L’Allemagne, avant-garde du camp impérialiste génocidaire

Depuis le 7 octobre, les masques n’en finissent plus de tomber. Dans le concert des contempteurs du génocide, un gouvernement se distingue cependant par l’obscénité de son alignement sur la position sioniste : il s’agit de l’Allemagne, qui a fait montre d’un zèle antipalestinien stupéfiant et, il faut le dire, effrayant.

Tout récemment, c’est Ghassan Abu Sitta, un médecin anglo-palestinien spécialisé dans les blessures de guerre ayant passé près de 7 mois à Gaza, qui en a fait les frais. Le 4 mai, il s’est vu refuser l’accès au territoire français alors qu’il était pourtant invité au Sénat pour une audition très officielle au sujet de la situation humanitaire dans l’enclave palestinienne. Motif ? L’Allemagne lui a interdit l’accès au territoire de l’espace Schengen (!) pour une durée d’un an, sur des fondements d’apologie du terrorisme, radicalisation et antisémitisme. L’origine de cette initiative allemande, c’est le Congrès palestinien intitulé “Nous dénonçons” qui devait se tenir le 12 avril dernier à Berlin, et qui a finalement été interdit par la police pour “empêcher toute propagande antisémite et anti-israélienne”, d’après les autorités allemandes de sécurité.1

Ce congrès a coûté cher à une autre figure politique majeure du continent : Yanis Varoufakis. L’ex-ministre grec de l’économie, aujourd’hui dirigeant de DiEM 2025, un mouvement « progressiste » visant à démocratiser l’UE, faisait partie des intervenants du Congrès palestinien : il lui a été interdit d’accéder au territoire allemand. Du jamais vu pour un ex-ministre ! Il paie ainsi la ligne pro-palestinienne inflexible que DieEM 2025 tient depuis le 7 octobre.2

Ces saillies répressives, particulièrement choquantes, ne sont pourtant que les péripéties les plus marquantes d’une dérive liberticide aux relents fascistoïdes de plus en plus affirmés. On se souvient notamment, par exemple, de l’obligation formulée par le Land de Sachs-Anhalt aux candidats à l’obtention de la nationalité allemande de … reconnaître par écrit le droit d’Israël à exister et de condamner toute initiative qui irait à l’encontre de l’existence d’Israël !3

Plus largement, le gouvernement d’outre-Rhin a mené ces derniers mois une large campagne de traque des « mouvements islamistes proches du Hamas » qui se rendraient coupables « d’israélophobie ». Rien n’a été épargné aux soutiens de la cause palestinienne : perquisitions au domicile de membres présumés du Hamas, dissolutions d’organisations comm Samidoun, poursuites judiciaires de responsables associatifs, un arsenal judiciaire et policier inédit est déployé par la ministre sociale-démocrate de l’intérieur, Nanc Fraeser, dont l’objectif revendiqué est que « les islamistes et les antisémites » ne se sentent en sécurité « nulle part ».4

La vague finit par atteindre même les Israéliens juifs, comme en témoigne le traitement réservé au cinéaste israélien Yuval Abraham pour avoir dénoncé l’apartheid israélien en Cisjordanie au cours d’une cérémonie de remise de prix à Berlin. Ce discours a immédiatement provoqué des réactions officielles indignées, le maire de la capitale allemande n’hésitant pas à affirmer que « l’antisémitisme n’a pas sa place à Berlin ».5

Qu’on puisse aller jusqu’à traiter un citoyen israélien membre de la communauté juive d’antisémitisme indique que cette hystérie n’a pas grand chose à avoir avec une prétendue culpabilité liée à la lourde responsabilité portée par l’Allemagne dans la Shoah. En réalité, il est plus juste de placer cette attitude dans le prolongement d’une longue tradition impérialiste, coloniale et raciste dont l’Allemagne ne s’est jamais réellement extraite.

Cette tradition génocidaire allemande est d’ailleurs antérieure à la Shoah, et remonte en réalité à la fin du 19e siècle. Théâtre en 1885 du partage de l’Afrique entre puissances européennes, Berlin formalise alors sa domination sur celle qu’on appelait autrefois « terre sans nom », et qui sera baptisée Deutsch-Südwestafrika. On la connaît aujourd’hui sous le nom de Namibie.

Elle y impose son joug avec une brutalité terrible, d’abord sous la houlette … du père d’Hermann Göring, figure majeure parti nazi et du gouvernement du Troisième Reich. Il s’agit d’Heinrich Göring, premier gouverneur de Namibie et haut commissaire du Deuxième Reich. En réaction aux humiliations, aux maltraitances et aux lois injustes imposées par la puissance coloniale, le peuple Herero se soulève et est victime à partir de 1889 d’une répression militaire d’une violence inouïe. Il subit les pires horreurs : destruction de villages, massacre de femmes et d’enfants, travaux forcés, viols, expropriations foncières, vols de bétail au bénéfice des colons. Les Nama, autre peuple autochtone, feront l’objet d’un traitement similaire à partir du début du 20ème siècle, les deux peuples ayant en commun de se mettre en travers du projet colonial allemand, en résistant activement à leur spoliation.

La fièvre guerrière amène le général von Trotha à prononcer un ordre d’extermination pure et simple des Herero en octobre 1904. Entre 1904 et 1908, 80% du peuple herero et 50% du peuple nama sont exterminés par les forces du Deuxième Reich, soit environ 65 000 Herero et 10 000 Nama. Les quelques survivants sont internés dans ces camps de concentration où ils disparaîtront dans les mois qui suivent.

Déjà à cette époque, la mécanique raciale génocidaire qui accouchera de la Solution Finale fonctionne à plein régime sous le Deuxième Reich. Les craintes de dégénérescence raciale du peuple allemand aboutissent à l’interdiction des mariages mixtes en 1905. L’anthropologie allemande établit une distinction entre les peuples dits « civilisés » et les autres considérés comme « primitifs », dont l’observation objective dans des « zoos humains » est censée permettre de comprendre les caractéristiques du genre humain. Une collecte macabre de crânes de Herero et de Nama est mise en place au sein des camps de concentration et permet à des scientifiques allemand de se lancer dans l’entreprise de démonstration de la différence hiérarchique entre Européens et Africains. Qu’on n’en doute donc pas : le nazisme n’est pas tombé du ciel au milieu des années 30.6

Après la capitulation de 1945, l’Allemagne s’est employée à se tailler un costume d’élève modèle du monde libre, à grands renforts de performances industrielles remarquables, de maîtrise de la dépense publique et de lutte contre l’inflation, ennemi juré de la nation allemande depuis la crise des années 30. Membre fondateur de la CECA, devenue Communauté Économique Européenne, la RFA passe en quelques années du statut de paria à vitrine du camp de l’Ouest, et peu importe si la « dénazification » n’a été qu’une opération de façade. Cet épisode, d’ailleurs peu discuté en Occident depuis les années 50, est pourtant riche d’enseignements. Menée par les Alliés, l’entreprise de dénazification n’a globalement pas remis en question les structures profondes de la société allemande et s’est focalisée sur les principaux responsables du régime hitlérien, en particulier à l’Ouest où la démarche se cantonne à l’emprisonnement et la poursuite de ceux qui ont été identifiés comme des contributeurs décisifs de l’entreprise nazie, alors que le pays comptait jusqu’en 1945 près de 9 millions de membres du NSDAP.

Cette entreprise superficielle, qui a abouti à la condamnation de 11 500 responsables nazis et à l’exécution de 650 d’entre eux en RFA, a connu son lot de ratés spectaculaires. D’éminents nazis ont ainsi réussi à échapper à la justice voire à dissimuler leur passé et se construire une nouvelle vie, comme Kurt Waldheim, ancien membre de la SA et Oberleutnant de la Wehrmacht sur le front de l’Est, responsable présumé de nombreuses exactions en Bosnie … devenu secrétaire général de l’ONU en 1986, ou encore Hans Globke, à l’origine des lois de Nuremberg, qui devient le directeur de cabinet de Konrad Adenauer, le premier chancelier fédéral.7

Au-delà de ces cas individuels, on retiendra que la nazisme s’est remarquablement fondu dans le décor allemand post-1945 : 90 % des magistrats et avocats en fonction dans les années d’après-guerre ont servi sous Hitler, et en 1961 la part des anciens membres du parti nazi parmi les cadres supérieurs atteignait encore 67 % en RFA.8

La réunification de 1990 a représenté un tournant majeur dans l’histoire allemande, contribuant à en faire la puissance européenne hégémonique que l’on connaît. En France, on ne tarit pas d’éloges depuis près de 30 ans quand il s’agit de vanter les qualités du « modèle allemand », en particulier pour inciter les travailleurs à modérer leurs revendications.

L’Allemagne est ainsi devenue le moteur de la construction européenne, qu’elle a pilotée à sa guise avec des traités reprenant à la lettre ses marottes politico-économiques : libre-échange, libre circulation des capitaux et des marchandises, monnaie unique calquée sur le deutsche mark avec indépendance de la banque centrale européenne et priorité absolue à la maîtrise de l’inflation, équilibres budgétaires devenus des impératifs catégoriques … Les traités européens (révisables à l’unanimité uniquement !) gravent dans le marbre des règles de gestion économique et budgétaire (niveaux de déficit, d’endettement public, d’inflation), amputant les débats démocratiques nationaux d’éléments pourtant centraux pour l’expression de la souveraineté populaire.9

L’UE est ainsi le terrain de jeu d’une Allemagne redevenue conquérante, dopée à la modération salariale et aux excédents commerciaux qu’elle accumule sur le dos de ses “partenaires européens” à travers un gigantesque dumping social. Berlin sera d’ailleurs un acteur majeur de l’intégration des pays d’Europe centrale et orientale (PECO) à l’UE en 2004, qui coïncide d’ailleurs avec leur admission au sein de l’OTAN, dans un spectaculaire basculement politique, économique et militaire de l’ancien bloc soviétique. Fraîchement convertis à l’impérialisme, les PECO vont aligner avec zèle leurs positions en matière de politique étrangère sur les intérêts américains, en prenant notamment leurs distances vis-à-vis de Moscou. Cette évolution est conforme aux attentes des grandes chancelleries européennes, dont l’atlantisme est particulièrement marqué à l’aube du 21e siècle et notamment après le 11 septembre, tournant majeur des relations internationales après la chute du mur, qui va faire basculer l’Occident tout entier dans la « guerre de civilisation » au nom de « la défense de la démocratie ».

Pour l’Allemagne, cette adhésion des PECO à l’UE est une opportunité économique sans précédent. Elle va transformer ces pays en autant de sous-traitants mis au service de l’industrie allemande, qui va engager une transition vers le « made by Germany » en transférant ses usines et ateliers chez les voisins orientaux notoirement plus compétitifs en matière de droit du travail et de coûts salariaux. Cette aubaine, associée à l’établissement en 2002 de la monnaie unique, vont faire de l’Europe un gigantesque terrain de jeu pour l’industrie allemande, qui va pouvoir imposer sa suprématie industrielle aux voisins avec une stratégie reposant sur la prédation commerciale et le dumping social. Les largesses salariales et sociales françaises, espagnoles ou italiennes feront de ces pays d’excellents clients de la machine allemande à excédents commerciaux, et peu importe si cette stratégie ne fonctionne qu’à condition que les autres ne l’adoptent pas. Berlin fera cavalier seul !10

Superpuissance européenne prétendument « sans désir », l’Allemagne montera pourtant au créneau pour punir les mauvais élèves européens lors de la crise de la dette post-subprimes, en leur imposant des purges austéritaires meurtrières à la moitié du continent quitte à s’asseoir sur la volonté populaire et son expression démocratique, comme en Grèce en 2015, où l’humiliation de Syriza et de son premier ministre Alexis Tsipras fut totale.11 Près de 10 ans de cure d’austérité plus tard, les plaies sont encore béantes aux quatre coins du continent : effondrement des services publics, précarisation généralisée, dette publique et privée en croissance continue, réduction des libertés individuelles et syndicales, progression de l’extrême-droite fasciste partout … y compris en Allemagne elle-même, où l’AfD réalise depuis 6 ans une percée électorale sans précédent depuis 1945 12. Ils avaient dit « plus jamais ça » ? Ils en sont pour leurs frais.

Depuis 2022, l’étau de l’impérialisme se referme sur l’Allemagne elle-même, en raison de l’invasion russe de l’Ukraine. Elle a rapidement été confrontée à un dilemme cornélien : être fidèle à son engagement occidental atlantiste en s’embarquant dans la guerre sainte contre Moscou, quitte à se couper de son principal fournisseur de gaz ? Ou jouer la modération en préservant son intégrité industrielle et sa mainmise sur l’espace économique européen ? Ce débat a été tranché non sans atermoiements 13 et au mépris de la rationalité économique la plus élémentaire : l’Allemagne a choisi de compromettre durablement sa prospérité économique et commerciale au nom de la solidarité raciale et du combat contre le Mal (slave en l’occurrence). 14,15 Et peu importe si le choix stratégique occidental de la surenchère militaire est en train de tourner au vinaigre 16 : la suprématie blanche et la défense de la Civilisation méritent bien le suicide collectif de l’humanité.

Yazid Arifi

Sources :

  1. https://www.liberation.fr/checknews/pourquoi-ghassan-abu-sitta-medecin-de-guerre-a-gaza-a-t-il-ete-interdit-dentrer-en-france-20240505_BY2ROVY2EVDLHD6UGGXZ7QRK6M/
  2. https://www.leparisien.fr/international/conference-palestinienne-lallemagne-interdit-lentree-de-lex-ministre-grec-varoufakis-14-04-2024-PCOWMDBE5FF6XN4UHPNNOR4RWI.php
  3. https://www.courrierinternational.com/article/allemagne-en-saxe-anhalt-les-candidats-a-la-naturalisation-doivent-reconnaitre-le-droit-d-israel-a-exister#:~:text=Allemagne.-,En%20Saxe%2DAnhalt%2C%20les%20candidats%20%C3%A0%20la%20naturalisation%20doivent%20reconna%C3%AEtre,existence%20de%20l’%C3%89tat%20h%C3%A9breu.
  4. https://fr.euronews.com/2023/11/23/allemagne-perquisitions-en-cours-chez-des-partisans-du-hamas
  5. https://www.humanite.fr/monde/berlinale/yuval-abraham-et-basel-adra-recompenses-a-la-berlinale-denoncent-lapartheid-israelien
  6. https://www.memorialdelashoah.org/archives-et-documentation/genocides-xx-siecle/genocide-herero-nama.html
  7. https://galileesp.org/limpossible-denazification-de-lallemagne-apres-le-suicide-dhitler/
  8. https://www.monde-diplomatique.fr/2021/01/COMBE/62660
  9. https://www.monde-diplomatique.fr/2019/03/LORDON/59607
  10. https://horizons.typepad.fr/accueil/2010/10/lallemagne-un-problme-pour-leurope-par-jacques-sapir.html
  11. https://www.monde-diplomatique.fr/2015/07/RIMBERT/53219
  12. https://www.lemonde.fr/international/article/2023/11/05/en-allemagne-l-inquietante-progression-de-l-extreme-droite-a-sept-mois-des-elections-europeennes_6198323_3210.html
  13. https://genevevision.ch/en-allemagne-les-sanctions-contre-la-russie-ne-font-pas-lunanimite/
  14. https://www.lopinion.fr/international/allemagne-le-spectre-du-decrochage-industriel
  15. https://www.capital.fr/economie-politique/allemagne-lindustrie-plombee-par-lenergie-la-recession-inevitable-selon-linstitut-iw-1488531
  16. https://www.bbc.com/afrique/monde-68829520#:~:text=Ecoutez%20en%20direct-,Guerre%20Ukraine%20%2D%20Russie%20%3A%20L’Ukraine%20pourrait,conna%C3%AEtre%20la%20d%C3%A9faite%20en%202024&text=Depuis%20deux%20ans%2C%20l’Ukraine,par%20la%20Russie%20en%202024.

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