Édito #26 – décolonial peut-il être dissous ? A propos de la menace de dissolution de la LDNA et de Nawa

Gérald Darmanin a la gâchette facile. Depuis l’adoption de la loi contre le séparatisme il y a moins d’un mois, ce sont deux associations qui, coup sur coup, ont le canon du Ministre de l’intérieur sur la tempe. La ligue de défense noire africaine (LDNA) et Nawa éditions sont en effet visées par une procédure de dissolution, qui n’est rien d’autre qu’une peine de mort administrative.

Il est frappant que ces décisions interviennent dans un contexte, récent, de volonté de voir disparaître à tout prix les structures par lesquelles les indigènes s’auto-organisent contre certaines expressions du racisme républicain.

Ainsi en est-il en particulier pour la LDNA. Si elle ne semblait pas poser de problème au pouvoir lorsqu’elle aidait la police à traquer un arabe de cité (Mourad de Cergy), il lui a en revanche été lourdement reproché d’avoir incriminé la France comme Etat colonialiste et esclavagiste, la goutte d’eau ayant été l’exercice de violences – condamnables – contre des élus de la République. Quant à Nawa éditions, elle rejoint le CCIF et Barakacity dans le cimetière des martyrs de la lutte contre l’islamophobie d’Etat.

Déjà, on peut se demander à quoi joue le gouvernement qui semble vouloir tuer une mouche avec un bazooka. Celui-ci s’acharne sur des associations qui ne représentent absolument aucune menace réelle. S’il convenait de lutter véritablement contre les discours de haine ou appelant à la discrimination, il serait plus efficace et plus juste de museler Eric Zemmour. Aussi, face à des organisations aussi marginales (comme nous sommes nombreux à l’être) et aussi peu dangereuses pour l’ordre public, il est alarmant d’observer la passivité voire l’assentiment des institutions à propos de dissolutions qui, il y a encore quelques années, auraient provoqué un tollé.

Plus encore, on peut se demander si le gouvernement ne chercherait pas à atteindre le cœur du réacteur de ce qui pourrait sous-tendre l’idéologie des organisations précitées : la pensée décoloniale.

Si lesdites associations entretenaient en réalité des liens plus ou moins distendus avec le décolonial – la LDNA y étant extérieure alors que le CCIF était un partenaire de longue date de l’antiracisme politique –  toutes partageaient a minima une vision selon laquelle l’Etat est producteur de racisme, ce qui suffit aux commentateurs zélés de la doxa républicaine à les ranger dans la catégorie de la « mouvance décoloniale ».

Avec l’objectif de faire table rase de cet univers ? C’est en tout cas ce que suggère implicitement Gilles Clavreul dans une interview au Figaro. Commentant la volonté du gouvernement de dissoudre la LDNA, le co-fondateur du sinistre Printemps Républicain soutient que celle-ci « met en pratique une violence qui n’est que théorique chez ces militants de salon que sont les décoloniaux ».

Par cette phrase qui relève plus du sophisme que de la démonstration rigoureuse, Clavreul fait feu de tout bois pour diriger le canon de la dissolution vers les décoloniaux authentiques et qu’il sait être la locomotive idéologique d’une partie grandissante du champ politique.

Nous serions cependant tentés de rassurer les lecteurs du Figaro. Il n’est nul besoin de dissoudre un champ organisationnel qui est en ruine. Comme nous l’analysions ici, la plupart des cadres de l’antiracisme politique ont été phagocytés par la gauche blanche. Si quelques organisations restent debout, elles sont, depuis un certain temps (la crise sanitaire de 2020 n’ayant pas arrangé les choses), soit tombées dans un sommeil profond, soit isolées sans véritable dynamique collective.

Pourtant, et ce n’est pas le moindre de ses paradoxes, si le décolonial se trouve aujourd’hui effectivement désorganisé et désincarné, il continue de hanter nombre de commentateurs et est traqué jusque dans les université et les laboratoires de recherche. D’une certaine manière, plus il est spectral, plus il existe et plus il est fort. Rien n’est joué d’avance car les idées infusent et se répandent. Insaisissables, elles ne sauraient être dissoutes. Voilà qui a de quoi nous réjouir car aucun ministre aussi radicalisé soit-il ne peut dissoudre une idée.

 

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