Édito #49 – Mélenchon a gagné

Comme le titrait Libération avant le premier tour, Jean-Luc Mélenchon, candidat de la France insoumise et de l’Union populaire, avait déjà gagné. Certes, candidat pour la troisième fois, il n’est pas parvenu au second tour de l’élection présidentielle, mais nous pouvons le dire, il a gagné.

Il a augmenté son score par rapport à celui de 2017 qui, déjà, était en augmentation substantielle par rapport à celui de 2012. Il approche les 22% et moins de deux points le séparent de la candidate d’extrême droite, Marine Le Pen.

Mélenchon a été éliminé et nous ne pourrons donc pas voter pour lui dimanche 24 avril. Pourtant, on ne peut pas parler de défaite de l’Union populaire. Bien sûr, il rate d’un cheveu l’accession au second tour mais, précisément, qui, il y a 10 ans, aurait parié sur une hypothèse réelle – voir un programme proposant une synthèse à la fois sociale et audacieusement antiraciste – faire un tel score ?

C’est en cela qu’il a gagné.

Il redonne une constitution politique à une partie non négligeable du peuple de ce pays à partir de la réalité dudit peuple que Mélenchon désigne sous le nom de « créolisation ». De fait, la géographie du vote Mélenchon esquisse encore timidement un rapprochement ou une alliance politique possible entre les « beaufs » et les « barbares ». On voit ainsi que Mélenchon arrive en tête dans une ville de l’Aisne (département majoritairement lepéniste) – Château-Thierry – ou encore à Évreux, dans l’Eure où le RN est par ailleurs arrivé en tête, ville dont la mairie fut des années 1970 à 2001 tenue par le PCF. Dans ces départements sacrifiés sur l’autel de Maastricht, de la désindustrialisation, de la rigueur budgétaire et de l’UE, que Mélenchon, qui a participé à la manifestation contre l’islamophobie en novembre 2019, recueille la majorité des suffrages exprimés atteste qu’il est possible de desserrer l’étau libéral-fasciste que nous imposent Macron et Le Pen et, plus fondamentalement, de clore le racisme de l’anti-racisme moral couplé au mépris de classe pour le vieux prolétariat blanc.

Mélenchon, peut-être même malgré lui, pense à nouveaux frais la question nationale. C’est d’ailleurs un des éléments du succès, pour l’instant électoral, de sa politique. Qu’il réalise de bons scores à Brest, à Marseille et à Argenteuil indique que le prolétariat de ce pays, blanc ou indigène, peut voter pour lui. Les indigènes d’Argenteuil ou de Stains savent que Mélenchon dénonce l’islamophobie et ne se fourvoient pas en lui accordant leur confiance. Les imams rédigeant un appel à voter pour lui ainsi que de grandes figures du rap ne s’y sont d’ailleurs pas trompés. Le cas de Stains, ville très pauvre et ouvrière largement indigène, est à cette aune révélateur : la participation est stable mais Mélenchon passe de 41%, il y a 5 ans, à 60 % (avec dans la cité du Clos Saint-Lazare, tant décriée par des reportages télé orduriers, un nombre de votants plus élevé encore, 62% ainsi qu’au Moulin neuf, 70%). Une mobilisation spectaculaire.

D’un autre côté, les prolétaires blancs des villes ouvrières ou partiellement ouvrières comme Brest ou Le Havre qui placent Mélenchon en tête de ce premier tour savent que le candidat FI n’est pas Roussel. Comme le dit ce dernier dans une prose toute républicaine, Mélenchon s’adresse aux « fractions radicalisées des quartiers populaires » (de la Seine-Saint-Denis, par ex., ex-banlieue rouge) et opère ainsi une unité de classe dont le PC était incapable du fait de son racisme (sans parler du PS petit-bourgeois).

Son succès dans l’ancienne ceinture rouge de la banlieue parisienne, à Aubervilliers notamment passée à droite en 2020, s’explique par cette réussite.

Son arrivée en tête dans la région Île de France est possible parce qu’à ce succès populaire s’ajoute une percée dans des milieux petits-bourgeois « éclairés » comme le montrent ses scores dans l’est parisien, dans des banlieues cossues (Mélenchon est deuxième à… Sceaux ainsi qu’à Chaville ou Vanves) et, globalement, dans la plupart des grandes villes françaises (Toulouse, Strasbourg, Marseille, Montpellier, …).

L’Union Populaire fait donc une démonstration improbable jusqu’ici : elle a été capable d’unir un prolétariat blanc et non blanc que deux siècles de chauvinisme ont séparé, même si elle est loin de faire le plein et qu’une grande partie de ces mêmes classes populaires restent abstentionnistes ou lepénistes.

La victoire de Mélenchon est donc celle-là, celle d’une Idée du pays, d’une conception de la question nationale, qui affronte à la fois le consensus républicain raciste islamophobe en comptant les non-blancs comme de ce pays et le consensus libéral en rompant avec le tropisme pro-UE du parti qui a dominé la gauche française depuis la fin des années 1970, à savoir le Parti socialiste.

Cette conception n’est pas l’horizon décolonial qui aspire à une rupture franche avec l’impérialisme français et qui doit reconstruire sa ligne et son autonomie. Mais qu’un tel mouvement fasse 22% des voix est une bonne nouvelle. Ce score de Mélenchon, à moins de deux points de la candidate raciste, montre qu’il est possible de combattre politiquement cette dernière en lui opposant une autre Idée.

C’est, pour l’avenir immédiat, un appui précieux.

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