde du 5 juin 1963 : « Les assassins de harkis seront exécutés, déclare M. Ben Bella à Oran ».) 

La seconde assertion est que l’engagement des harkis aurait été fait par choix du camp français. Là encore rien n’est plus faux, toujours selon Pierre Daum nombre de harkis étaient favorables à l’indépendance de l’Algérie. Toute puissance coloniale en situation de guerre d’indépendance pour alléger le fardeau de son engagement militaire mais aussi pour se faire accepter cherche à “indigéniser “le combat c’est-à-dire non seulement à enrôler dans son camp des combattants locaux mais éventuellement à faire se combattre entre eux les colonisés. Le but est de monter qu’en fait la puissance coloniale n’est là que pour arbitrer un différend entre indigènes ; ce sera le cas des Français au Indochine mais aussi l’action des britanniques en Irlande ou celle des Etats-Unis au Vietnam. Chacun de ces pays ayant produit ses propres harkis en définitive. 

 La fabrication des harkis

 Contrairement à une idée reçue et largement diffusée par les autorités françaises et l’extrême droite depuis 60 ans lors des hommages aux harkis, la plupart de ceux-ci n’étaient pas forcément partisans de l’Algérie française. Plus insolite au contraire beaucoup de harkis versaient leur cotisation au FLN. 

Alors comment expliquer ces 100 000 harkis ? C’est là que nous nous trouvons au cœur d’un des plus grands mensonges de la république. Une vérité doit être martelée : la majeure partie des harkis furent fabriqués par la France. Hormis des familles de féodaux ayant clairement choisi le camp du colonisateur pour des questions de privilèges ou de prestige (par exemple des agents historiques de la France comme le sinistre et sanguinaire bachaga Boualem) ou des Algériens s’enrôlant dans l’armée française pour se venger du FLN (certains habitants dont un parent avait été tué par le FLN) ou encore des personnes dont la survie économique dépendait immédiatement de la France, rares sont les Algériens « ayant choisi » délibérément le camp de la France. Il en va de même pour nombre de paysans ou tribus recrutés comme harkis par l’armée française, celle-ci exploitant leur ignorance des enjeux et le fait que souvent, ceux-ci n’ont presqu’aucun lien avec le monde extérieur. Là encore il ne s’agit pas d’un choix délibéré pour la France. 

Mais la très grande majorité des harkis combattants d’origine rurale étaient en fait des villageois vivant dans des régions montagnardes les plus exposées. A savoir celles des lignes de crêtes que se disputaient FLN et armée française pour leur importance stratégique. La journée, nombre de ces villages étaient occupés par l’armée française autour de son drapeau. La nuit les combattants de l’ALN s’y déplaçaient comme des poissons dans l’eau à la recherche du précieux ravitaillement. Quand l’armée française estimait ne plus contrôler la situation, elle imposait aux villageois un chantage cruel. Ou ceux-ci acceptaient de prendre les armes qu’on leur proposait pour défendre eux même le village et chasser les moudjahidines en recherche de vivres, ou le village était détruit au mortier, les villageois disposant d’une heure pour évacuer les lieux. La population étant ensuite conduite vers les sinistres camps de regroupement aux conditions de vie épouvantables créés dans le but de priver le FLN de l’appui de la population. Selon le fameux principe de contre guérilla où il s’agit de vider l’eau du bocal pour empêcher les moudjahidines d’être dans les campagnes comme des poissons dans l’eau. Le rapport Rocard commandé par Edmond Michelet en 1962 estime à près de 2 millions c’est-à-dire le 1/4 de la population rurale le nombre d’Algériens qui y furent internés (le même dispositif fut mis en place au Cameroun dès 1957 afin de priver les indépendantistes du soutien populaire.). Dans ces camps, on soufre du froid de la faim et des maladies. C’est ainsi que nombre de harkis seront recrutés parmi les internés de ces camps de regroupements où l’engagement dans l’armée permet de ne pas mourir de faim. 

Une dernière catégorie de harkis met en évidence le caractère cynique du gouvernement et de l’armée française. Les prétendus « ralliés ». 

Comme l’armée allemande avec les prisonniers soviétiques, les ordres étaient stricts : tout prisonnier de l’ALN était passible de l’exécution après torture. Soit celui-ci passait dans le camp français soit il était fusillé. Voilà ce que les autorités françaises présentaient comme des déserteurs du FLN ralliés à l’armée française. Ce sont ainsi plusieurs milliers d’ex combattants FLN qui furent contraints de revêtir l’uniforme français et qui constituèrent les fameux commandos de chasse dédiés à la poursuite des katibas de l’ALN. Dont le sinistre commando Georges coupable d’exactions dignes de la division Das Reich à Oradour sur Glane (25 d’entre eux furent massacrés en 1962 par les familles de leurs victimes). Evidemment dans leur cas toute défaite de la France équivalait à une mort certaine d’où une cruauté sans pareil organisée par leurs officiers français pour empêcher tout retour en arrière et toute défection. A tous ceux-là, il faut ajouter ceux des Algériens qui furent enrôlés de force, sous la menace de chantages les plus sordides, viol de la femme, menace de réduction à la misère, diffusion de fausses informations selon lesquelles l’individu ciblé serait un harki, d’où pas d’autre choix que de devenir harki (une pratique reprise par l’armée israélienne pour se fabriquer ses harkis), ou en exploitant les vieilles rivalités familiales ou tribales. 

Il ressort de ce bref panorama que si le gouvernement algérien en 1962 n’est pour rien dans ce drame des harkis assassinés, cette question est aussi une question algérienne.  
Cependant l’Algérie devrait réaliser la façon dont non seulement les colonialistes français fabriquèrent ces harkis souvent par le chantage à la misère ou sous la menace de mort. En prendre acte et au moins accorder aux jeunes générations, les enfants de harkis une pleine citoyenneté et l’arrêt des persécutions et vexations. Et ce d’autant qu’Abdelaziz Bouteflika affirme fort justement à Jacques Chirac en 2005 que “les enfants des harkis ne sont pas responsables des actes de leurs parents “.  

Quant à la France si non seulement dans l’immense majorité des cas elle est bien responsable de la fabrication des harkis qui pour la plupart étaient réticents, si elle l’est aussi du terrible sort de ceux qu’elle abandonna en Algérie à la vindicte et représailles (de 10 000 à 25 000 morts), la façon cruelle dont elle traita les heureux « rapatriés » en France est souvent passée sous silence. Au total, entre 80.000 et 90.000 personnes qui se réfugient en France entre 1962 et 1968 où ils connurent des conditions d’existence terribles. Rappelons que pour toutes ces pratiques rigoureusement interdites selon le droit international la France aurait dû être condamnée. 

Conformément à ce que les autorités algériennes ont répondu à Emmanuel Macron la question des harkis est donc bien d’abord « une question franco-française ». Et du coup les interrogations sont les suivantes : Pourquoi l’État français a-t-il privilégié une politique d’internement massif, plutôt qu’un reclassement familial ou individuel ? Comment a-t-on pu interner des milliers de familles françaises si longtemps, dans de telles conditions et en dehors de tout cadre légal ? Certes Emmanuel Macron demande pardon aux harkis pour les avoir abandonnés en Algérie en 1962, d’accord, mais que dire de l’opération ayant consisté à les obliger à trahir leur propre peuple ? De plus, le fait de les avoir enfermés dans des camps n’est-ce pas aussi une preuve de culpabilité de la part de la République, une façon de tenter de dissimuler par tous les moyens le crime dont ils sont devenus la preuve vivante ? En définitive, Macron doit évidemment demander pardon aux harkis, mais pas seulement pour les avoir maltraités. Il doit demander pardon pour les avoir fabriqués ! Quant à demander pardon aux victimes algériennes, le refus des autorités françaises actuelles de s’y résoudre est l’illustration du fait que 60 ans après la guerre d’Algérie l’indépendance de ce pays en réalité n’est toujours pas acceptée.  Pas plus que le crime de colonialisme.

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