Édito #30 – 17octobre 61 : contre l’auto amnistie de l’Etat et la “reconnaissance” low-cost de Macron

« Victoire totale » diront les uns. Après 60 ans de lutte, le combat pour la reconnaissance du crime d’Etat du 17 octobre 61 a enfin abouti !  « Poudre aux yeux et enfumage » diront les autres.

En effet, certains diront qu’il s’agit d’un pas important à mettre au crédit de tous les militants qui depuis au moins 40 ans inlassablement se battent pour que soient honorés les martyrs. Et nous pouvons même ajouter que le fait d’obliger les gouvernements successifs à réagir même s’il s’agit pour eux de contourner la reconnaissance pleine et entière avec des contorsions sémantiques est déjà en soi également une réussite.  Certes « ni excuses, ni repentance » pour les familles des victimes et le peuple algérien mais dans un contexte politico social où l’extrême droite a le vent en poupe et où la gauche et les indigènes semblent laminés, on pourrait se contenter de cela.

Oui mais, il y a un mais et même plusieurs. Entrons dans le vif du sujet et commençons par les prestations officielles, notamment la plus scandaleuse.

Il y eut le matin du 17 octobre 2021, un dépôt de gerbes en hommage aux victimes sur le Pont St Michel de Paris.  Curieusement, seul le préfet de police Lallemand a eu le droit de le réaliser. Ainsi plus tard, la manifestation a été empêchée d’approcher le pont St Michel.  Cela va tout à fait dans le sens de l’assertion du communiqué officiel selon laquelle « les premières commémorations furent organisées par le maire de Paris et d’autres élus de la nation » et que (si) « la France regarde son histoire avec lucidité, elle le doit d’abord à elle -même. » L’idée ici est d’affirmer l’omnipotence de la république qui seule a décidé de commémorer ce massacre a lors que les commémorations officielles sont le résultat du travail et de l’acharnement de militants initiés dès les années 80. Où sont les familles de victimes, où sont les descendants d’Algériens, où est la société civile ? Ne s’agit-il pas là d’une sorte d’auto absolution et de la police et de la République ? Une autoamnistie pour ce crime de masse unique dans les annales européennes depuis un siècle au moins ?

Prenons maintenant la commémoration de Macron au pont de Bezons. Il est curieux de constater que le Président s’est contenté d’un dépôt de gerbe sans daigner faire la moindre allocution. Ainsi, de façon surréaliste les images de la cérémonie au pont de Bezons n’ont pas de son. D’autre part, pourquoi une cérémonie à Bezons, hors du centre, qui n’est qu’un des lieux secondaires du massacre alors que les cérémonies se font habituellement sur le Pont St Michel, tout proche de la préfecture de police, là où Papon donnait ses ordres ?

Abordons maintenant le communiqué de l’Elysée, chef d’oeuvre de duplicité et de prouesse rhétorique.

  • A plusieurs reprises est utilisée l’expression « Algériens », pour désigner les manifestants. N’est-ce pas une façon d’externaliser les manifestants ? D’en faire des étrangers pour amoindrir le mal réalisé ? De fait ces manifestants étaient tous des Français musulmans d’Algérie et non des Algériens, des « Français à part entière » selon la formule de de Gaulle. C’est donc un Etat qui a massacré ses propres citoyens. Cela a des implications au plan du droit international. Nous ne ferons pas l’injure à Macron de penser qu’il l’ignorait. Le motif par contre est connu, c’est faire croire qu’il s’agissait d’une guerre normale dont les manifestants n’étaient que la cinquième colonne de l’armée ennemie.
  • Lorsque le communiqué précise « Dans la soirée malgré l’interdiction de la manifestation », il  insiste sur le fait que les manifestants ont malgré tout transgressé la loi. Ils ne sont donc pas complètement innocents.
  • Toujours selon le communiqué « il y aurait eu de nombreux blessés et plusieurs dizaines de morts ». Pourquoi ne pas dire le nombre de 200 morts, estimation la plus basse reconnue de tous les historiens sérieux ?
  • Le passage où il est précisé que le président « a reconnu les crimes commis cette nuit là sous l’autorité de Maurice Papon » et que ceux-ci sont « inexcusables pour la République » est sûrement l’un des points les plus vicieux de ce communiqué. On y apprend que ces crimes seraient imputables au seul Maurice Papon (sa fonction de préfet de police n’est même pas mentionnée) alors que nous savons avec certitude qu’ils l’ont été sous responsabilité du conseil des ministres du 5 octobre 1961, c’est-à-dire, de Papon à Michel Debré, 1er ministre, en passant par Roger Frey, ministre de l’intérieur, tous deux des ultras de l’Algérie française. Mais pourquoi le cacher, avec l’aval du général de Gaulle puisque le préfet de police qui massacre 200 citoyens, en blesse des milliers et en arrête 12 000 gardés dans des conditions effroyables pendant trois ou quatre jours sera reconduit pour de nombreuses années sans la moindre sanction. Quant à la formule « sont inexcusables pour la République », elle est totalement flou et en dépit de tout ne signifie en aucune façon que la République reconnaît sa responsabilité.
  • Pour finir Macron ne pouvait pas s’empêcher une énième sortie insultante lorsqu’il parle de la guerre d’Algérie « avec son cortège de crimes commis de tous côtés », renvoyant dos à dos peuple agressé et Etat agresseur.

Pour notre part, il faut réaffirmer un certain nombre de points. Le massacre du 17 octobre 61 est bien un crime contre l’humanité selon la définition de l’ONU[1].

  • A ce titre il s’agit d’un crime imprescriptible en dépit de la clause des accords d’Evian sur la renonciation à toutes poursuites entre France et Algérie après l’indépendance.
  • Il s’agit d’un crime d’Etat à cause des personnalités mises en cause. A commencer par Michel Debré, opposé aux accords d’Evian et partisan de l’Algérie française qui a intérêt à une répression très dure de la manifestation du 17 octobre dans l’espoir que celle-ci cassera la dynamique de paix. Le Général De Gaulle lui a aussi besoin d’une répression dure mais pour une raison autre : affaiblir la position du GPRA algérien dans ces mêmes négociations qui piétinent mais vont reprendre. Disons-le carrément le général de Gaulle est le premier responsable de ce massacre[2].
  • Mais il s’agit aussi d’un crime d’Etat car tous les corps et ministères de l’Etat y ont participé. Ministère de l’intérieur, ministère des armées qui mettra des soldats à disposition pour garder les 12 000 manifestants au palais des sports et à la caserne de Vincennes, ministère des transports car des bus de la RATP furent réquisitionnés en masse pour les transporter – en cela il s’agit de la plus grande rafle depuis la seconde guerre mondiale – ministère de la jeunesse et des sports qui fournira le palais des sports et le stade Pierre de Coubertin comme « centres de tri », c’est-à-dire centre d’interrogatoire et de torture pour débusquer les cadres du FLN dissimulés dans la masse des manifestants arrêtés.
  • Enfin parlons également de la pression sur les centres hospitaliers puisque certains hôpitaux laisseront des manifestants blessés se faire arrêter. Tout cela dans la quasi indifférence des partis politiques – à l’exception du PSU de Bourdet et Rocard – voire l’assentiment à peine dissimulé de certains comme la SFIO. Sans évoquer la complicité active parfois de ces « bons Français » qui aidèrent la police à trouver les manifestants qui se cachaient sous les portes cochères ou derrière les voitures et qui finirent assommés et tués comme devant le Grand Rex. A porte Maillot, ce furent des automobilistes qui à coup de manivelle ou cric aidèrent carrément les forces de police.
  • Il nous faut également évoquer la conspiration du silence de la presse quasi unanime avant et après ou alors de l’extrême modération de celle-ci pour relater ce massacre.

Disons-le, il s’agit du crime de masse le plus important commis depuis la Commune de Paris sur le sol de la métropole. Les revendications de tous ceux qui ont à cœur la vérité sur le 17 octobre sont claires. Tout d’abord la reconnaissance pleine et entière de ce crime de façon sincère et sans ruse sémantique. Ensuite, l ‘ouverture des archives, sans mesures dilatoires car il est indispensable que l’on sache exactement combien de personnes ont été tuées, quelles étaient leurs identités surtout que le délai de 60 ans, opposé aux historiens pour leur refuser cet accès, est maintenant atteint. Enfin, la création d’une commission d’enquête parlementaire indépendante chargée d’établir les faits. Le tout pouvant ouvrir droit à des poursuites contre l’Etat français devant la cour de justice européenne et des indemnités pour les familles. Un procès qui pourrait révéler au grand jour la face cachée de la république, car ce qu’il mettrait en lumière, outre la responsabilité de l’icône de Gaulle, c’est que le crime n’a pas eu lieu sous occupation ou sous Vichy, mais bien en démocratie, sous le régime de la République, signifiant de plus en plus flottant que l’extrême droite se dispute aujourd’hui. Faut-il s’en étonner ?

[1] Le crime contre l’humanité consacre donc la primauté du droit, en général, notamment contre l’impunité de ceux qui le commettent, et en particulier du droit international sur le droit national par sa nature même.

[2] D’après deux historiens anglo-saxons, Jim House et Neil MacMaster, c’est pour « mettre la pression » sur le FLN, de juillet à octobre 1961, que de Gaulle donne à Debré et ses proches suffisamment de liberté pour mettre en œuvre une stratégie d’intransigeance. À leurs yeux, l’extrême violence anti algérienne qui se déchaîne au cours des mois de septembre et d’octobre 1961 est moins le fait d’extrémistes incontrôlables au sein de la police que l’instrument d’une politique élaborée par le gouvernement.

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