Lettre ouverte aux sionistes (de gauche) qui convergent à Mediapart

Le barbare, c’est toujours celui qui croit à la barbarie, dit Claude Lévi-Strauss dans Race et histoire.

Ainsi, pour diaboliser les Aztèques, les Conquistadors qui les assassinaient stigmatisaient-ils les sacrifices humains de ces indiens du Mexique. Plus proche de nous, les bombardements sur l’Afghanistan s’accompagnaient de grands discours pour la liberté des femmes contre la bien connue misogynie mahométane.

Aujourd’hui, après des dizaines de milliers de morts à Gaza mais aussi en Cisjordanie, l’accusation d’antisémitisme sert à justifier la guerre génocidaire. La résistance nationale palestinienne est donc tout bonnement accusée d’antisémitisme mais aussi d’avoir, le 7 octobre dernier, tué des Israéliens parce que juifs.

Cette antienne par trop répandue est, ces jours-ci, soutenue en une du Club de Mediapart[1] et complaisamment relayée par son directeur de publication sur le départ via Twitter, Edwy Plenel.

Cette lettre nous évoque par sa composition et son propos le dispositif discursif éculé du vieil antiracisme moral ainsi résumable « Je ne suis pas raciste mais »…ici remplacé par quelque chose comme « je ne suis pas sioniste mais… ».

En effet, après 5 lignes et 502 mots pour la forme où les auteurs de ce texte se targuent de leur « soutien » et de leur « solidarité » avec les Palestiniens (« je ne suis pas sioniste »), après 500 mots, donc, surgit le fameux « mais » suivi de 18 000 autres mots – 18 000 ! – énonçant une condamnation violente et malhonnête de la résistance palestinienne et de ses soutiens les plus actifs en France, Urgence Palestine, en l’occurrence.

La tribune ayant articulé tout son propos en appuyant sur le « truc » – comme dit Badiou qui en a lui-même été accusé – infamant de l’antisémitisme adopte un ton paternaliste en surplomb, distribuant les mauvais points à celles et ceux qui franchissent la ligne du sionistement acceptable.

Du haut d’un magistère moral douteux qui reflèterait une position absolument objective, sage et juste à propos du « conflit » en cours, ses auteurs se drapent logiquement dans une posture politique et morale présentée comme indiscutable, à savoir une position sioniste d’extrême gauche (oui, ils sont « révolutionnaires ») qui entérine en le niant le fait colonial israélien. Car « Israël se distingue des expériences coloniales européennes », nous dit Joseph Confavreux[2], journaliste à Médiapart ; cette tribune prolonge cette falsification consistant à réduire le conflit aux excès de « deux extrêmes », à savoir Netanyahou et le Hamas, passant au passage sous silence que quasiment toute la classe politique israélienne justifie l’horreur en cours à Gaza mais aussi en Cisjordanie où il n’y a pas eu de 7 octobre[3].

La vérité est que les faits depuis la création de l’État d’Israël par l’ONU en 1948 contredisent ce récit. Et ce n’est pas parce que Fayard a cessé d’éditer le livre d’Ilan Pappé sur l’épuration ethnique en Palestine[4], il y a déjà 76 ans, que la réalité de l’extrême violence coloniale sioniste n’existerait plus.

En 1948, les Palestiniens ont été expulsés et Israël est actuellement bâti sur la Palestine comme la France, de 1830 à 1962, l’était sur l’Algérie et sa population autochtone.

Aussi ne s’agit-il pas pour nous de deviser sur les frontières de 1967 ou de l’expansionnisme jamais rassasié de l’État d’Israël sur les terres palestiniennes mais de dénoncer le fait colonial dans son intégralité. Rappeler le but politique de rétablir le droit et la justice de la mer au Jourdain n’a rien d’une provocation et encore moins de quelque antisémitisme. La terre spoliée, colonisée, de Palestine doit recouvrer sa liberté tout comme la Kanaky. Ou comme le Vietnam a retrouvé sa souveraineté ou l’Algérie son indépendance.

De ces principes sur lesquels il est, du point de la justice, impossible de céder, il découle une vérité ultime : les Palestiniens ont le droit de se défendre. Il n’en est pas de même pour la puissance occupante qu’est Israël. Morale universelle que même le droit international reconnaît.

Cette position qu’on dira « antisioniste » énoncée, il nous est aisé de démonter point par point et intégralement les accusations que porte la tribune relayée par Mediapart contre le mouvement de soutien à la Palestine dont nous sommes partie prenante.

1- Les organisations qui rejoignent UP, qu’elles soient de l’immigration ouvrière, marxistes, libertaires, décoloniales, musulmanes ou simplement de défense des droits de l’homme le font en connaissance de cause et n’ont que faire de cette fausse camaraderie condescendante et paternaliste.

2- La plupart des crimes et exactions (viols, féminicides, bébés décapités…) imputés au Hamas et dont les médias sionistes nous rebattent les oreilles, soit ont été infirmés par de nombreux journalistes, notamment israéliens de Haaretz, mais aussi par des instances internationales, soit sont très peu étayés.

3- Les ritournelles colportées par la plupart des sionistes selon laquelle l’opération du 7 octobre 2023 aurait une « tonalité antisémite, pogromiste et exterminatrice caractérisée » est un scandale et une insulte à la fois à l’encontre de la lutte légitime des Palestiniens et de ses morts, dont des femmes et des enfants, mais aussi des Juifs d’Europe, victimes de pogroms en Ukraine notamment puis de l’extermination par les nazis. Les martyrs Juifs d’Europe sont par ailleurs dans ce texte la proie des rédacteurs de la tribune puisque la majorité d’entre eux, à l’instar du bundiste Marek Edelman, du résistant anti-nazi Hajo Meyer ou du communiste Henri Krasucki, étaient résolument antisionistes.

Notons du reste que l’historien renommé Omer Bartov – universitaire US d’origine juive israélienne et spécialiste de l’extermination des Juifs d’Europe – a contesté à plusieurs reprises que l’opération du 7 octobre dernier ait constitué un pogrom.

Assez simplement, un pogrom désigne l’attaque meurtrière d’une foule encouragée par un consensus raciste d’Etat contre une minorité ethnique et/ou culturelle dominée et déjà opprimée. Il ne peut échapper à la sagacité d’Edwy Plenel que la domination ici est israélienne.
Nos auteurs de la tribune oseraient-ils soutenir qu’un massacre de cowboys par des Indiens au XIXème siècle serait un pogrom ? Ou encore que l’ANC de Nelson Mandela, s’étant rendue coupable d’attentats contre des civiles afrikaners, aurait commis des pogroms anti-Blancs ?

Les Palestiniens, opprimés depuis des décennies, ne peuvent être assimilés aux cowboys comme les Israéliens ne seront jamais des Indiens.

4- Les forces coalisées du mouvement national palestinien à l’initiative du 7 octobre ont effectivement commis des actes de guerre et tué des Israéliens – encore que l’hypothèse que des hélicoptères israéliens aient tiré sur des participants à la rave-party près de Gaza soit plus que sérieuse et que de nombreux témoignages remettent en cause la version israélienne concernant l’attaque des Kibboutz – mais parler d’antisémitisme est faux et partant scandaleux. Les victimes israéliennes n’ont pas été visées en tant que juives mais comme israéliennes. Qualifier l’attaque d’anti-israélienne serait juste, la qualifier d’antisémite est malhonnête et infamant. Car remplacer Israéliens par Juifs, c’est faire passer frauduleusement une violence résultant d’une situation coloniale, dans le cadre d’une lutte de libération nationale, pour une attaque antisémite.

5-S’agissant du lien fait entre la dénonciation de la « domination blanche » et le Protocole des Sages de Sion, elle est tout simplement abjecte.

Rappelons des faits tus bien que connus de qui veut que nombre d’intellectuels antisémites voire pronazis du début du XXème siècle comme par exemple Drieu la Rochelle qui a écrit dans son testament « Je meurs antisémite (respectueux des Juifs sionistes) » ou Lucien Rebatet, antisémite virulent, qui a soutenu Israël dans la guerre de 1967, ont fini prosionistes ou, pour Xavier Vallat et Rebatet, soutiens fanatiques d’Israël au nom de l’Occident et de la blanchité.

Tout cela atteste que l’antisémitisme peut parfaitement s’accommoder du sionisme dès lors que celui-ci, à la grande joie des antisémites, a pour dessein un foyer national juif qui viderait l’Europe de sa part juive, précisément.

Une fois encore, doit-on rappeler que l’antisionisme a d’abord été une tradition politique majoritaire dans le Yiddishland d’avant la Seconde guerre mondiale ? Faut-il rappeler que depuis le 7 octobre 2023, aucun incident antisémite n’a été relevé dans les manifestations de soutien à la Palestine ? Faut-il également rappeler qu’en 2014, ces sont les organisations que cette tribune insulte – parmi lesquelles l’UJFP, l’AFA et le PIR – qui ont chassé les soraliens des manifestations ?

La tribune des sionistes de gauche a beau étaler tout au long de son propos une posture outrée par le mouvement national palestinien et ses soutiens qu’elle accuse d’antisémitisme, elle n’est que justification spécieuse de l’existence d’une colonie en Palestine dont le nom est État d’Israël.

Sbeih Sbeih, Omar Alsoumi, Youssef Boussoumah, Houria Bouteldja


[1] https://blogs.mediapart.fr/antisemites-hors-de-nos-luttes/blog/200224/lettre-ouverte-aux-organisations-qui-convergent-au-sein-d-urgence-palestine

[2] https://www.mediapart.fr/journal/international/141223/de-quel-colonialisme-israel-est-il-le-nom

[3] Voir à ce propos l’excellent entretien d’Hors-Série avec Eyal Sivan : https://www.hors-serie.net/Aux-Sources/2024-02-24/Israel-contre-les-Juifs-id579

[4] Désormais disponible à La Fabrique

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