Zemmour, concentré radical du consensus républicain

Sept mois nous séparent encore de l’élection présidentielle du printemps 2022, sept mois pendant lesquels peuvent se produire de nombreux rebondissements et autres surprises mais pour l’instant, hélas, le propagandiste d’extrême droite Éric Zemmour semble être la première surprise de la pré-campagne en vue de l’élection du Président de la République.

Tout, encore une fois, est possible. Rien n’est écrit d’avance. Zemmour, candidat du vieux Le Pen et de sa petite-fille Maréchal peut connaître un destin à la Boulanger et finir désespéré, revenu au tréfonds de sondages d’opinion après une espèce de prurit fasciste comme la France en a connus au cours de son histoire et sans même avoir été candidat.

Pour l’instant, Zemmour semble toutefois ringardiser Le Pen qui a joué le jeu parlementaire en lissant son discours tandis que lui prend plus intelligemment le consensus parlementaire aux mots pour en être le parangon conséquent et fasciste. L’agitation – et peut-être la candidature à l’élection présidentielle – de Zemmour fonctionne car le plumitif d’extrême droite reprend en vérité les thèmes consensuels du parlementarisme français en circulation depuis environ 40 ans.

Alain Badiou a parlé de « pétainisme transcendantal » dans son livre sur Sarkozy. Il n’est pas surprenant à cette aune que Zemmour prenne une place centrale, électoralement juteuse semble-t-il, dans le champ parlementaire. Là où Mitterrand puis Macron séparaient à leurs propres yeux le bon grain – Verdun et la répression des mutineries de 1917 – de l’ivraie – la collaboration avec les nazis – chez Pétain, Zemmour va plus loin et ne reste pas dans un entre-deux qui, de toute façon, relativisait déjà l’abjection pétainiste. Il reprend l’antienne pré-paxtonienne selon laquelle, au fond, De Gaulle était le glaive contre les nazis depuis Londres tandis que Pétain aurait été le bouclier protégeant les Français, juifs compris, quitte à, mais c’est un détail pour Zemmour, laisser déporter les juifs étrangers.

Contrairement à l’Allemagne (de l’Ouest) dont les historiens ont affronté la question du nazisme, la République française et la France en général n’ont pas fait le bilan du pétainisme. Pétain est le produit d’un fascisme français contre-révolutionnaire (par rapport à la Révolution française) en germe depuis le 19ème siècle et dont les noms connus furent Drumont, Barrès, Bainville, Maurras, l’Action française, etc.

Drumont et Maurras font tâche – même si célébrer les 150 ans de ce dernier a été envisagé au plus haut de sommet de l’État il y a quelques années – mais il y a une place Jacques Bainville dans Paris et Barrès, en plus lui aussi d’une place parisienne à son nom, a une rue à Neuilly-sur-Seine. Le background fasciste de la bourgeoisie est une réalité que le gaullisme masqua un temps mais qui n’a jamais été répudié.

Pétain a droit de citer dans la République. Mitterrand fleurit sa tombe jusqu’à ce qu’il dût y renoncer devant le scandale en 1992.

Pétain, et au-delà le pétainisme transcendantal, est un signifiant important d’une République française vidée depuis plus de deux siècles de sa promesse révolutionnaire (Robespierre s’écriait à l’été 1794, au moment de son arrestation en Thermidor : « La République est perdue, les brigands triomphent ! »). Elle n’est depuis bien longtemps plus qu’un fétiche vide qu’agitent les charognards réactionnaires dont certains aux opinions criminelles. Noiriel, avec d’autres, a établi les origines républicaines de Vichy ; il n’est dès lors guère étonnant que le personnel politique parlementaire du pétainisme transcendantal réinvestisse une république qui, par ailleurs, joua son destin au Casino de Vichy le 10 juillet 1940. Ce jour-là, le député Tixier-Vignancour, futur candidat de l’extrême droite en 1965 et soutien de Mitterrand contre De Gaulle au second tour de cette élection, s’en prit verbalement à Léon Blum qui entrait dans la salle en lui lançant « À mort les juifs ! ».

On comprend de ce point de vue que Mitterrand n’ait pas voulu, comme l’extrême droite, reconnaître la responsabilité de la France dans Vichy, les exactions et les crimes de ce régime. Outre que le champion funeste de la gauche anticommuniste fut proche de Pétain et travailla aux fichage des « anti-nationaux » à Vichy jusqu’en 1943, l’ancien président devait bien savoir qu’il était dangereux de rouvrir la boîte de Pandore. Car de fait, la République – depuis au moins 1870 – est vichyste. Vichyste, c’est-à-dire fantoche sur la question de la souveraineté nationale avec une conception purement biologique ou raciale du pays, libérale avec la passion de l’inégalité chevillée au corps et contre l’idéal jacobin de la Déclaration des Droits de l’Homme de 1793.

Zemmour fait consensus parce qu’après 40 ans d’abjection contre les Arabes et les Noirs – les ressortissants ou leurs enfants des ex-colonies françaises, en fait, singulièrement de l’Algérie dont la République n’a jamais digéré la perte –, il estime et affirme que les mots et la surenchère suffisent et qu’il faut passer à l’action. Lorsqu’il proteste qu’il n’est pas fasciste, il n’a pas tort en un sens. Il est républicain mais la République est vichyste. Plus encore, la France de Zemmour est homogène à celle du consensus parlementaire ou républicain. Qu’on en juge : lorsque le publiciste se réclame de son idole Bonaparte qui, parmi nombre de forfaits infâmes, rétablit l’esclavage que la Convention avait aboli en 1794 dans les Antilles coloniales à la suite de la révolte victorieuse des esclaves de Haïti, on ne saurait oublier qu’il y a quelques mois, le président Macron a rendu un hommage public à Napoléon. C’est qu’en France, on devise tranquillement sur l’héritage contrasté du Maréchal Pétain et sur les zones d’ombres et de lumières d’un empereur qui avait comme ligne politique de défendre les blancs.

Zemmour ne fait que prendre au mot (en ajoutant et proposant des décisions effroyables) le consensus républicain postcolonial et postvichyste. La France est blanche, dit-il, en écho à tout le personnel médiatico-parlementaire français, et elle doit le rester. Pour cela, des mesures vigoureuses et abominables seront prises.

Que dit la « droite classique » ? Qu’il n’y arrivera pas. Elle ne condamne pas la visée raciste de Zemmour. Elle raille juste l’impossibilité de se livrer au crime qui pourrait en découler. Sur le fond, donc, elle acquiesce aux thèses fascistes du propagandiste issu de CNews ainsi que l’illustre, au sein de LR, le concours du plus raciste entre les candidats à l’investiture pour la Présidentielle.

La gauche est plus à gauche mais ne souhaite pas non plus que la France devienne un pays à majorité musulmane. Elle redouterait, elle aussi, le « grand remplacement ». Mais cela n’arrivera pas, se rassure-t-elle, nous resterons blancs.

La gauche institutionnelle ne s’oppose pas à Zemmour. Le rapport entre sa politique et celle de l’extrême droite ne s’évalue qu’en degrés : l’impérialisme et le colonialisme, comme au temps de la Guerre d’Algérie, les réunit. La gauche a les mêmes craintes que Zemmour sur le fond mais les juge toutefois délirantes. Pour elle, l’intégration sauvera toujours la blanchité.

Zemmour ne fait que mettre un point – et un poing – final au long discours abject sur « le problème de l’immigration » désormais doublé d’un discours sur un problème « musulman » et ses ramifications islamogauchistes en guise de cinquième colonne. Là où Frédérique Vidal finit par se taire après ses propos digne de la vieille extrême droite sur l’université aux mains des indigénistes, Zemmour relève le gant. Il est donc logique, parlementairement parlant, qu’il ramasse la mise. Il est le candidat le plus conséquent du consensus raciste et impérialiste.

Là où Le Pen « lissait » son discours pour se présidentialiser, Zemmour montre à l’opinion petitement française qu’il serait un président qui agirait enfin après des décennies de déploration sur le déclin de la France blanche et éternelle. Le Pen est à la remorque d’un parlementarisme qui a fait le succès de son courant politique, Zemmour se pose en champion conséquent et agissant du consensus parlementaire.

Les thèmes dont Zemmour fait son miel ont été labourés depuis 40 ans. La gauche et le Parti socialiste, notamment, ont une responsabilité inouïe dans ce climat. Lors des grèves ouvrières de l’industrie automobile menées par des OS majoritairement marocains à partir de 1983, le gouvernement Mauroy désignera ces ouvriers à la vindicte en parlant notamment d’ « étrangers chiites aux réalités sociales et économiques de la France ». Fabius, nommé à Matignon en bilan de cette séquence dans le but de « moderniser » la France, dira que Jean-Marie Le Pen apporte de « mauvaises réponses » à de « vraies questions ». Tout cela, comme encore Mitterrand parlant en décembre 1989 de « seuil de tolérance dépassé dans les années 1970 » à propos de l’immigration a préparé Zemmour. Sarkozy et son Kärcher sont allés dans le même sens, sans parler de Hollande et Valls reprenant la vieille idée vichyste de déchéance de la nationalité au lendemain des attentats de novembre 2015.

Zemmour ne tombe donc pas de nulle part. Il est le fruit mûr de l’arbre pourri appelé République française dont l’islamophobie est un des cultes laïcs.

Il l’est tous azimuts, du reste. Quand Marine Le Pen prend les prolétaires de Hénin-Beaumont pour des gogos en leur annonçant un retour à la retraite à 60 ans, l’éditorialiste du Figaro s’entoure d’ultralibéraux comme Charles Gave pour, comme au temps de la Révolution nationale détestant le Front populaire du « juif » Blum, sonner la fin de la récréation et remettre le pays au travail en cassant tous les statuts et autres décrets concernant les régimes spéciaux, la Fonction publique, etc. C’est la dimension anticommuniste du consensus parlementaire actuel. Rayer d’un trait de plume les avancées sociales de 1945 comme la création de la Sécu par Ambroise Croizat, le « ministre ouvrier » du PCF est un dessein partagé par Zemmour et Macron.

Racisme décomplexé et bascule – déjà annoncée par Macron et Philippe avec la « loi » « Séparatisme » – dans un ultralibéralisme qui a déjà bien avancé ses pions depuis Mitterrand et « L’Europe », voilà ce que Zemmour représente en conformité radicale avec l’antienne parlementaire consensuelle. Il n’est dès lors pas étonnant qu’il puisse rallier l’extrême droite interclassiste et la bourgeoisie classique radicalisée et ne voulant plus rien partager avec les pauvres.

L’éventuelle candidature de Zemmour présente toutefois une singularité importante. L’ami de Le Pen et de la petite-fille de Ribbentrop est juif. Qu’il puisse, malgré cela, être candidat et soutenu par la fachosphère est un lointain écho de l’ex-collaborateur antisémite Rebatet soutenant en 1967 l’État d’Israël dans la Guerre des Six jours. On ne saurait oublier non plus que l’UGIF était une organisation « israélite » sous Pétain. Plus profondément, la candidature Zemmour dit le fond tactique du philosémitisme d’État et son aboutissement. Au-delà des juifs utilisés par la République comme tirailleurs de l’impérialisme, le pétainisme transcendantal se pourlèche déjà les babines à l’idée que Zemmour, juif d’Algérie, soit comme chef d’État préposé aux basses œuvres racistes et aux crimes qui en seront nécessairement la conséquence. Ce n’est même pas nous qui le disons, c’est Alain Minc, himself[1].

Noureddine Yahia

 

[1] « Une part de la bourgeoisie, inconsciemment antisémite au fond, se réjouit d’avoir trouvé quelqu’un d’origine juive pour mener une croisade anti-arabe » sur LCP

 

 

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