Rétropédalage sur les dates des épreuves de spécialité du baccalauréat, abandon avorté des mathématiques en filière générale au lycée… l’État semble ne pas avoir avoir de cap clairement défini pour réformer une éducation nationale de plus en plus défaillante.
Il y a pourtant un sujet sur lequel le pouvoir politique fait preuve d’une constance sans pareille au sujet de l’école : l’islamophobie.
Depuis la bien connue affaire de Creil de 1989 qui accoucha de la loi de 2004 prohibant le port du voile dans les établissements scolaires publics, la lutte acharnée contre tout ce qui ressemble de près ou de loin à une présence musulmane à l’école s’est intensifiée sous les présidences d’Emmanuel Macron.
C’est tout d’abord Jean-Michel Blanquer qui a multiplié les nouveaux dispositifs en matière de « laïcité » à l’Éducation nationale. « Conseil des Sages » (destiné à conseiller le ministère sur les questions de laïcité), formation accrue des professeurs sur le sujet, campagnes d’affichage, « carré régalien », etc. L’ancien ministre a opéré une véritable « transformation » du premier service public étatique[1].
Surtout, il a introduit un dispositif de signalement et de traitement des « atteintes à la laïcité », véritable outil policier qui charge chaque enseignant le soin de dénoncer à des équipes académiques « Valeurs de la République » les élèves et leurs parents, soupçonnés de résister un temps soi peu à leur soumission totale à l’exigence d’intégration. Ces signalements peuvent aboutir à l’engagement de procédures disciplinaires, voire au dépôt de plaintes pénales.
Pap Ndiaye ne s’est pas détourné de cette ligne. Lui qui souffrait d’un lourd déficit politique, au point qu’il a subi un revers cinglant dans sa tentative de réforme de l’enseignement privé, il n’a pu que se complaire dans la poursuite zélée de ce qui fait consensus au plus haut niveau de l’État.
La presse n’avait-elle pas fait savoir d’emblée que c’est le symbole de Samuel Paty « qui a servi de trait d’union, vendredi 20 mai [2022], entre Jean-Michel Blanquer et Pap Ndiaye, lors de la passation des pouvoirs »[2].
Gabriel Attal poursuit et approfondi le travail de ses prédécesseurs. À peine nommé, il vient d’annoncer l’interdiction du port des abayas à l’école. Tout le monde sait pourtant que l’abaya ne constitue pas, en soi, un signe religieux, comme l’a récemment rappelé le CFCM. En revanche, il a effectivement connu un regain chez les élèves musulmanes, qui, prohibées de porter le voile, tiennent toujours à affirmer leur islamité.
Cela en est déjà trop pour le gouvernement, qui n’a cessé « d’alerter » sur ce phénomène ces derniers mois. Nul doute que cette interdiction nouvelle sera validée par le Conseil d’État, lui qui a déjà admis la prohibition du port de bandanas par de jeunes musulmanes, ou le port de longues jupes couvrant le pantalon.
Ce qui frappe à l’aune de cette annonce, c’est le consensus global qui l’entoure. France inter et France info ont docilement annoncé l’information, sans aucunement interroger, même marginalement, ce qui constitue pas moins qu’une nouvelle atteinte portée à la liberté religieuse et à la liberté individuelle. Tous les invités sur ces ondes ont fait part de leur grande approbation de ce nouvel interdit.
Le SNPDEN (syndicat des personnels de direction de l’éducation nationale) et le SNES-FSU (premier syndicat du secondaire), qui attendaient seulement que le ministre tranche la question de l’abaya – autorisation ou interdiction, peu leur importa –, ont salué la nouvelle. Même Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT, a déclaré que « dès lors que c’est considéré comme un signe religieux, il faut l’interdire comme les autres ».
Ni une ni deux, le patron de la droite, Éric Ciotti, a emboité le pas à la macronie, qualifiant le « communautarisme » de « lèpre qui menace la République ». Fabien Roussel, chef des communistes, « approuve » quant à lui la mesure. Seule la France Insoumise se distingue des autres partis politiques sur le sujet.
État, société politique et société civile fonctionnent ainsi dans une large mesure main dans la main en vue d’asservir sans limites les communautés non-blanches à l’ordre racial. Ce que d’aucuns appelleraient l’État racial intégral.
Nôtre tâche commune : défaire le pacte racial.
[1] Marianne, « Laïcité : comment Jean-Michel Blanquer a transformé le dispositif de l’Education nationale », 5 novembre 2011.
[2] Le Monde, « Le nouveau ministre de l’éduction Pap Ndiaye prend la suite de Jean-Michel Blanquer entre rupture… et continuité », 24 mai 2022