Messages par QGDecolonial

Édito #39 – Habemus Papam, enfin un pape chrétien!

Quelques jours après Noël, fête majeure, avec Pâques, du christianisme, il nous semble important de dire quelques mots du Pape François qui déplaît tant aux nationaux-catholiques français. Ainsi Chantal Delsol, épouse de Charles Millon, ex-ministre de Chirac devenu soutien de Zemmour, déplore-t-elle la fin de la chrétienté dans un livre récemment paru.

Chrétienté et christianisme ne recouvrent évidemment pas la même chose bien qu’ils puissent se recouper. Mais autant il est difficile sinon impossible d’extirper la chrétienté – le mythe du « blanc manteau d’églises » et de la France, « fille aînée de l’Église » – de la réaction, autant le christianisme, ainsi que le montre le Pape François, élu en mars 2013, conserve une irréductible charge révolutionnaire. Avec ce pape, le christianisme ne plie pas devant la réaction parfois fascisante « chrétienne ».

La tradition catholique d’extrême-droite est depuis au moins un siècle pour l’Eglise et contre le Christ. Zemmour l’a d’ailleurs redit sur France Inter, il y a quelques années[1]. C’est cette tradition qui, dans une tribune au Figaro, tente de déclarer nul et non avenu le travail de la CIASE sur la pédocriminalité dans l’Église[2]. Charles Maurras, chef de l’Action française, n’avait que faire du Christ et des Évangiles, de la même manière que les nazis souhaitaient, en vain, dépauliniser le christianisme avec les Deutsche Christen.[3]

Le Pape François, réputé pour sa solidité doctrinale[4], remet donc au goût du jour la parole évangélique contre la chrétienté et l’église bureaucratique dont il est néanmoins le chef. Ses critiques envers la Curie romaine et sa corruption évoquent ce que disait Mao Zedong pour justifier la Révolution culturelle[5]. La bourgeoisie est dans le Parti communiste ce que les marchands du Temple sont dans l’Église.

Le Pape défend une église des pauvres[6] dans une fidélité irréprochable au Nouveau testament qui évoque aussi celle du magnifique film de Pasolini, L’Évangile selon Saint-Matthieu[7]. Une Église qui porte le message du Christ, incompatible avec la bigoterie identitaire.

Le Pape est argentin, de provenance italienne certes, mais d’Amérique latine, terre de la Théologie de la Libération. Ce catholicisme le plus fidèle à l’invitation du Christ à être le sel de la terre refuse par conséquent l’injustice, l’inégalité, le mépris des pauvres et des civilisations indigènes ou l’indifférence aux migrants. N’éludons cependant pas que le Pape a été accusé peu après son élection de compromissions avec la junte fasciste argentine de Videla. Il a néanmoins rapidement été lavé de tout soupçon par plusieurs opposants à la dictature comme par exemple Gonzalo Mosca[8] et par la crédibilité plus que douteuse de certains de ses accusateurs[9].

À l’origine jésuite, François s’est de fait rapproché au cours de son pontificat de la Théologie de la Libération. Celle-ci a été accusée à plusieurs reprises, notamment par le Pape Jean-Paul II, d’introduire une dimension marxiste au sein du christianisme. Cette accusation a toujours été réfutée par les représentants de la Théologie de la Libération. Ceux-ci ont invariablement rappelé que le partage, la mise en commun des biens dont parlent par exemple les Actes des apôtres, s’inscrivent dans le dogme chrétien et catholique.

Bien que d’origine italienne, le Pape fait donc un pas de côté assez conséquent par rapport à la blanchité qui a dominé les instances dirigeantes de l’Eglise catholique. Ceci est insupportable à la chrétienté qui appelle les Chrétiens arabes ou arméniens des « Chrétiens d’Orient » comme si cela était une incongruité alors que le christianisme, comme le judaïsme et l’islam sont des religions nées aux Proche et Moyen Orient ! Les tensions dans le catholicisme officiel sont palpables comme le montre un entretien sur Radio Notre Dame avec un historien catholique[10].

Le Pape, pourtant, ne fait que s’inscrire dans l’universalisme paulinien qui n’a rien à voir, évidemment, avec « l’universel républicain ». Pour l’apôtre Paul, l’humanité est constituée de gens aux coutumes, aux langues et aux cultures diverses qui sont néanmoins d’égale dignité. La simple fidélité du Pape au message du Christ et de ses apôtres est intolérable pour qui défend l’Église contre le Christ comme d’autres la bureaucratie contre la construction du socialisme. En effet, les Évangiles, les Épîtres mais aussi Saint-Augustin (« Aime et fais ce que tu veux ») rappellent que toutes les vies comptent, celles des Noirs américains, celles des migrants, celles des Palestiniens, ou des chiites en Irak aussi[11].

L’humanité est comptable de l’humanité. Un catholique qui ferme les yeux sur les migrants qui, comme à Calais un mois jour pour jour avant Noël, sont morts noyés n’est pas à la hauteur de sa foi. Pour le Pape aussi, il y a un seul monde et tout homme, toute femme, est valeureux et digne d’amour.

Le Pape défend les migrants. C’est même un de ses combats majeurs. Il a de nouveau abordé ce sujet dans sa bénédiction Urbi et Orbi du 25 décembre 2021[12]. François défend celles et ceux que la loi d’airain de l’impérialisme occidental opprime, dénonçant ainsi l’Occident comme civilisation « de torture et d’esclavage »[13] et le nouveau colonialisme que représente la mondialisation contre les peuples indigènes[14].

S’agissant du Covid, il a aussi tenté de contrer la politique désastreuse de Bolsonaro en mobilisant les évêques du Brésil contre la pandémie[15].

On le voit, ce Pape, qu’on soit ou non croyant, qu’on soit catholique ou pas, est une bonne nouvelle. En cela, nous pouvons dire que nous avons un pape, habemus Papam !, qui défend une ligne chrétienne authentique et restitue la portée émancipatrice du christianisme des origines. Qu’il s’inscrive ainsi dans les pas d’autres chrétiens révolutionnaires de Thomas Müntzer à Desmond Tutu, qui vient de nous quitter, en passant par Martin Luther King et Oscar Romero est un point d’appui non négligeable pour la dignité, l’égalité et la justice à l’échelle du monde.

 

 

[1] https://www.youtube.com/watch?v=_-5XmCi8CJg

[2] https://www.lefigaro.fr/actualite-france/abus-sexuels-dans-l-eglise-un-rapport-d-intellectuels-catholiques-pointe-les-failles-et-les-biais-de-la-commission-sauve-20211127

[3]https://books.google.fr/books?id=MvoyEAAAQBAJ&pg=PT110&lpg=PT110&dq=chapoutot+deutsche+christen&source=bl&ots=UlXLnnF_Wl&sig=ACfU3U3whzAXNGXFxs_Mm8L3uQG5dCYXRQ&hl=fr&sa=X&ved=2ahUKEwjqzvmetYH1AhXozoUKHTBhC9wQ6AF6BAgREAM#v=onepage&q=chapoutot%20deutsche%20christen&f=false

[4] https://fr.wikipedia.org/wiki/Fran%C3%A7ois_(pape)#%C3%89v%C3%AAque_et_cardinal

[5] https://www.lemonde.fr/international/article/2021/04/29/tour-de-vis-contre-la-corruption-au-vatican_6078539_3210.html

[6] https://www.lemonde.fr/europe/article/2013/03/16/pape-francois-je-veux-une-eglise-pauvre-pour-les-pauvres_1849485_3214.html

[7] https://www.youtube.com/watch?v=L-nY29bW2LA

[8] http://www.terredamerica.com/2013/03/25/breve-storia-di-gonzalo-mosca-un-uruguayano-salvato-da-bergoglio/

[9] https://www.cath.ch/newsf/le-principal-accusateur-du-pape-francois-travaillait-pour-la-dictature-argentine/

[10] https://radionotredame.net/2019/vie-de-leglise/pape-francois/jean-baptiste-noe-historien-le-pape-francois-ne-pense-pas-la-reception-des-migrants-en-europe-232412/?gclid=Cj0KCQiAwqCOBhCdARIsAEPyW9kK-hwNCFJuq6zysHx8O-Z5B_UNOuw2txSKxnF3fd3LBIbbk1EZOk0aAgpXEALw_wcB#).

[11] https://www.lemonde.fr/international/article/2021/03/06/en-irak-le-pape-francois-et-l-ayatollah-sistani-plaident-pour-la-paix-et-l-egalite-pour-les-irakiens-de-toutes-croyances_6072212_3210.html

[12] https://www.youtube.com/watch?v=NAMt8BClJbQ

[13] https://www.lemonde.fr/international/article/2021/12/03/le-pape-francois-denonce-l-histoire-d-un-esclavage-universel-dans-le-parcours-des-migrants_6104648_3210.html

[14] https://doc-catho.la-croix.com/Urbi-et-Orbi/Documentation-catholique/Peuples-autochtones-Face-nouveau-colonialisme-defi-consiste-alternatives-solidaires-souligne-pape-Francois-2021-02-15-1201140804

[15] https://doc-catho.la-croix.com/Si-nous-sommes-unis-possible-surmonter-pandemie-declare-pape-Francois-eveques-Bresil-2021-04-21-1201151988

Édito #38 – Notre amie Taubira

Signe que la gauche institutionnelle, laïque et républicaine continue, en dépit de ses déconvenues électorales depuis la fin du mandat Hollande, à prendre les gens, et singulièrement « le peuple de gauche », pour des gogos : elle sort Christiane Taubira de son chapeau. Celle-ci, femme et noire, semble à la gauche socialiste l’étincelle tant attendue pour faire bonne figure à la prochaine présidentielle qui s’annonce calamiteuse. Elle arrive cependant un peu tard dans la course électorale en tant que femme : Le Pen, Pécresse, Hidalgo et Arthaud le sont aussi.

Taubira en figure de proue qui par un coup de baguette magique remettrait la gauche en ordre de bataille est une sorte d’Obama hexagonal. On peut du reste tirer toutes les conséquences de cette analogie. Taubira comme Obama sont noirs et c’est la vertu que la gauche leur accorde. Mais elle la leur accorde car il n’est pas avec eux question de négritude.

Christiane Taubira comme Barack Obama sont noirs mais immédiatement, on a en tête la question de Jean Genet en exergue de sa pièce Les nègres : « Mais, qu’est-ce que c’est donc un Noir ? Et d’abord c’est de quelle couleur ? » tant la politique de l’ancien président US comme la carrière politique de l’ex-garde des sceaux de Hollande et Valls ont versé dans la réaction.

Au niveau planétaire, Obama suscitait le même genre d’engouement que Taubira ou que l’équipe de France de football de 1998, à savoir une immense joie de l’antiracisme moral au constat que l’un comme l’autre sont des leurs, c’est-à-dire intégrés, du côté de l’impérialisme et de la puissance des pays qu’ils dirigent – ou dirigeraient – et servent.

Obama annonçait la fermeture de Guantanamo mais fut le président US le plus belliqueux de ces dernières années au mépris même des règles du droit international via, par exemple, des attaques de drones qui tuèrent, selon un article récent du New-York Times[1] « des milliers de civils » sans jamais être assumées par le pouvoir US d’alors.

À un moindre niveau, Taubira relève de la même entourloupe et l’éventuel enthousiasme qu’elle pourrait susciter serait lourd de graves déconvenues à venir. Soutenir ce point n’est pas un procès d’intention. Si Taubira n’a en effet jamais dirigé la France, elle a participé au pouvoir et a montré que même d’un point de vue « de gauche », sa ligne politique est plus que problématique puisque son programme à l’élection présidentielle de 2002 était déjà plus à droite que celui de Jospin, pourtant bien libéral et propatronal[2].

Plus généralement, Taubira a commencé comme militante indépendantiste guyanaise mais elle a abandonné ce combat au moment de l’élection de Mitterrand pour, ensuite, non seulement épouser les vicissitudes de la gauche anticommuniste sous un président ex-vichyste et pro-Algérie française mais aussi les modes du parlementarisme français.

C’est ainsi que Christiane Taubira vota l’investiture du gouvernement Balladur en 1993. Ce gouvernement, sous présidence Mitterrand, comptait dans ses rangs Sarkozy au budget et surtout Pasqua à l’Intérieur. Ce dernier est à l’origine des sinistres lois rognant le droit du sol et ouvrant la porte à toutes les dérives racistes contemporaines[3], jusqu’à la loi « Séparatisme » par exemple.

Toutefois, Taubira a porté en mai 2001 la loi reconnaissant l’esclavage comme crime contre l’humanité et a voté en 2004 contre la loi sur les signes religieux à l’école. Ces actions sont à son crédit mais elles ne l’ont hélas pas empêchée de soutenir ou de participer aux gouvernements socialistes de Jospin – avec Chevènement à l’Intérieur – puis d’Ayrault et de Valls sous Hollande.

Son compagnonnage au sein des Radicaux de gauche en 1994 avec Bernard Tapie[4], qui la soutint en 2002 avant de rallier Sarkozy en 2007, est également à souligner mais cette péripétie est presque anecdotique en comparaison du point essentiel sur lequel s’est conclue sa carrière au sein du pouvoir.

Taubira apparaît en effet comme un totem parlementaire – comme disait de Rocard ou de Mendès-France Alain Badiou à l’époque où il ne frayait pas avec Nathalie Heinich et Pascal Bruckner dans Marianne – en ceci qu’elle est, comme par magie et pour son goût pour la poésie, parée de toutes les vertus et proclamée sage de la République au-dessus du marigot politicard. Le caractère têtu des faits ne peut pourtant être omis : Taubira malgré son verbe dilatoire fut une pièce essentielle du quinquennat Hollande pour incarner le visage affable de la violence vallsiste. Si elle a voté NON au referendum de 2005 sur la Constitution européenne, elle a su, pour un ministère, rentrer dans le rang européiste. On ne peut pas dire que l’ex-ministre ait fait preuve, dans sa carrière déjà bien remplie, de ténacité.

Certes, Christiane Taubira a quitté le gouvernement en janvier 2016, c’est-à-dire un peu plus d’un an avant la présidentielle de 2017 qui a élu Macron. Elle n’est donc pas comptable de la « Loi travail » mais elle a, au nom de la solidarité gouvernementale, approuvé la majeure partie de la politique et des exactions de la Présidence Hollande. Ainsi n’a-t-elle pas désapprouvé l’intervention française au Mali en 2013 ni condamné la mort de Rémi Fraisse fin 2014 tué par une grenade jetée par un gendarme qu’elle a même implicitement défendu notamment sur France culture[5]. Au moment où paraissait la photo du petit Aylan, trois ans, mort sur une plage, la Ministre de la justice s’est fendue d’un indécent poème sans remettre en cause la ligne du gouvernement Valls sur ce sujet[6].

En tant que Garde des sceaux, Christiane Taubira s’est illustrée par un refus opiniâtre d’entendre le collectif pour la libération du militant communiste révolutionnaire libanais Georges Ibrahim Abdallah. Elle ne s’est pas contentée, dans cette affaire, de ne pas répondre aux demandes d’entretien, pas plus qu’aux courriers, des soutiens et amis du militant injustement détenu en prison. Elle a aussi, via le parquet, fait appel à deux reprises contre une décision judiciaire qui permettait sa libération.

Enfin, en guise de cadeau de départ, Madame Taubira a laissé une circulaire relative au mineurs étrangers isolés[7] qui précarise davantage la situation de ces jeunes gens en excluant de toute protection celles et ceux qui seraient déclarés majeurs par des évaluations « sociales ». Cette circulaire, homogène à la surenchère législative sous Macron, préfigure une différence de traitement entre mineurs isolés français et étrangers.

Enfin, la violente répression des manifestations par la police n’est pas apparue, sous Hollande, au moment de la « Loi Travail ». Presqu’un an et demi avant, lors des manifestations propalestiniennes de l’été 2014 dont certaines furent interdites, le quartier de Barbès fut le théâtre d’une violence policière inouïe. Les manifestants furent en outre diffamés, traités d’antisémites et leurs manifs, de « Nuit de cristal » par le CRIF.

Dès lors, la question de la position de Taubira relative à la lutte de libération nationale palestinienne ne se pose politiquement plus. Sans doute, l’ex-garde des sceaux n’est-elle pas sioniste comme l’est par exemple l’ex-Premier ministre Manuel Valls mais cela, en vérité, n’a pas grande importance.

Dans l’État impérialiste que Christiane Taubira a décidé de servir depuis plus de 40 ans maintenant, on est aux côtés des bombardements sur l’Irak et la Syrie et « pour la sécurité d’Israël », du nom de cet état colonial qui bafoue les droits du peuple palestinien. Ses bavardages sur deux états sont tellement vains et indécents qu’elle s’énerve vite, condamne BDS et refuse d’abroger la circulaire d’Alliot-Marie, comme devant Éric Fassin sur Mediapart[8]. Elle finit d’ailleurs par dire qu’ « il ne faut pas idéaliser la lutte contre l’apartheid ».

S’émerveiller de la candidature Taubira, c’est nier les structures et sauter à pieds joints sur la scène de la politique spectacle.

Taubira, une amie qui ne nous veut pas du bien.

 

 

 

[1] https://www.nytimes.com/interactive/2021/12/18/us/airstrikes-pentagon-records-civilian-deaths.html?fbclid=IwAR1cUO7rz3PYjLdpntiaH3QlB6xi1HTCVKV3uNYty2ibMVyegwFYwCMSQM8

[2] https://www.bfmtv.com/politique/elections/presidentielle/a-la-presidentielle-de-2002-le-programme-de-christiane-taubira-etait-loin-des-marqueurs-de-gauche_AN-202112170228.html#xtor=AL-68

[3] https://enseignants.lumni.fr/fiche-media/00000000450/loi-pasqua-sur-les-conditions-d-entree-et-de-sejour-des-immigres.html

[4] https://www.youtube.com/watch?v=YubDCedp9f4

https://la1ere.francetvinfo.fr/2013/07/02/christiane-taubira-et-bernard-tapie-amis-de-vingt-ans-45195.html

[5] https://blogs.mediapart.fr/jjmu/blog/041214/lettre-mme-taubira-coecrite-par-chloe-fraisse-soeur-de-remi-fraisse-amal-bentoussi-farid-el-yamni-raymond

[6] https://twitter.com/ChTaubira/status/639436472001646594?s=20

[7] https://blogs.mediapart.fr/lingua/blog/130116/nous-en-sommes-la

[8] https://www.france-palestine.org/Video-Christiane-Taubira

 

Islamophobie et Palestine : usages du label “terrorisme” pour faire taire les militant.e.s palestinien.ne.s en Occident

Intervention faite par Hatem Bazian, Palestinien, professeur à l’université de Berkeley,  le 10 décembre 2021 à St Denis, à l’occasion de la conférence « Guerre permanente ou paix révolutionnaire » que vous pouvez trouver dans son intégralité ici : https://www.youtube.com/watch?v=EjB4_OGEJ6M.

 

Deux angles morts majeurs, qui existent dans la recherche actuelle sur l’islamophobie, continuent d’obscurcir et de limiter la portée de son analyse critique.

Le premier, c’est que les travaux et les écrits sur l’islamophobie ont tendance à se concentrer sur les discours médiatiques, la politique électorale et sur la capacité des musulmans d’Europe et des États-Unis à s’intégrer dans la société occidentale. Les problèmes se réduisent alors à une question d’acteurs politiques ayant un impact sur une société dite civilisée par excellence. Ce qui est perdu dans ces analyses, c’est le racisme colonial et impérial occidental, le sectarisme et la différence épistémologique et ontologique construite sur une rationalisation théologique profondément enracinée.

Le deuxième concerne le lien direct entre le sionisme, les forces pro-israéliennes et la promotion de l’islamophobie. Bien que les travaux sur l’islamophobie dans les médias, sur les liens entre l’empire américain et les restrictions imposées aux musulmans soient présents dans des publications, des liens, qui ont pour but de maintenir et la consolider le soutien à Israël, sont rarement abordés.

Pour moi, les groupes pro-israéliens aux États-Unis et en Europe sont les principaux bailleurs de fonds, producteurs, organisateurs et distributeurs de contenu islamophobe, qui domine actuellement les discours politiques et publics dans les sociétés occidentales. La fin de la Guerre froide et le tournant vers l’exagération de la menace de l’Islam ont provoqué une avalanche de publications et de couverture médiatique qui ont ciblé la Palestine et les militants pro-palestiniens tout en faisant la promotion d’Israël comme allié et « seule » démocratie de style occidental au Moyen-Orient.

En outre, l’émergence du mouvement BDS en 2005 a entraîné une stratégie pro-israélienne plus extrémiste qui a cherché à imposer des limites à la liberté d’expression et d’association pour faire dérailler toute critique du sionisme et de l’apartheid israélien.

Le 9 décembre 2021, la Ligue anti-diffamation (ADL) a publié un rapport, « Le mouvement anti-israélien sur les campus américains, 2020-2021 », rempli de bout en bout de contenus islamophobes et de tentatives de diabolisation des militants pro-palestiniens et d’accusation contre des groupes de n’’être une façade pour le Hamas, et d’accusations d’antisémitisme. Le rapport fait suite au sommet « Never Is Now » parrainé par l’ADL et axé sur « Confronter l’antisémitisme sur le campus : un guide pratique », avec un débat animé par le PDG d’Hillel International, Adam Lehma, entre des étudiants sionistes leaders et des éducateurs pro-israéliens sur les campus américains.

En février 2019, le ministère israélien des Affaires stratégiques publiait TERRORISTS IN SUITS. The Ties Between NGOs promoting BDS and Terrorist Organizations (Terroristes en costumes. Les liens entre les ONG qui soutiennent BDS et les organisations terroristes). Le rapport construisait un trope islamophobe liant les militants pro-palestiniens et BDS avec le terrorisme.

Le fait qu’organisations et groupes pro-israéliens utilisent l’islamophobie et la diabolisation de la Palestine et des Palestiniens entraîne chez des universitaires une prise de distance avec le sujet par peur d’être ciblé pour avoir écrit ou mis en évidence ces liens.

Tout cela soulève une foule de questions concernant l’islamophobie, mais je souhaite me concentrer sur un segment particulier de l’industrie de l’islamophobie directement lié à l’agenda pro-israélien : les groupes et les organisations impliqués dans la promotion de l’altérité des musulmans et dont la préoccupation centrale est de saper les possibilités de liberté, de dignité et de plaidoyer palestiniens pour la justice.

J’essaie de répondre aux questions suivantes : qui sont les groupes qui produisent l’islamophobie ? Quels sont leurs liens avec ceux qui sont impliqués dans la défense de la politique israélienne ? Comment les forces des droits de l’homme, les forces antiracistes et anti-impérialistes devraient-elles l’aborder dans les années à venir ? Comment l’islamophobie est-elle utilisée pour obtenir un soutien supplémentaire à Israël et quel a été son succès après le 11 septembre 2001 ?

Au printemps 2012, l’American Freedom Defense Initiative (AFDI), une organisation créée par Pamela Geller, une figure de proue du réseau mondial islamophobe, publie une série de publicités pour les bus, les gares et les panneaux d’affichage avec ce message : « Dans tout guerre entre l’homme civilisé et le sauvage, soutenez l’homme civilisé. Combattez le Jihad violent. Soutenez Israël. » Contrastant avec les campagnes islamophobes précédentes, ces publicités établissaient un lien explicite entre Israël, la « guerre contre le Jihad », le soutien à Israël et le cadrage raciste des Palestiniens auxquels les publicités font explicitement référence comme des « sauvages ».

Ces publicités furent affichées à travers les États-Unis et dans des villes, dont San Francisco et New York. Des artistes culturels organisent une campagne visuelle de résistance en peignant sur les publicités et refusant la culture visuelle du racisme dans l’espace public.

Une autre série de publicités islamophobes et plus incendiaires de l’AFDI montrait Haj Amin al-Husseini, le leader palestinien d’avant 1948, assis à côté d’Hitler. Selon l’AFDI, cette nouvelle publicité islamophobe était une réponse à une campagne des Musulmans américains pour la Palestine (AMP) qui appelait à la réduction de l’aide américaine à Israël.

Toutes ces publicités établissent des liens explicites et immédiats entre la rhétorique islamophobe dirigée contre l’islam et les musulmans et la centralité d’Israël en tant qu’élément essentiel de la « guerre contre le terrorisme », construisant ontologiquement les Palestiniens comme des terroristes archétypiques afin de maintenir un soutien sans critique américain au sionisme.

Après le 11 septembre 2001, un certain nombre d’individus, de groupes et d’organisations basés aux États-Unis ont réussi avec succès à poursuivre ce programme consistant à employer l’islamophobie pour célébrer Israël et diaboliser les Palestiniens. Ces groupes islamophobes pro-israéliens sont sous-étudiés par les universitaires américains malgré le nombre accru d’ouvrages publiés sur l’islamophobie.

Un site Web récemment sorti, Canary Mission, rend pourtant ce lien évident : hautement islamophobe, il donne un nouveau souffle au maccarthysme en se concentrant sur l’opposition à BDS sur les campus universitaires et la promotion de l’agenda d’Israël.

Historiquement, les universitaires américains se sont pour la plupart tenus à l’écart de tout ce qui concerne Israël de peur d’être pris pour cible et d’avoir à faire face à des accusations erronées d’antisémitisme. Ceux qui s’aventurent à traiter le conflit palestino-israélien en dehors des paramètres acceptés par les pro-israéliens sont une exception plutôt que la norme et la plupart des universitaires et des journalistes restent également à l’écart du sujet. Des cas comme celui de Joseph Massad à l’Université de Columbia, Steven Salaita à l’Université de l’Illinois à Urbana-Champaign et Rabab Abdulhadi à l’Université d’État de San Francisco illustrent les conséquences d’écrire et de parler de la Palestine aux États-Unis et des campagnes similaires existent en France, au Royaume-Uni et au Canada.

L’industrie de l’islamophobie, bien que venant d’une très petite minorité d’individus et d’organisations opérant outre-Atlantique, partage des ressources et bénéficie d’un soutien officiel dans certains pays. Elle a dès lors été en mesure de façonner le discours politique et d’influencer les débats politiques sur la sécurité, l’immigration et l’éducation.

Dans Legislating Fear, un rapport publié le 19 septembre 2013, CAIR a identifié 37 groupes au cœur de l’industrie de l’islamophobie et 32 ​​autres organisations périphériques qui ont dépensé ensemble 119 662 719 millions de dollars entre 2008-2011.

Il faut ajouter que le financement du réseau islamophobe et pro-israélien provient des Émirats arabes unis et de l’Arabie saoudite dans le but d’influencer les débats musulmans-musulmans dans les développements des post-printemps arabes.

 

Regarder en arrière avant de regarder le présent

 

Les attentats de 2001 ont introduit un changement dans la politique étrangère américaine et européenne et ont réintroduit une approche interventionniste plus musclée et militarisée envers le monde arabe et musulman avec l’invasion de l’Afghanistan et de l’Irak ainsi qu’avec une solide présence militaire américaine dans plus de 40 nouveaux pays. La coïncidence des attentats du 01/09/2001 avec le début de la deuxième Intifada palestinienne présenta une occasion en or aux néo-conservateurs liés à l’American Enterprise Institute de faire pression sur l’administration Bush pour une position plus résolument pro-israélienne.

Le « soit vous êtes avec nous soit avec les terroristes » du président Bush a forcé les États-nations à prendre des décisions facilitant la mise en oeuvre de cette guerre mondiale. L’alliance mondiale, qui a constitué la « Guerre contre le terrorisme » (avec Israël jouant un rôle central), a fourni une formation et un savoir-faire, et a commercialisé sa « grande expertise » dans la lutte contre le terrorisme.

Les agences de sécurité israéliennes se sont lancées dans le secteur de la formation antiterroriste et ont réussi à devenir des acteurs clés dans les programmes terroristes conjoints locaux, régionaux, nationaux et internationaux. Par exemple, Urban Shield, un programme de formation conjoint à la lutte contre le terrorisme organisé dans la région de la baie de San Francisco, qui fait de l’islamophobie son cadre conceptuel et présente les musulmans et les Arabes comme des menaces potentielles dans son programme de formation, a fait en sorte que les équipes de sécurité israélienne jouent un rôle majeur dans la mise en place de scénarios d’attaques terroristes présumées et dans la politique de conseil sur le profilage de terroristes.

Des sociétés de relations publiques comme Luntz ont réussi à pousser l’opinion publique davantage vers la droite et à soutenir l’invasion de l’Irak comme moyen de défendre Israël. Dans un de ses documents de relations publiques, Luntz proposait des points de discussion et des recommandations spécifiques sur la façon de parler d’Israël au public américain et occidental en général.

Si certains seraient tentés de parler de complot, la réalité est qu’un réseau sioniste et néo-conservateur bien organisé, discipliné et bien financé fonctionnait au sein d’une administration idéologiquement prête et solidaire comportant des alliés dans des postes sensibles qui ont réussi à façonner des débats publics sur des questions concernant à la guerre au niveau national et international. En effet, ceux qui opéraient dans cet espace ont réussi à se fortifier et à consolider le récit d’Israël aux États-Unis et à dominer le discours dans les universités et les médias.

Les porte-parole israéliens ont été très efficaces dans la diffusion de leurs messages aux niveaux local, régional et national aux États-Unis, tandis que les réponses pro-palestiniennes étaient souvent entravées et présentés de manière singulière. La stratégie de communication s’est construite sur des années de stéréotypes négatifs et de fausses représentations des Arabes et des musulmans, ce qui a rendu un vocabulaire plus facile à déployer dans une matérialité productive et orientaliste.

Edward Said (Orientalism, 1978 et Covering Islam 1981) et Jack Shaheen (Reel Bad Arabs, 2001) l’ont théorisé et ont souligné l’effet cumulatif des stratégies pro-israéliennes. La stratégie de communication pro-israélienne a été déployée à travers des représentations racistes, colonialistes et essentialistes des Arabes et des musulmans, qui, après le 11 septembre 2001, se sont concentrées avec succès sur les Palestiniens en général et le Hamas en particulier en tant qu’archétype du terroriste.

Parler de la Palestine et des Palestiniens est devenu équivalent au terrorisme et des individus et des groupes ont été attaqués pour avoir monté une défense des droits des Palestiniens.

Dans l’environnement de l’après 11 septembre, plus de 90 % des poursuites judiciaires engagées contre des individus et des groupes musulmans ont visé des individus et des militants pro-palestiniens sous l’accusation obscure de soutien matériel.

Tout type de soutien financier à la Palestine a fait l’objet de poursuites judiciaires tandis que de nombreuses poursuites judiciaires ont été engagées contre des individus pour avoir parlé de la Palestine en utilisant l’accusation erronée d’incitation à la violence ou de soutien rhétorique au terrorisme.

La stratégie déployée a permis à Israël d’être mieux connecté aux formations politiques américaines et européennes dans la « guerre contre le terrorisme ». Plus précisément, le savoir-faire d’Israël dans la lutte contre le « terrorisme » palestinien a été présenté comme l’approche la meilleure et la plus efficace pour faire face à une menace islamique.

Du jour au lendemain, Israël est devenu le modèle d’une telle stratégie avec l’émergence de nombreuses entreprises liées à Israël offrant des services de formation et des stratégies de lutte contre le terrorisme qui ont contribué à consolider l’image stéréotypée du terroriste arabe, musulman et très certainement palestinien à travers les États-Unis et l’Europe avec des groupes de travail conjoints sur le terrorisme et des agences de renseignement adoptant en gros le cadre de sécurité israélien et donc la stratégie de communication israélienne, beaucoup suivant des cours de formation ou visitant Israël avec, à leur retour, une vision hostile des Arabes et des musulmans.

La stratégie d’Israël comprend également la production de documentaires de haute qualité visant à rendre concrètes des menaces posées par des groupes musulmans basés aux États-Unis. Ces documentaires représentent une tentative sophistiquée et systématique d’établir un « lien » entre les groupes terroristes internationaux et les organisations américaines palestiniennes et musulmanes dans une stratégie qui vise à supprimer toute distinction entre ces groupes afin de justifier les actions d’Israël contre les Palestiniens. Cette stratégie vise à ternir les organisations musulmanes, à les mettre sur la défensive et à les exclure des discussions politiques, comme cela a été dans le cas des attaques contre le CAIR, l’American Muslim Alliance, la Muslim American Society et les American Muslims for Palestine.

À mes yeux, l’effet cumulatif de cette stratégie peut être détecté lors des élections de 2010, qui ont vu la victoire des candidats du Tea Party, qui ont utilisé une rhétorique anti-musulmane dans leurs campagnes électorales. Le mouvement Birther, qui nous a donné Trump en 2016, a vu le jour grâce à l’utilisation de l’imaginaire anti-palestinien et à la diabolisation d’Obama, un effort qui a pris forme après une brève tentative des États-Unis de lutter contre l’expansion des colonies.

Une façon de comprendre le déploiement de la stratégie pro-israélienne est d’étendre l’utilisation par Edward Said de « d’orientalisme latent » et « d’orientalisme manifeste » à l’étude de l’islamophobie. Said a écrit que les sujets arabes et musulmans sont construits et « jugés en fonction de l’Occident et par rapport à celui-ci, de sorte qu’ils sont toujours l’Autre, le conquérant et l’inférieur » (Said, 1978 : 5). Les écrits de Said mettent en évidence le lien entre ce que j’appelle l’islamophobie latente et manifeste.

L’islamophobie latente est conçue à travers un processus de création utilisant films, reportages, têtes parlantes dans les médias, édition de livres et accent mis sur l’islam en tant que religion violente, arriérée et oppressive qui est encline au despotisme et au manque de progrès. La production culturelle n’est pas indépendante de la politique ou de l’économie ; elle est plutôt informée et déterminée hégémoniquement par elle.

L’islamophobie manifeste est évidente dans les discours et les écrits de Daniel Pipes, un partisan d’Israël de droite et fondateur du site Web de type maccarthyste « Campus Watch ». S’exprimant devant la convention du Congrès juif américain le 21 octobre 2001, Pipes a déclaré : « Je m’inquiète beaucoup du point de vue juif que la présence, et l’augmentation de la stature, de la richesse et de l’émancipation des musulmans américains…présentera de véritables dangers pour les Juifs américains. » Ces phrases offrent un aperçu de certaines des réflexions derrière l’industrie de l’islamophobie et de la manière dont elle se mobilise pour la diabolisation des musulmans, des Arabes et des Palestiniens afin de maintenir le soutien inconditionnel et incontestable au sionisme et à Israël.

 

Dr. Hatem Bazian traduit par Françoise Vergès
Near Eastern Studies
Asian American Studies

Université de Berkeley

 

PALESTINE : SOLIDARITÉ, RESPONSABILITÉ ÉTHIQUE ET DÉCOLONISATION

Intervention faite par Omar Barghouti, Palestinien, défenseur des droits humains, cofondateur du mouvement pour les droits palestiniens Boycott, Désinvestissement et sanctions  (BDS)  le 10 décembre 2021 à St Denis, à l’occasion de la conférence « Guerre permanente ou paix révolutionnaire » que vous pouvez trouver dans son intégralité ici : https://www.youtube.com/watch?v=EjB4_OGEJ6M.

Frantz Fanon a écrit « Si à un moment la question s’est posée pour moi d’être effectivement solidaire d’un passé déterminé, c’est dans la mesure où je me suis engagé envers moi-même et envers mon prochain à combattre de toute mon existence, de toute ma force pour que plus jamais il n’y ait, sur la terre, de peuples asservis ». Ce sentiment de solidarité internationaliste et transversal n’ jamais été aussi nécessaire qu’aujourd’hui, puisque pratiquement tous les systèmes d’oppression ne se maintiennent qu’avec la complicité assumée d’autres systèmes d’oppression, que ce soit des États, des corporations ou des institutions.

L’oppression globalisé exige une résistance et une solidarité globalisées.

Plusieurs causes expliquent la solidarité avec une communauté opprimée : en premier, le rejet éthiquea de l’injustice partout où elle se trouve ; en second, un engagement idéologique envers un internationalisme pour qui les luttes de libération partout dans le monde contribuent à la défaite de l’impérialisme et à la marche vers le socialisme ; troisièmement, un sentiment profond de responsabilité avec les opprimés qui pousse à reconnaître la complicité de son propre État ou institution dans l’oppression actuelle ; et quatrièmement, la prise de conscience que cette oppression « à distance » n’est pas seulement soutenue par son propre État ou ses propres institutions, mais qu’elle est également intersectionnelle ou organiquement liée aux oppressions locales. Dans de nombreux cas, ces facteurs ne sont pas mutuellement exclusifs. Je me concentrerai ici sur les deux derniers facteurs, souvent liés, et qui furent fondamentaux dans les mobilisations de solidarité mondiale contre la guerre impérialiste au Vietnam, la colonisation génocidaire française de l’Algérie et le régime d’apartheid en Afrique du Sud, entre autres.

Mis à part les États progressistes et les partis révolutionnaires, de nombreux acteurs sociaux révolutionnaires sont guidés depuis des décennies par la devise « penser globalement, agir localement ». Cette devise a cependant besoin d’une refonte, particulièrement à l’ère de la montée du fascisme, du despotisme « démocratique-autoritaire » ou du Trumpisme, qui se répand en Europe, au Brésil, en Inde, en Turquie, aux Philippines et au-delà.

Avec l’émergence d’une puissante alliance internationale d’extrême droite, la résistance à tout régime local d’oppression raciale, économique, sociale ou nationale doit être mondiale, intersectionnelle et toujours éthique. Cela est nécessaire non seulement pour des raisons éthiques, mais aussi comme condition pour maximiser ses chances de victoire sur l’oppression.

Parallèlement, et directement liée à cette alliance de plus en plus étroite entre l’extrême droite et l’autoritarisme démocratique, la concentration massive de richesses entre les mains d’un nombre relativement restreint de sociétés multinationales et de banques et leur influence naissante dans l’élaboration de la politique mondiale a atteint de nouveaux sommets. « En Amérique aujourd’hui », a écrit le sénateur américain Bernie Sanders, « les 0,1 % les plus riches possèdent presque autant de richesses que les 90 % les plus pauvres. Les trois personnes les plus riches de ce pays possèdent plus de richesses que la moitié inférieure des Américains – 160 millions de personnes. »

Avant même d’atteindre ce niveau sans précédent de consolidation des richesses et de mondialisation de l’oppression, les luttes internationales contre l’injustice du siècle dernier ont mis en lumière ces liens de complicité mais aussi les perspectives d’une libération commune. Le mouvement international anti-apartheid, en particulier, a marqué un changement radical dans la solidarité internationale. Ainsi, alors que les armes et l’entraînement cubains, algériens, palestiniens et libyens pour la résistance anti-apartheid perpétuaient la tradition anti-impérialiste de solidarité des États et des mouvements révolutionnaires, pour sa part, l’African National Congress (ANC) exhortait les citoyens occidentaux, les syndicats, les églises et les mouvements sociaux de masse de compléter, voire de transcender, la solidarité traditionnelle avec la lutte de libération en Afrique du Sud en coupant les bouées de sauvetage, ou les liens de complicité majoritairement occidentale, qui maintenaient en vie le système d’apartheid.

Aux États-Unis, des intellectuels noirs révolutionnaires ont exploré la trajectoire commune d’oppression et de libération qui liait l’apartheid à la suprématie blanche et au racisme anti-noir institutionnel. La solidarité devient alors, concomitamment, l’acte d’accomplissement d’un devoir éthique envers « l’autre » opprimé et la voie vers l’émancipation du moi opprimé.

La solidarité mondiale, stratégique, intersectionnelle et mutuelle avec les luttes contre l’oppression sous toutes ses formes est devenue plus que jamais un ingrédient essentiel dans la construction de tout mouvement de résistance local fort.

Bien que ce paradigme de résistance mondialisée puisse s’appliquer à toutes les luttes contemporaines contre l’injustice, il est plus évident dans les situations de colonisation de peuplement, où les oppresseurs ne sont pas simplement intéressés à soumettre les opprimés ou à les exploiter et à usurper leurs ressources, mais aussi à les déraciner et les remplacer.

Lorsque la logique coloniale de peuplement qui entraîne l’élimination de la population indigène, comme cela a été perpétré à des degrés divers aux États-Unis, en Australie et au Canada, n’est pas possible, les colons comprennent que pour que leur projet prospère, ils doivent soumettre et finalement domestiquer la population indigène colonisée, y compris en lui imposant l’isolement. À cette fin, « l’arme la plus puissante entre les mains de l’oppresseur », écrit le leader sud-africain de la conscience noire Steve Biko, est le contrôle de « l’esprit des opprimés ».

De l’Algérie et de l’Afrique du Sud de l’apartheid hier à la Palestine aujourd’hui en passant par d’autres situations, la perspicacité de Biko s’est avérée précise et prémonitoire. La stratégie commune adoptée par les colons-colonialistes, partout où ils n’ont pas pu anéantir la population indigène, consiste à infecter nos esprits avec le virus mortel du désespoir par la déshumanisation, l’isolement et l’écrasement violent de toute résistance avec une force disproportionnée et une sauvagerie préméditée.

Le projet de colonisation sioniste et de colonisation britannique en Palestine, qui commence sérieusement dans le premier quart du 20e siècle et est toujours en cours, correspond à ce modèle. Il a constamment cherché à coloniser non seulement la terre les Palestiniens, mais aussi nos esprits.

Dès 1923, le leader sioniste Zeev Jabotinsky écrivait avec une honnêteté lucide :

Chaque population indigène du monde résiste aux colons tant qu’elle a le moindre espoir de pouvoir se débarrasser du danger d’être colonisée. […] La colonisation sioniste doit soit s’arrêter, soit se poursuivre quelle que soit la population indigène. Ce qui signifie qu’il ne peut avancer et se développer que sous la protection d’un pouvoir indépendant de la population indigène – derrière un mur de fer, que la population indigène ne peut franchir.

En plus de son récent mur de béton, Israël a sans cesse construit son « mur de fer » dans nos esprits en essayant de nous réduire à des êtres humains inférieurs, ou ce que j’appelle des « humains relatifs », pour nous isoler de notre environnement arabe naturel et du reste de la monde, et de graver dans notre conscience, par une violence hégémonique soutenue, l’impératif de la soumission à son pouvoir indomptable présenté comme un destin. Les alliances militaires et sécuritaires d’Israël et les accords de normalisation avec les dictatures arabes des Émirats arabes unis au Maroc sont une autre facette de ce processus en cours de notre disparition comme Palestiniens et de nous conduire au désespoir. L’objectif le plus important des oppresseurs dans la colonisation des esprits des opprimés est d’imprimer en eux le désespoir et le sentiment de futilité mortelle de résister à la colonisation en cours.

La lutte pour la libération palestinienne a toujours été conditionnée à la décolonisation de nos esprits de l’impuissance profonde qui peut nous inhiber et à nous engager dans une praxis, comme dirait Paulo Freire, un processus radical de résistance, de transformation et d’émancipation mondialisée et pleine d’espoir. Après tout, l’espoir qui émane d’une résistance populaire efficace, organiquement couplée à une solidarité internationale, est force de résistance contagieuse. Malgré des décennies de nettoyage ethnique israélien impitoyable et de brutalité coloniale, largement autorisée par l’Occident, les Palestiniens n’ont rien abandonné ; nous continuons à résister à l’oppression et à affirmer notre quête d’émancipation, d’autodétermination et d’égalité des droits pour tous les humains.

C’est précisément pourquoi Israël a alloué des ressources humaines, politiques et financières massives dans sa guerre désespérée contre le mouvement mondial de Boycott, Désinvestissement et Sanctions (BDS) dirigé par les Palestiniens pour les droits des Palestiniens, car le mouvement BDS offre une forme de résistance non-violente profondément ancrée, antiraciste, intersectionnelle, contemporaine et contextuelle particulièrement puissante et pleine d’espoir.

Lancé en 2005 par la plus large coalition de la société civile palestinienne, BDS est devenu un élément clé de la résistance populaire palestinienne et la forme la plus efficace de solidarité internationale avec la lutte du peuple de Palestine pour la liberté, la justice et l’égalité. Il appelle à la fin de l’occupation israélienne de 1967, à la fin de son système institutionnalisé de discrimination raciale, qui répond à la définition de l’apartheid de l’ONU, et au maintien du droit des réfugiés palestiniens à retourner dans les maisons et les terres dont ils ont été déracinés et dépossédés en masse depuis le nettoyage ethnique de 1948, ou Nakba. Aujourd’hui, Human Rights Watch et la plus importante organisation de défense des droits humains d’Israël, B’Tselem, reconnaissent Israël comme un État d’apartheid.

Ces trois droits fondamentaux correspondent aux trois composantes principales du peuple palestinien : de la bande de Gaza et de Cisjordanie, y compris Jérusalem-Est (environ 38 % du peuple palestinien, selon les statistiques de 2016) ; les citoyens palestiniens d’Israël (12 %) et en exil (50 %). Plus des deux tiers des Palestiniens sont des réfugiés ou des personnes déplacées à l’intérieur du pays.

Bien que lancé seulement en 2005, le mouvement est profondément enraciné dans les décennies de résistance populaire non violente palestinienne au colonialisme de peuplement et s’inspire du mouvement anti-apartheid sud-africain, du mouvement des droits civiques américain et, dans une certaine mesure, des luttes anticoloniales indienne et irlandaise.

Ancré dans la Déclaration universelle des droits de l’homme, le mouvement BDS, nominé pour le prix Nobel de la Paix, s’est constamment et catégoriquement opposé à toutes les formes de racisme et de discrimination, y compris le racisme anti-noir, le sexisme, l’homophobie, l’islamophobie et l’antisémitisme. L’identité d’une personne, soutient le mouvement, ne devrait jamais diminuer ou restreindre son droit à des droits. BDS vise la complicité, et non l’identité.

Cette inclusivité de principe et cet engagement à s’opposer au racisme sous toutes ses formes sont parmi les facteurs clés qui ont permis à BDS d’établir et de nourrir des liens de solidarité mutuelle avec des mouvements défendant les droits des réfugiés, des immigrants, des Noirs, des femmes, des travailleurs, des nations autochtones, des communautés LGBTQI, des minorités ethniques et religieuses, etc. Un nombre croissant de juifs israéliens anticoloniaux qui soutiennent BDS jouent un rôle important dans la dénonciation du régime d’oppression d’Israël et plaident pour son isolement.

BDS soutient que la solidarité avec les opprimés, à son niveau le plus fondamental, implique de travailler pour couper les liens de complicité avec l’oppresseur, ou tout au moins, pour ne pas nuire.

Identifier la responsabilité et insister sur la responsabilité sont les phases les plus cruciales de la solidarité. Lorsque les Palestiniens appellent au boycott d’une institution ou au désinvestissement d’une entreprise multinationale impliquée dans les violations par Israël de nos droits humains, nous appelons à ce que le révérend Martin Luther King, Jr. a formulé, dans son dernier discours en 1968 : « ne pas coopérer avec un système maléfique ». Agir ainsi n’est guère charitable, encore moins héroïque. C’est une obligation morale profonde.

Cela implique de couper les liens de complicité avec le régime d’occupation, le colonialisme de peuplement et l’apartheid d’Israël dans les domaines académique, culturel, sportif, économique, financier, militaire et finalement diplomatique.

Mais pourquoi une personne moyenne en Occident aujourd’hui devrait-elle se sentir solidaire de la lutte palestinienne pour les droits à une époque de néolibéralisme croissant, de chômage, de pauvreté, de racisme, de répression et de détérioration des soins de santé, de l’éducation et des infrastructures ?

Une réponse qui met l’accent sur la dimension responsabilité de la solidarité est fournie par l’ancien leader sud-africain anti-apartheid, l’archevêque Desmond Tutu : « Si vous adoptez la neutralité dans les situations d’injustice, vous choisissez le camp de l’oppresseur ». Si vous êtes citoyen d’une société relativement démocratique, comme le Royaume-Uni, qui est profondément complice des crimes de guerre israéliens contre les Palestiniens, les massacres au Yémen des Saoudiens et Émiratis, du nettoyage ethnique au Myanmar ou d’autres violations graves des droits humains, votre « neutralité » équivaut à accepter votre complicité et, de fait, à vous ranger du côté de l’oppresseur. Votre solidarité, même basique en vue de couper les liens criminels de votre État, ainsi que des entreprises ou des institutions qui y sont basées, devient un devoir moral.

Une réponse différente, suggérée par une déclaration de 2015 de plus de 1 000 intellectuels, artistes, militants et féministes noirs aux États-Unis, évoque la dimension intersectionnelle de la solidarité, soulignant les liens organiques de l’oppression et de la résistance :

[N]ous déclarons notre engagement à travailler par des moyens culturels, économiques et politiques à assurer la libération de la Palestine en même temps que nous travaillons à la nôtre. … [N]ous visons à peaufiner notre pratique de lutte commune contre le capitalisme, le colonialisme, l’impérialisme et les divers racismes ancrés dans, et autour de nos sociétés.

À un niveau supérieur de solidarité, au-delà de la responsabilité envers l’autre opprimé, le terrain commun de résistance à l’oppression mondialisée est ainsi reconnu et nourri.

La principale contribution du mouvement BDS à la libération palestinienne est son rôle non seulement dans l’unification des Palestiniens, malgré les multiples phases de fragmentation sioniste-colonialiste, mais aussi dans la décolonisation des esprits palestiniens contre le sentiment d’une impuissance profondément ancrée, et pour une praxis radicale d’une résistance mondialisée, intersectionnelle, de transformation et d’émancipation.

Aujourd’hui, plus que jamais, les Palestiniens disent au monde que la vraie solidarité avec notre lutte pour la liberté, la justice et l’égalité s’épelle BDS. Nous brisons chaque jour notre mur de la peur et nous n’avons pas seulement besoin d’un peu plus de courage de la part des révolutionnaires et des personnes de conscience du monde entier. Nous avons besoin d’un dévouement significatif de leurs forces, comme le dit Frantz Fanon, «  pour que plus jamais il n’y ait, sur la terre, de peuples asservis « .

 

Omar Barghouti – Traduit par Françoise Vergès

Édito #37 – Kanaky, le colonialisme qui ne veut pas finir

Sans surprise, le référendum du 12 décembre sur l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie a donné une écrasante majorité de 96% au camp du colonialisme : sans surprise, puisque le peuple colonisé a été écarté d’une consultation qui doit décider de son sort. Le chiffre important est donc celui de l’abstention : 56% (et à noter que le vote Non recule de 6000 voix par rapport à 2020). L’ensemble des mouvements indépendantistes avait appelé à ne pas participer à ce scrutin en raison d’une double forfaiture de l’État colonial : d’une part le manquement à la parole donnée d’organiser le scrutin après les présidentielles françaises, et d’autre part le mépris des coutumes que les Kanak doivent rendre aux familles des disparus de la pandémie (près de trois cents, pour l’essentiel des Kanak). Cette dernière offense, la plus cruelle, représente la manifestation la plus patente du fait colonial : tenir le peuple colonisé dans un état de sous-humanité.

Tout au long de la campagne électorale, le camp de « la civilisation » a ressassé son vœu le plus cher avec une formule élégante : une victoire écrasante du Non permettrait de « purger l’indépendance ». Le ministre des Colonies, Sébastien Lecornu, chante le même air lorsqu’il souhaite que le 13 décembre au matin s’ouvre une page blanche en Nouvelle-Calédonie, pour en finir avec la logique binaire et le statu quo.

Et surtout, Macron persiste et signe quand, lors de son allocution commentant les résultats hier, il se réjouit que « la période de transition qui s’ouvre soit libérée de la logique binaire du oui et du non ».

L’affaire du référendum du 12 décembre prend ainsi tout son sens : il s’agit bien d’un coup de force destiné à mettre fin au long processus de décolonisation ouvert par les accords de Nouméa de 1998 après les luttes héroïques des années 80, dont nous saluons ici les martyrs. L’indépendance de la Kanaky était alors stipulée comme un avenir désormais indiscutable. Avec les accords de 98, l’État français reconnaît explicitement que la Nouvelle-Calédonie est engagée dans un processus qui conduira à sa « complète émancipation » : et le caractère irréversible de cet objectif a été constitutionnellement garanti, quels que soient les résultats des divers scrutins.

En affirmant que la Nouvelle-Calédonie restera française, Macron s’assoit donc sur les accords de Nouméa comme il s’assoit sur la Constitution française, rêvant d’un retour en arrière qu’il voudrait définitif pour effacer comme par magie la réalité coloniale. Ce déni n’a aucune chance de réussir. Il n’y a pas de page blanche, ni avant ni après le 12 décembre.

Avant, c’est-à-dire depuis 1853 où la France impériale a planté ses griffes sur l’archipel, c’est la destruction de la civilisation kanak, le vol des terres avec massacres et déportations de masse, c’est une population abandonnée sans soin et sans vivres dans les zones où elle a été confinée, c’est le peuple kanak menacé de disparition, laissant le champ libre à l’odieuse politique de peuplement colonial cyniquement baptisée « planter du blanc ».

Il faut avoir totalement oublié ce passé pour affirmer que « la France serait moins belle sans la Nouvelle-Calédonie » (Macron, 18 juillet 2021 et hier encore le 13 décembre) ou pour demander aux Kanak qu’ils remercient Paris de leur avoir gracieusement offert le vaccin Pfizer ! Un tel concentré cynique et méprisant de deux siècles de colonialisme soulève le cœur.

Pourtant en un sens, l’État français n’oublie pas : non, il n’oublie pas son passé colonial criminel, il le prolonge. C’est ce qu’il a fait en entravant depuis trente ans par tous les moyens le processus de décolonisation issu des accords de Nouméa.

Malgré les obstacles qu’il n’a cessé de dresser, l’État français voyait sa domination s’effriter. La dernière consultation donnait à peine 10 000 voix d’avance au camp « loyaliste ». Les indépendantistes ont conquis des positions importantes dans les institutions (la présidence du gouvernement, du Congrès, et celle de deux Provinces sur trois). Le gouvernement français veut en finir (mais comment ?) avec ces avancées, qu’il perçoit comme autant de menaces pour la survie de sa domination coloniale.

Car la Nouvelle-Calédonie reste administrée comme une colonie, dans laquelle l’État français maîtrise l’économie, la monnaie, l’éducation. Le commerce et la distribution, les mines, les transports, la banque et les assurances, l’agroalimentaire, l’immobilier, les médias sont contrôlés par les grandes familles des colons, ou par des groupes financiers français et parfois étrangers, empêchant les Kanak d’accéder normalement à l’emploi, à la santé, à l’éducation, ainsi qu’aux biens de nécessités courantes en raison de prix artificiellement élevés (que seuls peuvent supporter les « métros » avec leur prime spéciale « vie chère »).

À cela s’ajoutent les prétentions aussi présomptueuses que dangereuses d’un État français qui veut jouer son rôle dans la stratégie indopacifique belliqueuse des USA.

Mais après, il n’y a pas davantage de page blanche. Après, c’est soit l’indépendance (et cela est inéluctable), soit la guerre et le racisme.

De ce point de vue, les signaux envoyés aux Kanak et à leurs alliés calédoniens et océaniens sont on ne peut plus clairs. Patrice Faure, le nouveau Haut-Commissaire nommé en mai 2021, est un militaire qui fit carrière dans les « forces spéciales » (vous savez, ces commandos spécialisés dans les « opérations extérieures » et la « guerre non conventionnelle »), puis à la DGSE. Fin octobre, pour « sécuriser le scrutin », sont expédiés dans l’archipel 1100 gendarmes mobiles, 250 militaires et une centaine de membres du GIGN, qui viennent s’ajouter aux 1500 militaires en poste permanent (soit 3000 militaires pour 180 000 électeurs !).

Mais disons-le fortement, sans préjuger ici de la position que prendra le mouvement indépendantiste que nous soutiendrons jusqu’à la victoire : le coup de force du 12 montre qu’au fond la question de l’indépendance ne dépend pas d’un scrutin. L’État français est dans une impasse, il a créé une situation où seuls les partisans du Non discuteront avec les partisans du Non, les colons avec les colons. Macron n’a rien su dire d’autre dimanche ! L’ampleur de l’abstention a montré qu’il s’agissait d’une véritable expression, d’une véritable mobilisation du peuple kanak, uni plus que jamais dans le mouvement indépendantiste. Jamais ce peuple ne sera effacé de l’histoire, comme le rêvent Macron, Castex, Lecornu et tous les colons. Face au déni et à l’esprit borné des colonialistes, qui n’apprennent jamais rien, l’intelligence politique des Kanak saura se déployer pour prolonger le chemin de la décolonisation. Les forces progressistes françaises sauront-elles s’en inspirer et comprendre enfin combien il est crucial de placer l’anticolonialisme et l’anti-impérialisme au cœur de la stratégie révolutionnaire ?

Nous ne sommes pas binaires, il n’y a pas un « ici » et un « là-bas », un « ici » dans la paix et la démocratie, et un « là-bas » dans la guerre, le racisme et le colonialisme. Il existe ici et là-bas un État colonial et raciste, contre lequel il faut lutter. C’est pourquoi notre propre émancipation dépend de l’émancipation du peuple kanak comme de celle des peuples colonisés des Antilles, de la Guyane, de la Réunion et de l’Océanie. Car, faut-il le répéter : un peuple qui en opprime un autre ne saurait être libre.

 

 

Saad Abssi, la dignité faite homme, nous a quittés

Saad Abssi, Allah yarhamou, la dignité faite homme, le militant de tous les combats, nous a quittés. Qu’Allah l’accueille en sa vaste demeure.

Chères soeurs, frères, amies et amis, camarades, connaissances et simples passants chapeau bas, je vous prie, c’est d’un homme de cœur dont il s’agit.

Nous venons d’apprendre que le grand militant Saad Abssi, qui pour beaucoup incarnait, « l’homme politique, au sens noble du terme » (selon son ami le prêtre Michel Jondot), mais aussi « l’homme aux mille combats » (selon nos frères tunisiens de la FTCR), l’une des personnalités de l’immigration, les plus appréciées, pour son courage et son intégrité a rejoint notre créateur qu’il aimait et servait avec ferveur. Autant sensible au combat contre la domination impérialiste que contre l’exploitation capitaliste ou pour la démocratie en général, celui qui en France incarnait le combat pour la justice de tous les opprimés, le frère du peuple palestinien et de tous les peuples d’Afrique et du tiers-monde en général, mais aussi le musulman fidèle et l’homme de la fraternité islamo- chrétienne laisse une place béante dans nos cœurs et notre vie politique.

Les mots me manquent pour dire à quel point il comptait pour nous et combien nous l’aimions. Mais aussi pour dire combien nous regrettons tellement de n’avoir pu le voir une dernière fois en raison de son état de santé très précaire.

Qu’on nous permette de retracer son exceptionnel parcours, il en vaut la peine.

Saâd Abssi, est né dans le sud-est saharien algérien en 1928 à Kouinine (oasis d’El Oued/Oued Souf ) dans une famille pieuse de paysans et ouvriers agricoles. Jeune, il fréquente un peu l’école primaire mais assidument l’école coranique. Devenu orphelin assez jeune, il travaille avec ses oncles à la palmeraie. Il adhère au début des années 50 au MTLD-PPA de Messali Hadj (Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques en Algérie-Parti du peuple algérien). Arrêté d’abord en 1954 juste après les attentats du 1er novembre, il est incarcéré 15 jours puis à nouveau en septembre 1955 pour un an et demi dans le Sud de l’Algérie. Peine de prison dont, non sans humour, il nous dira qu’il était redevable à la France, puisque celle-ci permit à lui, paysan quasi illettré, de poursuivre son apprentissage de l’écriture et de la lecture française, le fameux « butin de guerre » de Yacine Kateb. Expulsé de son Oued Souf natal vers la métropole en 1957, il débarque en Banlieue nord-ouest, Gennevilliers où le FLN lui donne une charge de direction. D’abord hébergé par la Mission de France, établissement catholique, il découvre le dialogue islamo-chrétien grâce aux prêtres ouvriers qui l’accueillent et avec lesquels il demeurera toujours lié. Là, Saâd Abssi organise la lutte clandestine sur toute la région parisienne et la « solidarité envers les familles de militants tués ou emprisonnés ». Arrêté le 23 mars 1961, il apprendra le massacre du 17 octobre 1961 depuis sa cellule. Maintenu en captivité jusqu’à l’indépendance, il devient membre de l’Assemblée nationale populaire algérienne en 1962 et préside l’Amicale des travailleurs algériens en Europe. Refusant le coup d’Etat du colonel Boumediene contre Ben Bella en 1965, il passe dans l’opposition clandestine en Algérie au sein de l’Organisation de la Résistance Populaire, l’ORP. Celle-ci rassemble des communistes, des syndicalistes et autres marxistes dénoncés comme « ben bellistes » par le pouvoir. Il est ensuite contraint de nouveau à l’exil en France. Installé avec sa famille de nouveau à Gennevilliers au début des années 1970, il est un de ceux qui avec le martyr Mohamed Boudia (Allah yarhamou) assassiné par le Mossad mettent en place les réseaux algériens de soutien à la Résistance palestinienne. Il s’investit dans le champ du militantisme social en participant en 1977 à la création de la Maison des travailleurs immigrés de Puteaux et aussi à celle du festival des travailleurs immigrés (auquel d’ailleurs j’avais l’honneur de participer chaque année). En 1984, il est un des fondateurs en France du MDA, Mouvement pour la démocratie de l’Algérie, parti d’opposition créé par Ben Bella. C’est alors qu’en 1988, ses activités de « Ben Belliste  » inquiétant Alger, sur ordre du ministre de l’intérieur Charles Pasqua, il manque de se faire expulser vers l’Algérie. Ce qui sera évité grâce à une remarquable mobilisation politique et surtout syndicale en sa faveur. Rappelons qu’à ce moment, il est également délégué syndical de la Fnac, son lieu de travail. Après les événements de 1988 en Algérie et leur féroce répression, il se consacre désormais au mouvement associatif local, à la présidence de Solidarité algérienne en Europe, au dialogue islamo-chrétien et à la solidarité internationale.

C’est ainsi qu’on le voit à la fondation de nombreux groupes militants et associations « Solidarité algérienne », « Approches 92 », « Mes-Tissages » jusqu’à la Maison islamo-chrétienne, cette structure qui permet d’approfondir, dans l’action, des relations toujours plus fraternelles entre chrétiens et musulmans. Personnellement, c’est au mi-temps des années 90, en 1995, que je le rencontre, lors de la réunion préparatoire de création du MIB (Mouvement de l’immigration et des banlieues) à la bourse du travail de Saint Denis où il apporte à cette nouvelle entreprise son expérience enthousiaste et son éloquence de tribun naturel.

Nous, fondateurs du PIR, nous savons aussi combien nous lui sommes redevables. Nous avons une dette envers lui. Nous n’oublierons jamais qu’en 2005, au moment de notre fondation c’est une des rares personnalités d’envergure qui, alors que beaucoup craignent de nous fréquenter (ce qui d’ailleurs n’a pas beaucoup changé) répond présent sans hésitation à notre demande de soutien. Il accompagne les premiers pas du mouvement des Indigènes de la République et nous pouvons dire que le récit de son expérience magnifique, son éloquence prenante et son courage sont pour nous d’un apport moral considérable. C’est ainsi qu’il participe avec enthousiasme à notre première et historique marche des indigènes de la République le 8 mai 2005 au cours de laquelle la place de la gare de l’Est à Paris sera rebaptisée par nos soins place des massacres du 8 mai 1945. Puisque symboliquement nous avions choisi cette date pour notre naissance, une date qui évidemment lui tenait aussi à cœur. A cette occasion il prendra la parole avec son éloquence et son franc parler coutumiers (photo en illustration de cet article).

C’est ainsi que nous l’avons connu, attiré par les thèses marxistes sans jamais y adhérer, musulman pieux mais passionné de fraternité islamo chrétienne. Sa ville d’adoption, Gennevilliers, ne s’y est pas trompée puisqu’elle a décidé d’honorer cet homme de dialogue et citoyen au plein sens du terme, en nommant le futur centre social et culturel des Agnettes, « Centre Saad Abssi ».

Je me souviens encore de son bel accent du sud et de la façon unique dont il roulait les r, ce qui vous donnait instantanément l’envie de prendre un vol pour Alger.

Merci cher Saad Abssi de nous avoir appris à marcher droit.

 

Youssef Boussoumah

 

https://maitron.fr/spip.php?article149955

 

Afghanistan : la guerre silencieuse

Fin aout, les images du départ précipité des forces occidentales d’Afghanistan ont stupéfait le monde. La plus longue guerre menée par les Etats-Unis de leur histoire se soldait par une cuisante débâcle. Vingt ans après avoir été chassés du pouvoir, les talibans marchaient de nouveau sur Kaboul. Depuis, plus rien ou presque. L’Afghanistan a disparu des radars médiatiques. Seules quelques images choc d’un attentat aiguisent encore les appétits morbides et sensationnalistes d’une large partie de la presse.

Pourtant, la guerre est loin d’avoir pris fin. Certes, les armes se sont tues. Les soldats étrangers ont quitté le pays, les bases militaires ont été désertées. Mais la nouvelle guerre qui se déploie est plus silencieuse, souterraine, presque invisible à l’œil nu. Moins spectaculaire, elle n’en est pas moins tragiquement ravageuse. C’est une guerre qui se déroule à huis clos, à l’abri des condamnations de la « communauté internationale ».

Transformation de la puissance

S’inscrivant dans une transformation de la puissance, les pratiques impérialistes adoptent désormais des formes et des modalités nouvelles. Dans le domaine militaire, l’utilisation massive de drones inaugure une nouvelle ère dans la manière de faire la guerre. Les occupations militaires, souvent longues, excessivement coûteuses et aux résultats très incertains sont de moins en moins plébiscitées. Preuve en est, entre 2010 et 2020, les Etats-Unis ont effectué plus de 14 000 frappes par drones, tuant entre 8800 et 17 000 personnes, dont 910 à 2200 civils (1).

Parallèlement, les sanctions économiques et financières apparaissent comme une arme de destruction massive, visant à asphyxier des régimes ennemis. Embargo, gel des avoirs, blocage de fonds, suspensions des aides internationales… Autant d’instruments dont disposent les grandes puissances, et qu’elles n’hésitent pas à utiliser quand bon leur semble. Néanmoins, ces pratiques sont particulièrement prisées à l’encontre d’Etat faibles, aux ressources et à la puissance limitées. C’est le cas de l’Afghanistan.

En effet, voilà plus de quatre mois que les Etats-Unis et l’Union Européenne imposent arbitrairement des sanctions au nouveau gouvernement en place à Kaboul. Washington a gelé les avoirs d’une valeur de 8,5 milliards d’euros de dollars de Da Afghanistan Bank, la banque centrale du pays. De leur côté, les européens ont retiré 1,2 milliards d’euros destiné à l’aide d’urgence et au développement pour la période 2021-2025. Enfin, le Fonds Monétaire International bloque l’accès de 410 millions d’euros de fonds. Ces sommes cumulées représentent ni plus ni moins que la moitié du PIB afghan en 2021, estimé à près de 20 milliards de dollars. Résultat : le pays est exsangue et traverse la « pire crise humanitaire sur terre », selon les mots du directeur du Programme Alimentaire Mondial (2). Alors bien sûr, les problèmes qui frappent aujourd’hui l’Afghanistan ne sont pas réductibles aux sanctions. Mais force est de constater qu’elles aggravent considérablement la situation.

Toujours selon le PAM, 22,8 millions d’afghans, soit plus de la moitié de la population, est confrontée à une insécurité alimentaire aiguë. Parmi eux, 3,2 millions d’enfants souffriront de malnutrition aigüe d’ici la fin de l’année, tandis qu’un million risquent d’en mourir si rien n’est fait.

La sécheresse dont souffre le pays revêt une dimension d’autant plus dramatique que nombre d’aides internationales destinées à l’agriculture – notamment celle de l’UE – ont été suspendues.

Sans ressources, les nouvelles autorités afghanes se retrouvent dans l’incapacité de verser leurs salaires à plus de 1,2 millions d’employés, alors que les fonctionnaires n’ont pas été payés depuis des mois. Conséquences, le chômage et la misère flambent. Selon le Programme des Nations Unies pour le Développement, le taux de pauvreté pourrait atteindre 97% des Afghans en 2022.

Ces sanctions, criminelles par les conséquences qu’elles infligent à la population, s’apparentent à un véritable droit de vie ou de mort, que s’octroient les grandes puissances occidentales. Elles sont la continuation de la guerre impérialiste par d’autres moyens.

Le précédent irakien et le cas vénézuélien

Les sanctions imposées au peuple afghan et les conséquences qui en découlent renvoient à l’embargo criminel imposé en son temps à l’Irak de Saddam Hussein. A l’époque, de nombreux produits alimentaires et pharmaceutiques ne pouvaient plus entrer dans le pays, conduisant à la mort plus de 500 000 enfants (3). Madeleine Albright, alors ambassadrice des Etats-Unis auprès des Nations unies et future secrétaire d’Etat de Bill Clinton aura ces mots glaçants : « Je crois que c’était un choix très difficile, mais le prix… Nous pensons que le prix en valait la peine » (4).

Peut-être entendra-t-on dans quelques années que la mort d’enfants afghans aussi, en valait la peine ?

De même, le Venezuela est la cible, depuis plus de vingt ans, d’un impérialisme acharné. Là-bas aussi, les sanctions pleuvent. Toutes les transactions visant à financer le Venezuela (prêts, crédits…) sont bloquées. Idem pour les actifs financiers de nombreuses entreprises comme CITGO (filiale états-unienne de PDVSA, l’entreprise pétrolière nationale), bloqués eux aussi. Les réserves internationales de la Banque Centrale du Venezuela, soit plus de 4 milliards de dollars ont été confisquées par nombre de banques internationales, comme la Banque d’Angleterre ou la City Bank (5).

Ces sanctions ont des répercussions concrètes sur la vie quotidienne des Vénézuéliens. Très dépendants des importations, les sanctions états-uniennes empêchent le pays de se fournir en médicaments et en nourriture. Quatre millions de personnes souffrant de diabète et d’hyper-tension font face aux pénuries d’insuline. Même des entreprises maritimes qui transportaient des aliments au Venezuela, ont été sanctionnées en 2019.

Au nom des droits de l’homme

Fidèles à elles-mêmes, les chancelleries occidentales dégainent leur argument favori pour justifier pareilles mesures : le respect des droits de l’homme. L’émissaire spécial pour l’Afghanistan, Thomas West, a ainsi réitéré la doctrine selon laquelle la levée des sanctions se « mérite » et est conditionnée entre autres, au « respect des droits des minorités, des femmes et des filles » et à la mise en place d’un gouvernement « inclusif ». (6)

Ces déclarations, mélange de chantage et de cynisme, posent question. La première : quoi de plus paradoxal que de brandir les droits de l’homme, tout en imposant des sanctions qui plongent des millions d’hommes, de femmes et d’enfants dans la faim ? Le droit à l’existence, à la vie, n’est-il pas le premier des droits de l’homme ? Les Etats-Unis sont-ils bien placés pour les invoquer, eux qui ont ravagé l’Afghanistan ces vingt dernières années et pratiqué torture, enlèvements, exécutions extra-judiciaires, bombardement de civils ? Et puis, comment faire la leçon à certains, dans ce cas aux talibans, quand on soutient et finance des régimes criminels en Arabie Saoudite ou en Colombie ?

Enfin, la figure de la femme afghane opprimée, à qui l’Occident se doit de porter secours, a de nouveau le vent en poupe. En France, la maire de Paris, Anne Hidalgo, en a fait son cheval de bataille. Elle qui affirmait dans une tribune du Monde le 15 novembre, que « comme souvent avec l’Afghanistan, c’est Bernard-Henri Lévy qui m’a alertée » (7), a organisé avec le magazine Elle une exposition sur les Champs-Elysées en hommage aux femmes afghanes, « victimes » des talibans (8). Mais qu’en est-il de la condamnation des sanctions occidentales qui plongent des millions de femmes dans le désespoir ? Elles, qui ne peuvent plus correctement allaiter par manque de nourriture. Elles, qui doivent regarder leurs enfants mourir de faim. Elles encore, qui en arrivent à vendre leur bébé, pour sauver les autres membres de la famille. De tout cela, la plupart des féministes blanches ne parlent pas. Il est vrai qu’en tant qu’alliées de l’impérialisme, leur silence est tout sauf une surprise.

Choc en retour”

A la suite des attentats du 11 septembre, le président Bush avait posé une question pleine de bon sens : « Pourquoi nous détestent-ils ? ». Pour lui, la réponse était toute trouvée : « Ils détestent notre liberté ». D’un côté donc, la liberté, la démocratie, le droit des femmes, la civilisation en somme. De l’autre, la tyrannie, la terreur, la barbarie. Une vision manichéenne, binaire, redoutable lorsqu’il s’agit de justifier la « guerre contre le terrorisme. »

Car n’en déplaise aux impérialistes humanitaires qui, en août, criaient leur amour et leur solidarité pour le peuple afghan et l’observent désormais mourir sans broncher, la haine que certains dans le Sud éprouvent pour l’Occident plonge ses racines dans les dévastations qu’il produit. On ne peut répandre le chaos et la désolation innocemment.  Tôt ou tard, les crimes que l’on commet, comme aujourd’hui en Afghanistan, reviennent tel un boomerang, ou comme prévenait déjà Césaire en 1950 (9), “un choc en retour”.

 

Tarik Yaquis

 

Notes :

  1. « Drone Warfare » The Bureau of Investigative Journalism, Londres.
  2. « La moitié de la population en Afghanistan face à une faim aigue alors que les besoins humanitaires augmentent pour atteindre des niveaux records » Programme Alimentaire Mondial, 25 octobre 2021
  3. « Rapport sur la nutrition et l’alimentation en Irak », Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), Rome, 1995. En 1999, une nouvelle étude du Fonds des Nations unies pour l’enfance (Unicef) confirmera ces chiffres.
  4. « 60 Minutes », CBS, 12 mai 1996.
  5. « Como perjudica el bloqueo de Estados Unidos a Venezuela ? Una mirada realista ». Telesur, 19 juin 2019.
  6. Thomas West, twitter, 19 novembre 2021.
  7. Anne Hidalgo, « L’esprit de Massoud ne doit pas disparaître », Le Monde, 16 août 2021.
  8. Anne Hidalgo, Twitter, 15 novembre 2021
  9. Aimé Césaire, Discours sur le colonialisme, 1950

Édito #36 – Il y a un seul monde (et la vie des migrants compte)

Mercredi 24 novembre 2021, près de Calais, un pêcheur a signalé que des corps flottaient, morts, dans la Manche. Ce jour-là, peu après l’abominable séquence où l’UE, à l’unisson du gouvernement d’extrême-droite polonais, et la Biélorussie ont joué avec la vie de migrants abandonnés à eux-mêmes dans des forêts glaciales avant d’être renvoyés dans leurs pays respectifs, 27 personnes (hommes, femmes et enfants) trouvaient la mort dans la mer froide entre la France et la Grande-Bretagne. Dans un article éprouvant à lire mais nécessaire en mémoire de ces morts, Mediapart rapporte le témoignage d’un survivant : Le moteur du bateau finit par s’arrêter, décrit-il. Le pneumatique se dégonfle, puis coule. Ramenés par les courants vers les eaux françaises, les naufragés à la dérive se tiennent par les mains dans une mer glaciale. Avant de sombrer les uns après les autres. « Nous sommes morts là-bas et ils ne sont pas venus nous aider », accuse Mohammed Shekha, bouleversé.

Devant l’effroyable, en effet, les gouvernements français et britannique n’ont versé que des larmes de crocodile mais n’ont prononcé aucun mea culpa ni excuses pour une situation et des noyades, anciennes déjà, que l’UE, la France et la Grande-Bretagne engendrent par leurs politiques. Pis, comme le relève une militante du Secours catholique, « les dernières annonces renforcent la létalité des frontières ».

De fait, la communication du gouvernement français n’a consisté qu’à minorer la responsabilité de la République dans cette situation et à dissimuler son abjection politique vis-à-vis de migrants perçus par le consensus républicain comme une menace. Ainsi Macron évoquait-il déjà, en août 2021 après le retrait US d’Afghanistan, la possibilité d’une « vague migratoire » tandis que l’extrême-droite parle, elle, de « déferlement » ou « tsunami ».

Les discours de Macron ou de Darmanin à la suite du naufrage meurtrier d’un bateau gonflable au large de Calais n’ont rien remis en cause d’une politique anti-migrants qui s’inscrit dans la panoplie d’un racisme d’Etat qui non seulement est immonde mais en plus fait la fortune électorale de l’extrême-droite. Macron parlait dès juin 2017 avec mépris des « Kwassa kwassa », frêles esquifs utilisés par les Comoriens, à propos de Mayotte. Il a fait voter avec Gérard Collomb à l’intérieur une loi « Asile » où le mot asile est orwellien, le ministre d’alors étant obsédé par le grand remplacement et la guerre civile comme de nombreux fascistes. Plus récemment, il y a eu la loi « Séparatisme » avec la dissolution d’associations musulmanes ou de défense des musulmans comme le CCIF.

La politique gouvernementale française est de longtemps raciste. Le consensus est islamophobe mais aussi négrophobe, rromophobe, etc. La pandémie de Covid a même vu apparaître une sinophobie, pour l’instant limitée.

Dès lors, face à l’horreur que constitue la tragédie du 24 novembre, le pouvoir a dénoncé les passeurs qui seraient responsables de la mort de 27 personnes. Le passeur n’est sans doute pas une figure sympathique mais dans le drame qui non seulement nous saisit d’effroi mais dont on sait qu’il se reproduira, il n’est qu’un lampiste. Si passeur il y a, c’est parce que la difficulté pour des hommes, des femmes et des enfants à passer, précisément, en France ou en Grande-Bretagne, est telle qu’il faut bien s’adjoindre les services de quelqu’un. Les marchands de sommeil n’existent que parce que l’État n’a que faire des logements insalubres pour les pauvres gens, singulièrement de provenance étrangère ; les passeurs n’existent que parce que la République française n’a que la police et la répression à envoyer contre des migrants par ailleurs présentés comme une menace.

Quand le bateau Saint-Louis qui transportait en 1939 plusieurs centaines de juifs fuyant l’Allemagne nazie a été refoulé par les États-Unis sans que ses passagers pussent en descendre et fuir l’hitlérisme, fallait-il accuser le bateau ?

Au sujet des passeurs, la situation est comparable. Sans soutenir la thèse contestable du refus des frontières, on peut affirmer que la France a le devoir d’accueillir sur son sol celles et ceux qui en font la demande. La thèse No Border a ses limites en ceci qu’elle est parfaitement compatible avec l’impérialisme via la négation des souverainetés nationales qui justifie au nom du droit d’ingérence les interventions et la destruction de l’Iraq par exemple. Il n’empêche qu’avec ses différences et ses civilisations multiples, il y a un seul monde dans lequel chaque état, pour ce qui lui incombe, est comptable de l’humanité et de ses individus.

Le discours abject de Macron au mois d’août dernier après le retrait US d’Afghanistan est ainsi révélateur. Non seulement l’impérialisme a généré un chaos qui jette des gens sur les routes et sur les mers mais en plus, lorsque ces gens qui ont tout perdu, dont on a détruit le pays, viennent pour tenter de sauver ce qui peut l’être de la destruction, on leur oppose mur(s), police, lacérations de tentes et autres humiliations.

Le discours sur les passeurs et autres aspects techniques de la question « migratoire » masque ce point qui est le seul à considérer. Qu’il y ait un seul monde signifie qu’on est comptable du sort de l’humanité générique, même en France. Défendre le droit des migrants à s’installer dans ce pays n’est pas une question de No Border mais relève précisément d’une approche émancipatrice de la question nationale. Un pays prétendu démocratique ne ferme pas les portes aux damnés de la terre. C’est une question de justice et d’idée que l’on se fait du pays dans lequel on vit. En cela, le Pape François a raison lorsqu’il dit qu’on doit accueillir les migrants en cessant de les assimiler à des « terroristes ».

C’est donc la République française, pour ce qui nous concerne ici, qui est responsable des morts du 24 novembre dernier et d’autres encore, passés mais sans doute, hélas, aussi à venir. Dans ces drames épouvantables, les passeurs n’ont qu’un rôle subalterne. La volonté gouvernementale de durcir un arsenal législatif déjà féroce pour empêcher les migrants d’approcher nos frontières ne témoigne que de l’ensauvagement (comme l’écrit Aimé Césaire dans son Discours sur le colonialisme) de nos dirigeants et de l’opinion moyenne française.

Affirmer ce point, c’est se prononcer contre notre propre impérialisme qui, s’il n’a pas participé à la guerre en Iraq de 2003, a fait hélas largement l’équivalent. Sous Mitterrand, l’industrie de l’armement a fait des bénéfices faramineux sur l’épouvantable guerre Iran-Iraq déclenchée par Saddam Hussein ; sous le même président, la France a participé à la guerre de 1991. Depuis, Hollande est allé s’excuser en 2006 auprès de l’ambassadeur US à Paris pour la non-participation de la France à la guerre de 2003 et il était prêt à bombarder la Syrie pendant son mandat tout en nommant ambassadeur en France un membre des rebelles. Tout cela ne peut faire oublier non plus ce qui est peut-être le plus grave dans les 15 dernières années : l’intervention en Libye de Sarkozy et BHL qui a ajouté au chaos du monde.

Il ne s’agit pas d’avaliser ces interventions en réclamant justice pour les exilés de ces pays qui frappent à nos portes. Il s’agit précisément de combattre l’impérialisme, à commencer par le nôtre.

 

Édito #35 – Pourquoi la « jurisprudence Dieudonné » n’est-elle pas appliquée à Zemmour ?

Par deux fois ces derniers jours, certaines villes européennes se sont distinguées sur la scène médiatique en raison de ce qui, depuis la France, s’apparente à un haut fait d’armes : avoir interdit de salle Éric Zemmour.

Londres, tout d’abord. Le polémiste d’extrême-droite devait discourir le 19 novembre dernier à la Royal Institution of Great Britain devant 300 sympathisants. Le maire de la ville, Sadiq Khan, s’y opposa frontalement en déclarant que « Toute personne voulant (…) inciter à la haine contre des personnes en raison de leur couleur de peau ou de leur croyance n’est pas la bienvenue »[1]. L’annulation de la réservation contraignit le polémiste à discourir dans la salle… d’un hôtel Ibis.

Genève, ensuite. Alors qu’Éric Zemmour devait donner une conférence le 24 novembre dans le parc des Eaux-Vives, propriété de la ville, au bord du lac Léman, l’édile de la ville suisse, Frédérique Perlier, a indiqué que le presque-candidat à l’élection présidentielle française n’était pas « le bienvenu » et qu’aucun lieu public ne serait mis à sa disposition pour éviter que Genève ne soit « complice de la propagation de ses messages haineux »[2].

Ces prises de position d’autorités publiques détonnent dans le paysage politique français, où, à l’inverse, le silence règne.

Et l’on en vient à se demander : pourquoi Éric Zemmour n’est-il pas interdit de salle en France aussi ?

Interrogation d’autant plus légitime que les autorités politiques disposent des moyens juridiques adéquats pour le faire. Ce que l’on appelle la « jurisprudence Dieudonné ».

Le 7 janvier 2014, le préfet de la Loire-Atlantique avait pris un arrêté portant interdiction du spectacle  » Le Mur  » prévu le 9 janvier 2014 à Saint-Herblain.

Le préfet s’était appuyé sur le fait que « ce spectacle, tel qu’il est conçu, contient des propos de caractère antisémite, qui incitent à la haine raciale, et font, en méconnaissance de la dignité de la personne humaine, l’apologie de discriminations, persécutions et exterminations perpétrées au cours de la Seconde Guerre mondiale », que Dieudonné avait fait l’objet de neuf condamnations pénales – dont sept définitives – « pour des propos de même nature » et que les forces de police auraient du mal à maîtriser les réactions à la tenue du spectacle, « dans un climat de vive tension ».

L’affaire était remontée jusqu’au Conseil d’État qui, par une ordonnance du 9 janvier 2014, rendue le jour-même de la représentation de l’humoriste, a confirmé l’interdiction du spectacle.

Pour se faire, les juges ont en particulier considéré que les risques de troubles à l’ordre public étaient bien établis et qu’il appartenait en outre aux autorités administratives de prendre les mesures de nature à éviter que des infractions pénales soient commises – le risque de réitération de propos pénalement répréhensibles à l’occasion de ce spectacle étant sérieux –.

Le professeur de droit Xavier Dupré de Boulois dira qu’avec cette décision « le juge administratif a donc approuvé l’action de l’autorité de police visant à contrecarrer une démarche fondée sur une logique de stigmatisation à l’égard d’une communauté »[3].

Le parallèle avec Zemmour est édifiant.

Lui aussi tient des propos, non seulement antisémites mais surtout islamophobes, qui incitent à la haine raciale et méconnaissent la dignité de la personne humaine.

Lui aussi a été condamné pénalement pour des propos de cette nature, une fois pour « provocation à la haine raciale » et une autre pour « exhortation implicite à la discrimination »[4].

Lui aussi entreprend une démarche fondée sur une logique de stigmatisation à l’égard d’une communauté, en l’occurrence celle des musulmans, qui est répétée encore et encore à chaque prise de position publique.

Dans ces conditions, les autorités de police ont le pouvoir – et même le devoir – d’interdire les conférences et autres meetings du polémiste lorsqu’un faisceau d’indices démontre que des propos incitant à la haine raciale, pénalement répréhensibles, risquent sérieusement d’être tenus.

Mais elles ne le font pas. Si les autorités publiques ne manquent pas de moyens juridiques, c’est alors qu’elles manquent de volonté politique.

C’est au nom de « l’humanisme » le plus abstrait et le plus mou de la social-démocratie que les maires de Londres et Genève ont interdit les prises de paroles du quasi-candidat d’extrême-droite. En France, ni les maires, ni les préfets, ni le gouvernement ne prennent plus cette responsabilité, signe du pourrissement avancé du débat politique hexagonal.

En janvier 2014, le Ministre de l’intérieur, en la personne alors de Manuel Valls, était pourtant en première ligne dans l’interdiction du spectacle  » Le Mur  » de Dieudonné. Celui-ci avait édicté une circulaire le 6 janvier 2014 pour inciter les préfets à interdire cette représentation. C’est aussi lui qui avait saisi le Conseil d’État pour maintenir l’interdiction de la venue de Dieudonné à Saint-Herblain.

Certains pourraient rétorquer ici que l’abstention des autorités publiques à intervenir pour interdire de salle Zemmour s’explique par le contexte actuel, particulier, qui est celui de la pré-campagne présidentielle, où « toutes » les opinions devraient pouvoir être débattues.

Pourtant, dans cette même période de pré-campagne, le Ministre de l’intérieur Gérald Darmanin ne s’est pas privé d’annoncer le dépôt d’une plainte contre Philippe Poutou, candidat du Nouveau parti anticapitaliste, pour ses propos dénonçant les violences policières.

Si ce ne sont ni les moyens, ni le contexte, qui expliquent l’inaction des responsables politiques, alors ne reste qu’une explication idéologique, qui navigue entre lâcheté et connivence.

Du reste, il est aujourd’hui trop tard pour attendre de l’exécutif qu’il interdise Zemmour de meeting, alors que celui-ci se stabilise à 15 % des intentions de vote. Un tel procédé serait perçu comme une censure de la part du pouvoir et profiterait au polémiste.

Seule la mobilisation populaire pourra désormais faire légitimement taire ce dernier. C’est de cette manière que les habitants de Marseille ont réussi à lourdement entacher ses déplacements jusque-là tranquilles.

En sera-t-il de même à Paris le 5 décembre ?

 

[1] I. Trippenbach, « La précampagne d’Eric Zemmour s’essouffle », Le Monde, 19 novembre 2021.

[2] Ibid.

[3] X. Dupré de Boulois, « Les ordonnances Dieudonné entre continuité jurisprudentielle et choix politique du juge », RDLF 2014, chron. n° 10.

[4] A. Condomines, « Combien de fois Eric Zemmour a-t-il déjà été condamné ? », Libération, 8 septembre 2021.

Youssef s’la raconte #19 – Guerre contre le Mexique : quand les Etats-Unis sont punis par où ils ont péché

Encore un mythe yankee à démonter. Tout le monde connaît la fameuse bataille de Fort Alamo. Sinistre page de la construction des Etats-Unis d’Amérique que d’habiles scénaristes sans scrupules d’Hollywood ont transformé en une héroïque et larmoyante épopée à travers un film éponyme. En effet, selon la légende au début du XIX e siècle, environ 180 courageux colons étasuniens dont le fameux Davy Crockett, incarné par John Wayne, réfugiés dans un petit monastère fortifié de la région de San Antonio au Texas, décident de proclamer leur autonomie vis-à-vis des autorités mexicaines et tiennent tête à 5000 soldats mexicains venus les déloger. Après quelques jours de combat, les colons étasuniens succombent tous sous le nombre. Mais heureusement, le général Sam Houston, le chef des colons du Texas à la tête d’une armée, rattrape les troupes du général Santa Anna quelques semaines plus tard et venge les héros morts aux cris de « Remember Alamo ». Tout le monde est content, les spectateurs sortent de la salle avec l’idée renouvelée que décidément les EU sont les plus forts et comme par miracle toujours du côté de la morale. Ça c’est la fiction.

La réalité maintenant. Tout commence aux alentours de 1836 quand le Texas fait encore partie du Mexique. Il compte alors 4.000 habitants hispaniques. Cependant depuis l’indépendance du Mexique en 1821, de plus en plus de colons nord-américains s’installent dans ce territoire, accompagnés de leurs esclaves. Les nouveaux occupants non seulement y accaparent librement et gratis des terres mais en plus s’opposent ouvertement au gouvernement mexicain, refusant de reconnaître les lois de la nouvelle république en dépit des conditions favorables qui leur sont faites. Motif ? Le gouvernement, comble d’arrogance entend interdire aux colons la pratique de l’esclavage au Texas comme il le fait dans tout le Mexique depuis 1829 ! Rappelons que non seulement l’abolition de l’esclavage était un des mots d’ordre de la guerre d’indépendance mexicaine contre l’Espagne mais qu’en plus la poursuite illégale de l’esclavage après l’abolition selon un décret pourra même être puni de mort. A une époque où la traite et le travail servile battent leur plein dans le monde occidental. C’en est trop pour les colons qui, du coup, proclament leur autonomie à l’initiative de l’un d’eux, Sam Houston. C’est comme ça que le général Santa Anna marche contre les rebelles en mars 1936 et donne l’assaut au réduit fortifié le 6 mars. La bataille d’Alamo même si elle est gagnée par les Mexicains est très couteuse en vies humaines. Près de six cents soldats y trouvent la mort mais en plus elle donne le temps à Sam Houston d’organiser plus au nord une armée de volontaires après avoir reçu des armes et des munitions de la part des E.U. C’est ainsi que la république indépendante (et coloniale !) du Texas voit le jour. Peu de temps après le gouvernement des EU annexe purement et simplement le Texas et c’est là un des casus-belli de la guerre étasuno-mexicaine. Précisons que le gouvernement mexicain en envoyant une armée défendre l’intégrité de son territoire opère dans la stricte légalité. La jeune république mexicaine naissante et pauvre ne pouvait pas grand-chose face à la puissance des Etats-Unis.

A la suite de la victoire contre Santa Anna, l’arrogance des EU n’a plus de limites. Une dizaine d’années plus tard, le gouvernement des EU désireux de s’étendre aux détriments du Mexique offre à celui-ci de lui acheter le Nouveau Mexique et la Californie. Devant le refus du président mexicain, le président des EU James Knox Polk chantre de la conquête de l’Ouest, théorisée par O’Sullivan sous le nom de Manifest Destiny * et soutenu par la presse et la classe politique décide de déclarer la guerre au Mexique. A l’issue de cette guerre terriblement meurtrière pour le Mexique, par le traité de Guadeloupe Hidalgo du 2 février 1848, lorsque les troupes des États-Unis ont occupé Mexico, ce pays est obligé de céder aux États-Unis, après le Texas, la Californie, l’Utah, le Nevada, le Colorado, le Wyoming, le Nouveau-Mexique, et l’Arizona (la moitié du territoire mexicain représentant le quart du territoire des EU ), pour 15 millions de dollars de l’époque ( en vérité une bouchée de pain, seulement 600 millions de dollars de l’an 2000). Evidemment les troupes mexicaines, une fois de plus, ne pouvaient pas grand-chose contre la puissance des Etats-Unis, dotés d’armes modernes, d’un meilleur entrainement et de moyens industriels considérables.

Encore une fois les EU semblent triompher magistralement. Pas si sûr car douze ans après cette guerre d’agression contre le Mexique, le sud et le nord des EU s’affronteront dans la plus sanglante des guerres de leur histoire, la guerre de Sécession. Celle-ci fera au total 650 000 morts militaires. C’est-à-dire deux fois plus que toutes les pertes étasuniennes de la seconde guerre mondiale. Cependant comment ne pas percevoir dans cette guerre de Sécession une sorte d’expiation divine pour la lâche agression des Etats Unis contre le Mexique surtout si l’on retient que son objet principal est cette même question de l’esclavage qui fut le prétexte de la bataille d’Al Alamo.

C’est ainsi que s’exprimant dans les années 1880, le président Ulysses S. Grant qui fut un des généraux de la guerre de Sécession ne s’y trompe pas et déclare :

« La rébellion du sud (et la guerre de Sécession qui s’ensuivit) fut l’avatar de la guerre avec le Mexique. Nations et individus sont punis de leurs transgressions. Nous reçûmes notre châtiment sous la forme de la plus sanguinaire et coûteuse guerre des temps modernes. »

 

Youssef Boussoumah

 

*« C’est manifestement notre destinée de nous répandre sur le continent que la Providence nous a alloué pour y assurer le libre développement d’une population qui, chaque année, se multiplie par millions. »1