La semaine dernière le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, a déclaré avoir engagé un processus visant à dissoudre l’organisation politique Génération Identitaire. Affirmant être « scandalisé » par les actions « de sape de la République » menées par le groupuscule d’extrême-droite, il a demandé à ses services de rassembler les éléments nécessaires lui permettant de demander sa dissolution.
Logiquement, le projet de dissolution d’une organisation suprémaciste blanche devrait nous réjouir. En effet, en affichant ostensiblement sa volonté de défendre la blanchité et sa domination, Génération Identitaire est pour nous l’incarnation paroxystique de ce que nous combattons. Depuis une dizaine d’années (et plus encore si l’on prend en compte les organisations précédentes dont elle est issue), Génération Identitaire a multiplié les actions racistes à l’encontre des réfugiés, des musulmans, des Indigènes dans leur ensemble (qu’ils nomment les « racailles »), ou bien encore de la gauche radicale. Dernièrement c’est leur action dans les Pyrénées qui a fait parler d’eux, action qui consistait à surveiller les frontières entre l’Espagne et la France pour bloquer tout éventuel passage de réfugiés afin de lutter, selon eux, contre l’immigration massive, le grand remplacement et même le terrorisme islamique.
Malgré cela, nous ne parvenons pas à nous réjouir de cette éventuelle dissolution. Non pas qu’elle nous attriste, mais elle soulève plusieurs doutes et critiques nous amenant à être sur notre réserve.
La première, la plus évidente, est que cette dissolution n’est toujours pas officiellement prononcée. Les chances qu’elle ne le soit jamais sont fortes car ce n’est pas la première fois que le gouvernement annonce cette volonté sans jamais aller au bout de sa promesse. Ce fut le cas avec Manuel Valls lorsqu’il occupait le poste de ministre de l’Intérieur.
La deuxième est que nous ne faisons en aucun cas confiance à la République et à « ses valeurs », et encore moins au gouvernement actuel, pour lutter contre le suprémacisme blanc. Cette annonce de dissolution ressemble davantage à une opération cosmétique peu coûteuse donnant l’impression que le gouvernement lutte contre la montée de l’extrême-droite, tout en appliquant à côté de ça une politique de droite extrême. Que cette annonce soit faite par Gérald Darmanin, symbole du tournant identitaire, autoritaire et raciste du gouvernement Macron, illustre totalement cette contradiction. Génération Identitaire joue alors le rôle qui lui sied à merveille : l’épouvantail qui permet de blanchir, si l’on peut dire, le gouvernement. C’est déjà le rôle qu’il joue avec le Front National.
La troisième est que les valeurs évoquées par Gérald Darmanin pour justifier la dissolution de GI sont fallacieuses et malhonnêtes, puisqu’il revendique celle de la « République ». Cette même République qui laisse mourir les réfugiés dans la méditerranée, déchire les tentes de ceux qui campent à Calais, en plein hiver, ou qui les laisse vivre dans des bidonvilles insalubres sans aucune intervention de l’État si ce n’est celle de la police qui vient périodiquement détruire leurs habitations de fortunes. Donc, contrairement à ce qu’affirme le ministre de l’Intérieur, de par ses actions, Génération Identitaire paraît bien plus en accord avec les valeurs prônées par la République qu’il ne l’affirme.
La quatrième raison de notre profonde méfiance est que cette dissolution se situe dans le cadre de la pente autoritaire de l’État, qui se donne de plus en plus de liberté pour faire taire la contestation politique. Certes, le cas de Génération Identitaire ne nous attriste pas et nous n’allons pas nous insurger contre cette décision, toutefois nous devons absolument rester sur nos gardes. Nous le disons depuis des années, puisque des projets de dissolutions ont déjà été formulés par le passé en direction d’organisations d’extrême-droite : donner un trop grand pouvoir et une légitimité à un État Nation qui n’est en rien notre allié dans le combat anti-raciste, anti-impérialiste et anti-capitaliste que nous menons peut nous retomber dessus, en lui offrant davantage la possibilité de dissoudre des organisations de notre camp si elles s’avèrent trop dérangeantes. Nous en avons eu l’illustration dernièrement avec les cas de Baraka City et du Collectif Contre l’Islamophobie en France.
Ce qui nous amène à notre cinquième et dernier motif de défiance : cette dissolution est aussi pour le gouvernement un moyen pratique de masquer son racisme, en particulier ici son islamophobie, en faisant mine de dissoudre toute organisation « extrémiste » qui contreviendrait aux principes républicains, et non pas seulement celles à connotation musulmane, renvoyant ainsi dos à dos une organisation politique de suprémacistes blancs à une organisation qui luttait contre le racisme (CCIF) ou une organisation à but humanitaire (Baraka City). Mettre sur le même plan oppresseurs et opprimés est un classique mais notre condamnation de ces fausses équivalences doit être sans faille.
En somme, si la dissolution de Génération Identitaire devait se confirmer, il serait naïf de crier victoire tant la manœuvre est cousue de fil blanc. Leur interdiction, bien évidemment ne nous émeut en aucune manière mais fait peser une menace équivalente sur le mouvement antiraciste et même sur le mouvement social. Les calculs cyniques de Darmanin ne doivent pas nous aveugler. Restons lucides.