Édito #60 – Macron ou le mythe éculé de la fin de la FrançAfrique

Voilà des décennies que les chefs d’Etats français proclament la fin de la FrançAfrique. Vestige d’un passé révolu, elle aurait laissé la place à un une relation d’égal à égal fait de partenariat stratégique, de coopération et d’amitié. Expert en communication et en déclaration fracassante, Emmanuel Macron est sans doute celui qui a le plus insisté sur la mort d’un système née dès les années 1940. Ces postures et cette rhétorique ne résistent pourtant pas à l’épreuve des faits. Car la grande force du système françafricain réside dans son extraordinaire capacité à muter, à se réformer, à changer…pour que rien ne change. Si le contexte est différent, la nouvelle politique africaine que tente de dessiner Paris s’inscrit dans cette volonté de défendre coute que coute ses intérêts économiques et géopolitiques dans cette partie du monde hautement stratégique. Il en va avant tout de l’existence même de la France en tant que nation impérialiste. Renoncer à la FrançAfrique reviendrait donc à renier son statut de puissance globale. C’est par la grâce de son empire colonial africain, rappelons-le, qu’en 1945 la France ex-pays vaincu et collaborateur, a pu retrouver son statut de grande puissance et obtenir son strapontin au conseil de sécurité de la toute nouvelle ONU.

Certes, il est vrai que dans un monde en proie à des rivalités toujours plus grandes, la France est de plus en plus contestée dans ce qu’elle a toujours considéré comme son arrière-cour. Toutefois, il faut rester prudent et relativiser cette perte d’influence. Prenons le cas de l’économie. La concurrence chinoise, nous dit-on, aurait considérablement affaibli les positions françaises. Sauf qu’il n’en est rien. Et c’est le président du Medef, Geoffroy Roux de Bézieux, pourtant peu soupçonnable d’anti-impérialisme, qui l’affirme : « On entend souvent ici et là que nos entreprises seraient en retrait mais il y a un effet trompe-l’œil. La réalité est simple : nos entreprises progressent et investissent en Afrique. Les chiffres sont très clairs : en dix ans, les entreprises françaises ont doublé leur stock d’investissements, passant de 20 à 40 milliards » (1). De son coté, Alexandre Vilgrain, PDG de l’entreprise d’agro-alimentaire Somdiaa et président du Conseil français des investisseurs en Afrique (CIAN) résume la faculté du capitalisme français à composer avec les nouvelles réalités : « Les Français avaient des quasi-monopoles, ce n’était pas tenable. Compte tenu des taux de croissance de cette zone, il est tout à fait normal que nos parts de marché diminuent. L’essentiel est que le chiffre d’affaires progresse ».

Parallèlement et malgré l’annonce officielle de la fin de l’opération Barkhane débutée en 2014 et le retrait de ses soldats du Mali, la France compte toujours près de trois mille hommes essentiellement basés au Tchad et au Niger. Sans compter les nombreuses bases militaires présentes au Sénégal ou en Côte d’Ivoire. Là encore, l’idée est de s’adapter à la nouvelle donne et aux rejets croissant des populations, lassées d’une occupation militaire qui n’a fait qu’aggraver et exacerber des problèmes que Paris était censé régler. En témoigne la création de postes militaires de reconnaissances (PMR) censés intervenir là où les intérêts français se verraient menacés.

Enfin, pour parer à sa perte d’influence, la diplomatie française mise désormais sur un nouvel acteur : la diaspora. Emmanuel Macron ne s’en cache pas et appelle ouvertement les binationaux à participer à la reconquête française de l’Afrique. Lors du sommet Afrique-France célébré à Montpellier en 2021, il s’adresse en ces termes à la dizaine de jeunes venus échanger avec lui : « Notre diaspora est une chance pour ce qu’on a à faire en France et pour nous aider à réussir cette aventure avec l’Afrique ». Avant d’ajouter : « nous avons un avantage comparatif par rapport aux concurrents : des millions de Français ont une affinité avec l’Afrique. Encore faut-il la mobiliser ». Pour cela, l’Elysée a notamment crée le Conseil Présidentiel pour l’Afrique en 2017. Cette structure, composée de personnalités issues de la « société civile », membres ou non de la diaspora africaine, est destinée à participer au renouvellement de la politique africaine de la France. Les cadres et chefs d’entreprises occupent une place de choix. Parmi eux, Diane Binder, directrice adjointe du développement international de Suez, Wilfried Lauriano do Rego, franco-béninois, président du conseil de surveillance de KPMG France, Sarah Toumi, franco-tunisienne, entrepreneuse dans le développement durable ou encore Mbaye Faye-Diallo, franco-sénégalais et professeur des universités. Ces profils s’inscrivent dans cette volonté de dépoussiérer les relations françafricaines en contournant des interlocuteurs trop souvent identifiés à la corruption, aux magouilles et aux logiques de l’ombre. De plus, cette stratégie se veut en phase avec l’esprit du capitalisme de l’époque symbolisé par la start-up nation et l’économie digitale. En s’appuyant sur la diaspora, Emmanuel Macron tente ainsi de faire d’une pierre deux coups : d’un côté, il neutralise et intègre ceux qui en France seraient tentés de rejoindre la lutte contre le racisme structurel, de l’autre il les utilise comme relais et promoteurs du néocolonialisme français en Afrique. Loin d’être contradictoires, les différentes stratégies promues par Paris répondent à une vieille logique coloniale, celle qui consiste à affirmer sa puissance militaire et politique tout en cherchant à conquérir les cœurs des populations.

En première ligne face à ce qu’ils considèrent comme une recolonisation du continent, une partie de la jeunesse africaine réclame la fin du système de domination françafricain. Ces revendications, pleinement légitimes, se heurtent au mépris et à la condescendance des autorités et des médias français. Pour eux, l’équation est simple : la jeunesse africaine est manipulée et endoctrinée par des puissances étrangères hostiles à la France, Russie en tête. Ce discours, profondément colonial, qui dénie aux Africains leur capacité de penser en adultes, de manière rationnelle et éclairé, cherche in fine à masquer une réalité matérielle caractérisée par le pillage des ressources, l’esclavage par la dette, l’absence de souveraineté monétaire due au franc CFA ou encore les massacres de population comme à Bounti au Mali en janvier 2021. Et lorsqu’il est tout de même question de pointer du doigt la responsabilité de la France dans le rejet dont elle fait l’objet, beaucoup s’en tiennent à des raisons d’ordre symbolique. Lova Rinel, chercheuse associée au think-tank Fondation pour la recherche stratégique explique ce « désamour » par des « erreurs de verbiage » du président Macron et aux « comportements tout à fait nocifs et coloniaux » de militaires à la retraite (2). Dès lors, la brutalité du système impérialiste français est réduite à des erreurs de communication et des attitudes individuelles maladroites.

Si la contribution des mouvements populaires africains à la lutte contre l’impérialisme français est décisive, il ne saurait nous faire oublier les tâches politiques qui nous incombent en tant que Français et premiers bénéficiaires d’un système qui n’a que trop duré.

  • Jeune Afrique, 4 Juin 2021
  • Le Figaro Vox, 28 février 2023

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