Louis Boyard a-t-il eu tort d’aller chez Hanouna ?

La séquence n’a pas manqué de faire jaser, il y a de quoi. Nous y voyons Cyril Hanouna, l’animateur vedette de la chaine de Bolloré, invectiver le député de la France insoumise Louis Boyard. Du fait de son jeune âge, associé à un sentiment de toute puissance, C. Hanouna a dû « oublier » qu’il parlait ici à un représentant de la république, rendant la scène encore plus déplorable voire inquiétante.

La raison de la colère d’Hanouna ? Louis Boyard a commis un sacrilège. Il a osé, en plein direct sur C8, salir le nom de Vincent Bolloré. Le patron du groupe Canal + et donc de… Cyril Hanouna, son protégé. Ni une, ni deux, l’animateur sortit immédiatement les crocs pour défendre son cher maitre. Conscient que ses intérêts sont liés à ceux de son patron, il a mis un point d’honneur à ce que personne ne puisse le critiquer impunément sur sa propre chaine. « Moi je ne crache pas dans la main qui me nourrit », a ainsi rappelé Cyril Hanouna.

Si beaucoup se sont indignés et ont tenu à apporter leur soutien à Louis Boyard face à des propos insultants à l’encontre d’un élu de la république et à la censure dont il a été victime, – une illustration de la puissance croissante du pouvoir privé sur le pouvoir public -, quelle ne fut pas notre surprise d’apprendre que certaines personnalités de gauche ont eu comme priorité de rejeter la faute sur le député NUPES. A l’instar d’Edwy Plenel ou de Daniel Schneidermann, cette gauche bien propre sur elle a reproché à Louis Boyard en quelque sorte, de l’avoir cherché, en acceptant de participer à cette émission. D’après eux, étant donné qu’il est de notoriété publique que les émissions d’Hanouna participent à l’extrême-droitisation de la société et à la diffusion d’idées racistes, la présence de gens de gauche dans ces émissions ne fait malheureusement que leur donner du crédit et de l’audimat.

En somme, nous voilà de nouveau dans le sempiternel débat au sein de la gauche : faut-il participer aux tribunes médiatiques bourgeoises, en particulier celles diffusant un discours ouvertement et puissamment réactionnaire ?

Avant de donner notre avis sur cette question qui ne sera jamais résolue, nous aimerions d’abord en poser une autre, mise de côté, pourtant tout aussi importante : était-il vraiment indispensable, quelle que fût notre position sur le débat avec les réactionnaires, de critiquer immédiatement Louis Boyard pour cette participation ? Pour notre part, nous répondons que non. Nous pourrions même dire qu’il est relativement alarmant, vue la scène ahurissante dont nous avons tous été témoins, et tenant compte de la période de fascisation politique actuelle, d’avoir comme premier réflexe de faire la leçon au député. Le sens des priorités de nos chers prêcheurs de gauche est à interroger. La gravité de la séquence aurait dû nous pousser, malgré les désaccords, à tous faire front derrière Louis Boyard pour condamner la manière dont la parole d’un élu de la République est censurée sur une chaîne sous prétexte qu’elle critique son patron. Ou, à la rigueur, se taire, si le soutien leur était un acte impossible. En tout cas, ne pas lui faire porter la responsabilité de ce pataquès, surtout en reprenant la logique de certains arguments du camp ennemi. Notamment l’idée selon laquelle il serait mal placé de sa part de s’offusquer quand on sait qu’il a par le passé été chroniqueur dans cette émission.

Revenons maintenant au débat sur la participation, ou non, à des tribunes réactionnaires. Nous avons de quoi nous lasser de cette question tant elle est posée de manière cyclique sans jamais être résolue. Il faut dire que nous avons l’impression d’avoir face à face deux camps qui aiment se draper dans des positions de principes absolus, sans jamais les remettre en question. Tandis que certains soutiennent qu’il ne faut absolument jamais débattre contre l’extrême-droite et refuser toute participation à des émissions diffusant ce genre d’idées, d’autres nous expliquent qu’il faut au contraire y aller pour s’opposer à leurs idées et exposer les nôtres à un public que nous ne parvenons pas à atteindre habituellement.

Pour notre part, nous nous situons dans un entre-deux stratégique. Il n’est pas question de refuser absolument toutes ces tribunes, comme nous n’allons pas accepter tous les débats. Nous refusons les positions de principes sur ce sujet et préférons agir de manière pragmatique. En d’autres termes, la participation ou non à des débats, émissions, entretiens etc. dépendra de plusieurs facteurs qu’il s’agira d’analyser pour en tirer la meilleure décision possible. La réponse dépendra donc de plusieurs éléments.

Les premiers sont d’ordre généraux : le contexte politique dans lequel on se trouve, l’état du rapport de force, l’actualité etc. Que nous soyons dans une période de fascisation, avec une actualité saturée par les sujets racistes, ou au contraire d’avancées des idées de gauche, et en période d’effusions sociale, cela peut avoir une incidence sur notre décision mais aussi sur la manière dont nous abordons ces débats et les objectifs que nous nous fixons.

Les seconds sont d’ordre intermédiaires, ils concernent le média auquel nous participons. Il s’agit alors de savoir si nous avons la possibilité de défendre notre point de vue de la manière la plus satisfaisante possible, sans trop de parasitage. Il est donc question ici de s’interroger sur la manière dont la discussion va se dérouler : Débat ? Entretien ? Un ou plusieurs invités ? Quels invités ? Quels chroniqueurs ? Quel temps de parole ? Public ou non ? etc. Mais aussi s’interroger sur les bénéfices que nous pouvons tirer de cette émission, c’est-à-dire la réelle possibilité d’atteindre un public, possiblement réceptif à nos propos, et qui nous est habituellement inaccessible.

Les troisièmes sont d’ordre plus internes : il s’agit de jauger nos ressources, avons-nous parmi nous des personnes capables de défendre nos idées et qui maitrisent ce genre d’exercice, surtout face à une forte adversité ?

Enfin, tous ces facteurs sont à soupeser à l’aune de questions essentielles : quel est notre intérêt direct à intervenir dans cette émission ? Pour dire quoi ? Pour défendre quelles idées et quelles positions ? A destination de qui ? Avec quel objectif ?

La question n’est donc pas si vite répondue. En tout cas elle ne doit pas reposer sur des sacro-saints principes inaliénables, mais bien sur une analyse objective du contexte politique, du média en question et de ses caractéristiques, de nos propres capacités, et des buts visés.

A ce titre, nous comprenons totalement la politique qui semble être menée par la FI de ne pas boycotter trop facilement des émissions mêmes d’orientation réactionnaire, mais de le faire avec des personnes ayant le talent nécessaire pour briller, ou au moins faire front. Nous pouvons par exemple penser au cas de David Guiraud qui a pu à de nombreuses reprises tirer son épingle du jeu lors de ces interventions sur la chaîne d’extrême-droite CNEWS. Ou bien les confrontations de Jean-Luc Mélenchon face à Zemmour, dont l’une chez Cyril Hanouna, et dans laquelle il a su s’imposer, malgré les réticences d’une partie de la gauche.

De plus, si, comme le stipule Edwy Plenel, nous décidons de ne plus apparaitre dans des médias qui diffusent des idées racistes, nous nous confronterons rapidement à un obstacle majeur : en cette période de radicalisation du pouvoir blanc, d’hégémonie réactionnaire, dans laquelle des milliardaires ont en leur possession les principaux médias de masse, et en profitent justement pour diffuser ces idées racistes, respecter la consigne de Plenel conduirait rapidement les acteurs de la gauche à n’intervenir que sur des médias comme Médiapart, Politis et Le Média, et in fine à ne parler qu’aux convaincus. Laissant alors le champ libre à l’extrême-droite qui ne se prive déjà pas de la moindre invitation.

Bien sûr, nous ne prétendons pas que traiter de manière pragmatique la question de la participation aux tribunes racistes et bourgeoises permettra d’éviter toute déconvenue. Parce que ce n’est pas le cas. Il se peut, en effet, que celle-ci se soldât par un échec cuisant. C’est un risque. Toutefois, le risque fait justement partie de la lutte politique, et nous n’imaginons pas comment il serait possible de le supprimer. Nous pouvons même affirmer qu’une lutte politique offensive, volontaire et audacieuse nécessite obligatoirement de prendre des risques. Il faut l’accepter et ne pas se tirer dans les pattes lorsque le choix s’avère perdant.

Revenons en maintenant à Louis Boyard, pointé du doigts par Schneidermann, Plenel et consorts, et analysons les faits. Le député a-t-il eu vraiment tort de participer à cette émission ? Son intervention s’est-elle soldée par un échec ? Il ne nous semble pas. Alors que le sujet portait sur l’accueil des 234 réfugiés du Ocean Viking, Louis Boyard en a profité pour politiser le sujet et rappeler que si ces personnes se voient contraintes de quitter leurs foyers, c’est parce qu’elles sont exploitées et appauvries par des politiques néo-colonialistes. Le cas Vincent Bolloré en est un exemple parfait, notamment avec son groupe Bolloré Africa Logistics, qui exploite littéralement les ressources de plusieurs pays africains, tout en participant à la destruction environnementale de ces territoires. A l’instar, justement, de la déforestation au Cameroun. Il a donc jeté la lumière sur un symbole fort de la Françafrique.

Mais ce n’est pas tout. En raison de la réaction viscérale de Cyril Hanouna face à la mise en accusation de son maître, Louis Boyard a pu aussi pointer du doigt la manière dont les milliardaires sont parvenus à faire main basse sur les principaux médias, et ce, non pas parce qu’ils sont habités par des idéaux de liberté d’expression, de la presse et de l’information, mais pour exercer justement un contrôle sur ceux-ci. En particulier pour faire taire les informations compromettantes à leur égard et défendre leurs intérêts. Cyril Hanouna n’y va pas par quatre chemins quand il rétorque à L. Boyard qu’il ne doit pas critiquer Bolloré alors même qu’il se trouve sur sa chaîne. Le député a même rattrapé la balle au bond et a décidé, avec d’autres membres de la NUPES de proposer à l’Assemblée Nationale une commission d’enquête sur l’ingérence du groupe Bolloré dans les médias.

Pour résumer, par le fait de sa participation à TPMP, décriée par ses détracteurs, Louis Boyard a pu recentrer le débat sur la persistance de la Françafrique, le rôle de Bolloré dans la déforestation au Cameroun mais aussi sur ses actions néfastes sur le continent africain, sur les procès qui lui sont intentés, le lien avec les réfugiés qui risquent leur vie pour venir en France, le contrôle grandissant des milliardaires sur les médias, et la manière dont ces médias et ses acteurs, dont Cyril Hanouna, protègent leurs intérêts, diffusent leur vision du monde, et se font les chiens de garde de l’idéologie dominante.

Alors Edwy, pas si mal, non ?

 

 

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