Hier, s’est déroulée à Glasgow l’ouverture de la COP26, évènement organisé par les Nations-Unis dans lequel 197 nations vont discuter et négocier, durant une semaine et demi, des mesures à prendre pour enrayer la catastrophe climatique que nous devons d’ores-et-déjà affronter. Le rendez-vous est annuel, mais celui-ci est particulièrement important, voire crucial, puisqu’un bilan sur les « progrès » réalisés depuis la signature de l’accord de Paris en 2015 est attendu. Ce dernier avait fixé pour objectif d’éviter un réchauffement climatique à 2° voire même descendre à 1,5°C par rapport aux températures préindustrielles.
Alors même que l’accord mis en place pour atteindre ce résultat n’était pas à la hauteur des ambitions affichées, les principales puissances mondiales, dans leur grande majorité, ne l’ont pas respecté. Ce qui ne nous surprend guère. De même, nous ne plaçons pas de grands espoirs sur les résultats finaux de cet énième rassemblement international, pourtant présenté comme « l’ultime chance », en termes d’engagements et de promesses.
Signe que la duperie ne fonctionne plus aussi bien, une partie de l’opinion est de plus en plus sceptique quant à l’efficacité de ces grands raouts internationaux. Mais elle reste minoritaire. Trop encore espèrent que ces discussions seront fructueuses et font confiance aux Etats pour aller vers une solution. Autrement dit, ils espèrent que les responsables d’un désastre qu’ils entretiennent au grès de leurs intérêts, sont à même de pouvoir l’enrayer.
Une prise de conscience sur la catastrophe climatique est réellement engagée. Qui plus est parce que celle-ci n’est plus située dans un horizon lointain mais est une réalité tangible. Néanmoins, elle se fait encore timide et passive, se limitant bien souvent à demander poliment aux Etats de se réveiller et d’agir. Trois raisons peuvent expliquer cette apathie malgré l’inquiétude. D’abord une dépolitisation générale, ensuite, la lente agonie de la gauche radicale, enfin l’absence apparente de perspective de rechange. Alors que l’urgence exigerait de prendre immédiatement des mesures drastiques et en complète contradiction avec la doxa néo-libérale dominante, beaucoup de gens, pourtant sensibilisés à cette cause et conscients du danger, se limitent à des revendications réformistes, peu coercitives et respectant l’ordre capitaliste.
L’illustration parfaite de ce constat est la quasi absence dans le débat du paradigme anti-impérialiste, et ce, même au sein de nombreux groupes écologistes dit radicaux. Si parfois des actions délétères des puissances occidentales peuvent être dénoncées par certains milieux écologistes – nous pouvons penser notamment à la manière dont ces Etats, à commencer par la France, exportent leurs déchets dans le sud, comme en Asie -, la critique n’ose (ou ne sait ?) jamais aller plus loin et plus en profondeur. C’est à dire en dénonçant non pas seulement quelques actions, mais la domination impérialiste dans son entièreté. Or, Si la France et les pays occidentaux peuvent se permettre de se servir des pays du sud comme d’une décharge – aujourd’hui en déversant leurs déchets, mais hier en en faisant des terrains de test pour leurs armes nucléaires -, c’est parce qu’ils exercent une domination économique, politique et militaire sur l’ensemble de la planète.
Une position de force qui leur permet, tout d’abord, de polluer et de saccager l’ensemble du monde habité ou nom (et plus gravement le sud) pour leurs intérêts propres, mais en plus de jouer les leaders de la lutte écologique. La COP26 ne va pas déroger à la règle, les débouchés étant évidemment déterminés par les rapports de forces internationaux. Ainsi, les puissances occidentales, dominantes, pourront imposer leurs mots d’ordre, alors même qu’ils sont ceux dont les intérêts à agir contre les causes du réchauffement climatique sont les plus faibles.
Le cas français est symptomatique de cette hypocrisie occidentale. Emmanuel Macron et la quasi-totalité de la classe politique française, jusqu’à Eric Zemmour, se vantent d’être parmi les meilleurs élèves en termes de lutte climatique, arguant que la France ne serait responsable que d’1% des émissions de CO2 dans le monde. Ils en concluent ainsi qu’elle fait déjà sa part, et devrait même être suivie en exemple. Une position honteusement cynique. Il faut tout d’abord préciser que l’argument d’après lequel elle n’a rien à se reprocher parce qu’elle ne contribuerait que très peu au réchauffement climatique ne tient tout simplement pas la route. Pour la raison que la France fait partie de ces grandes puissances qui maintiennent activement le mode de production capitaliste et le système financier (on peut citer en exemple le soutien apporté par les banques occidentales à des projets extractivistes responsables de la catastrophe climatique ou alors il n’est que de songer au projet montagne d’or en Guyane, un très polluant projet de mine d’or qui malgré les promesses gouvernementales pourrait voir le jour sous une version remaniée). La responsabilité de la France comme « grand pollueur » de la planète est incontestable.
De plus, le mode de calcul permettant de dégager une proportion aussi basse d’émission de CO2 par la France se limite bien souvent à mesurer l’impact carbone de ses citoyens. Une méthode qui ne prend donc pas en compte, par exemple, le fait que si d’autres pays, notamment en Asie, polluent davantage, c’est aussi parce que l’Europe y a délocalisé nombre de ses usines, qui produisent pourtant pour la consommation européenne. De même, cette méthode ne prend pas en compte l’impact que peut avoir partout dans le monde des entreprises méga-pollueuses et bien françaises comme Total. Cette dernière menant des politiques totalement destructrices pour l’écosystème dans plusieurs pays du sud. Deux aspects de la pollution souvent tus par l’impérialisme français qui met un point d’honneur à défendre ses intérêts sur l’ensemble de la planète. Evoquons de ce point de vue, le nouveau parc éolien qu’EDF construit au Mexique, nommé cyniquement “Gunaa Sicarù” et qui porte un coup très dur à l’éco système de terres indigènes.
Enfin, cette méthode de calcul a tendance à ignorer l’impact d’un autre phénomène lié directement à l’impérialisme : le poids de l’industrie militaire dans la catastrophe climatique. Pourtant elle est un responsable majeur de celle-ci, à tel point que des chercheurs comme Christophe Bonneuil et Jean-Baptiste Fressoz ont développé le concept de « thanatocène » pour qualifier cette ère de destructions de l’environnement causée par le domaine militaire. Une destruction massive menée autant par les guerres, c’est-à-dire l’utilisation d’une grande diversité d’armes extrêmement nocives non seulement pour l’humanité, mais aussi pour l’ensemble de la bio-diversité (avec l’arme nucléaire comme summum et sans oublier le coût énergétique phénoménal de ces opérations), que par le développement en temps de paix de tout un ensemble de technologies polluantes.
Ainsi comme nous le répétons souvent il ne peut exister d’antiracisme sérieux sans anti-impérialisme, de la même façon qu’il ne peut exister d’anticapitalisme sérieux sans anti-impérialisme. Il nous faut maintenant ajouter qu’il ne peut exister de lutte écologique sérieuse sans anti-impérialisme. C’est-à-dire que toute personne ayant à cœur de limiter l’ampleur de la catastrophe climatique ne peut y parvenir sans lutter en même temps contre l’impérialisme. Il ne s’agit pas d’intégrer un peu de rhétorique anti-impérialiste dans son combat écologique, mais bien de s’y engager véritablement. Car le mode de production, d’exploitation et de consommation conduisant à une désormais certaine sixième extinction de masse de l’histoire de la Terre est loin d’être remis en cause. Ce qui conduit à faire de l’anti-impérialisme non pas une option mais une condition sine qua non de cette lutte.