Messages par QGDecolonial

Édito #18 – Manifestations pro-palestiniennes à Paris : un camouflet pour Darmanin

En tout état de cause, comme en 2014, ce 15 mai 2021, la Nakba palestinienne, a été commémorée comme il se doit dans la plupart des capitales du monde dont celles, nombreuses, du monde arabe qu’on croyait soumises à la trahison de certains de leurs dirigeants. De Bagdad à Chicago, de Rabat à Bruxelles, la solidarité envers le peuple palestinien ne faiblit pas et dément le parti pris pro-israélien des élites aux pouvoir.

La grande leçon à retenir de tout cela, c’est qu’il s’impose à nous de construire l’unité la plus large autour de la cause palestinienne sur des bases politiques claires : la dénonciation du colon israélien, le soutien sans faille à la lutte du peuple palestinien. De nouvelles mobilisations s’annoncent. Soyons au rendez-vous!

Edito #17 – La Palestine compte sur nous, montrons-lui qu’elle compte pour nous

Depuis deux semaines environ, des évènements douloureux se déroulent en Palestine ou plutôt s’ajoutent à cette longue tragédie coloniale. D’une part, les Palestiniens subissent les attaques répétées des colons en armes dans le quartier de Cheikh Jarrah, à Jérusalem-est, d’autre part, depuis quelques jours aux alentours de l’esplanade des mosquées, ces mêmes Palestiniens subissent les exactions de la soldatesque israélienne qui tente de limiter leur accès aux lieux saints à l’occasion des derniers jours du Ramadan. Tout d’abord, dans le quartier de Cheikh Jarrah en périphérie de Jérusalem où quatre familles palestiniennes sont menacées purement et simplement d’expulsion de leurs maisons dans lesquelles elles vivent depuis 1956. En fait, à l’origine, vingt-huit puis par la suite soixante-dix familles de réfugiés palestiniens chassés de leurs terres lors de la Nakba de 1948 avaient trouvé refuge dans ce quartier à partir de 1956, du temps où la Jordanie administrait ce territoire. De plus, les terrains sur lesquels elles ont bâti leurs maisons leur avaient été octroyés par le gouvernement jordanien avec l’aide de l’UNRWWA. Après que les Israéliens ont envahi Jérusalem-est (la vieille ville arabe) à l’occasion de la guerre de juin 67, des colons ont miraculeusement trouvé des titres de propriété attestant que ces terrains leur appartenaient. L’affaire en était restée là jusqu’à ces derniers jours, fin d’un très long marathon judiciaire. En effet, demain la cour suprême de justice israélienne devait rendre son verdict définitif concernant ces quatre familles en litige depuis les années 70. On retient son souffle.

La situation est d’autant plus tendue qu’à Jérusalem-centre les pressions israéliennes sur les lieux saints, les provocations et les agressions des colons sont constantes. L’armée et la police entendent y régir le moindre mouvement de Palestiniens pour bien souligner qu’ils sont les maîtres des lieux. C’est ce qui s’est encore passé à l’occasion du dernier vendredi de Ramadan et de la nuit du Destin. Près de 90 000 fidèles musulmans palestiniens entendaient se rendre à la mosquée d’Al Aqsa pour y prier. Les tirs de la police coloniale ont fait près de 187 blessés parmi les Palestiniens dont des dizaines ont été hospitalisés. La situation y est explosive car depuis de nombreuses années des fanatiques sionistes expriment régulièrement leur intention de détruire la mosquée d’Al Aqsa pour y rebâtir, disent-ils, le temple de Salomon. Comme pour les encourager, le gouvernement israélien sous prétexte de fouilles archéologiques transforme peu à peu en morceau de gruyère le sous-sol de l’esplanade des mosquées menaçant la stabilité de celle-ci qui risque l’effondrement.

C’est pourquoi aux dernières nouvelles, Netanyahou a demandé le report de la décision judiciaire concernant les familles de Cheikh Jarrah. A cela trois bonnes raisons. D’une part du côté des Etats-Unis, il semble que Joe Biden (et la député Alexandria Ocasio-Cortez) ait commencé à réagir de façon défavorable à Israël en prenant position pour les familles palestiniennes, reconnaissant dans un tweet qu’elles avaient le droit de continuer à vivre dans ce quartier. Ensuite Rupert Colville, porte-parole du Haut-Commissariat de l’ONU aux droits de l’homme, lors d’un point de presse régulier à Genève a publiquement rappelé à Israël que la possible expulsion des familles palestiniennes dans un territoire occupé comme Jérusalem-est constitue un crime de guerre selon la définition de l’ONU. Enfin, la situation en Cisjordanie sur fond de grave crise politique (depuis l’annulation des élections par Mahmoud Abbas) est elle aussi en train de s’aggraver avec trois nouveaux décès de Palestiniens tués par l’armée ces derniers jours. Trois bonnes raisons qui font craindre à Netanyahou une relance de l’intifada d’Al Qods.

Le plus scandaleux dans tout cela demeure l’attitude des régimes arabes et de l’Union Européenne. Chez les premiers, mis à part la Jordanie qui a réagi car officiellement en charge de la protection des lieux saints musulmans, le silence des capitales arabes est absolumentassourdissant. Un évènement sur la planète Mars aurait chez eux plus d’importance. Ainsi aucune réunion de la ligue arabe n’est prévue. De même la demande palestinienne de réunion du conseil de sécurité qui pour l’instant n’a reçu aucune réponse favorable n’est même pas appuyée par la Ligue arabe. Quant à l’Europe, on peut lui décerner le pompon du cynisme puisque si celle-ci s’est bien fendue d’un communiqué, celui-ci est absolument ahurissant puisqu’il y est demandé « aux deux parties » de tout mettre en œuvre pour calmer la situation. Ramenant encore une fois dos à dos l’agresseur israélien et l’agressé palestinien. A Gaza, les organisations de résistance Hamas et Jihad islamique déclarent se tenir prêtes aux côtés de la résistance populaire palestinienne et annoncent qu’elles ne resteront pas paralysées devant les agressions répétées contre Al Qods. A ce tableau, doit être ajouté une ultime provocation, d’un cynisme magistral. Aujourd’hui, lundi 10 mai est pour Israël le jour de Jérusalem c’est-à-dire le jour de fête commémorant l’attaque et la prise de la ville sainte par l’armée israélienne que la colonie sioniste appelle « Réunification de Jérusalem ». Il faut savoir que cette invasion de Jérusalem en 1967 s’était accompagnée de milliers d’expulsions d’habitants après la destruction de leur quartier, notamment celui des Maghrébins. En tout état de cause, le peuple Palestiniens n’a que faire des états d’âme des régimes traîtres ou stipendiés qui lui conseillent la résignation. Des rivages de l’Atlantique à ceux du Golfe, il compte aussi sur la solidarité internationale. A l’occasion de la date anniversaire de la Nakba, retrouvons-nous nombreux à Barbès, samedi 15 mai à 15h pour exprimer notre fraternité et notre soutien sans faille au peuple palestinien en lutte. Palestine vivra, Palestine vaincra !

Édito #16 – Y-a-t-il un lien entre immigration et terrorisme ?

Le récent assassinat d’une policière à Rambouillet a relancé les obsessions de tout ce que ce pays compte comme forces obscures cherchant absolument à faire le lien entre immigration et terrorisme et plus précisément avec l’immigration à référence musulmane supposée ou avérée. En effet, dans ce cas d’espèce, le meurtrier étant un ressortissant tunisien arrivé clandestinement en France en 2009 et régularisé dix ans plus tard, il n’en a pas fallu plus pour que l’extrême droite, une partie de la droite mais aussi de la gauche islamophobe établissent un lien direct entre terrorisme et immigration. Le réflexe est pavlovien. Cette vieille antienne ressort systématiquement des tiroirs de journalistes en déficit d’audimat. Le résultat en est qu’en 2018, 53 % des Français, fortement travaillés au corps par des enquêtes sur mesure, se disaient d’accord avec l’affirmation selon laquelle « nous ne pouvons pas accueillir plus de migrants, car ils augmentent le risque terroriste dans notre pays ».

Qu’en est-il aujourd’hui ? S’agissant de l’immigration, Valérie Pécresse présidente de la région île de France, sur Europe 1, déclare : « Il y a un lien entre immigration et terrorisme. Il faut dès aujourd’hui, de façon radicale, stopper toute immigration ». Ce que Natacha Polony, ce 29 avril dans Marianne, « au nom de la lucidité » confirme en plaidant « pour le droit de prononcer dans la même phrase les mots « immigration » et « terrorisme » comme si ce droit dont elle use et abuse n’était pas déjà le pain quotidien de très nombreuses rédactions.  Et pourtant, selon Erwan Le Noan, dans Le Point du 28 avril, une vaste étude portant sur 170  pays ne montre aucun lien de causalité « entre part de migrants dans un pays et activité terroriste ». Confirmant cela dans une interview à Europe 1 au moment où le parti gouvernemental s’apprête à présenter un projet de loi « sur la prévention et la lutte contre le terrorisme » Jean-Michel Fauvergue, ancien patron du Raid et député LREM, réfute également le parallèle entre terrorisme et immigration : « Tous les terroristes ne sont pas étrangers, et tous les étrangers ne sont pas terroristes », lance-t-il.

En effet, démentant les analyses chères à Marine à Le Pen, les statistiques montrent que la grande majorité des attentats commis en France ces dernières années, ont été le fait de ressortissants français ou d’étrangers en situation régulière. Dans Info/Migrants, le 26 avril, Charlotte Boitiaux explique quant à elle que depuis 2012, la plupart des terroristes impliqués dans les attaques meurtrières sur le sol hexagonal étaient Français et nés sur le sol français : Mohammed Merah (attentat de Toulouse en 2012), Chérif et Saïd Kouachi (attentat de Charlie Hebdo en 2015), ou encore Amedy Coulibaly (attentat de l’Hyper Cacher en 2015).

Cependant, s’agissant des attentats les plus meurtriers du 13 novembre 2015, si six des 10 membres des commandos étaient bien Français, deux étaient Irakiens, un était Belge et le dernier belgo-marocain.

En tout état de cause, les observateurs les plus honnêtes considèrent que 70 % des auteurs d’attentats sont bel et bien des Français. Quant à la dimension strictement islamique de ces derniers, si elle est indéniable d’un point de vue formel, elle est réfutée quand les enquêtes menées par les polices démontrent que dans l’immense majorité des cas, le déterminant religieux n’apparait qu’en surface, la plupart des mis en cause n’étant pas particulièrement pratiquants et ayant même des modes de vie plutôt dissolus. Le fameux « Allahou akbar » intervenant d’avantage comme une sorte de cri de ralliement politique que religieux.

Cependant si le lien direct entre taux d’immigration clandestine et terrorisme mais aussi entre taux d’immigration légale et terrorisme n’apporte rien d’intéressant, force est de constater que le vœu pieu consistant à écarter tout lien entre ce qui est appelé « terrorisme » et les Français issus de l’immigration post coloniale n’est pas tenable non plus. Effectivement rien ne sert de le nier, la plupart des attentats commis ces dernières années en France ont été le fait de jeunes français liés d’une manière ou d’une autre à l’histoire et à l’immigration coloniales. Dès lors, il est impossible de ne pas voir là les conséquences dramatiques d’une longue histoire d’exclusion et de discriminations qui peut produire ressentiments et désir de vengeance. Déjà, en 1995, avec l’affaire Kelkal, ces aspects étaient patents. Cette explication est valable mais n’épuise pas pour autant le sujet. Si l’on retient comme valide la déclaration de BFM (du 30 octobre 2020) selon laquelle la France est le pays occidental qui a connu le plus d’attentats depuis 2012, comment expliquer que des pays comme le Royaume-Uni ou les Pays-Bas, qui ont une histoire coloniale aussi intense que la France, soient eux beaucoup moins ciblés par le terrorisme que l’Hexagone? Tenter de répondre à cette question, c’est devoir forcément s’interroger sur les politiques extérieures actuelles de ces pays, les comparer entre elles et aussi nous intéresser à celles des Etats-Unis qui eux aussi ont souffert d’importants attentats sur leur sol. Et là, force est de constater une différence majeure : oui la France et les Etats-Unis en comparaison avec des pays comme le Royaume-Uni, les Pays-Bas, le Portugal ou la Belgique – autres pays coloniaux – sont en pointe en termes d’interventions militaires extérieures aujourd’hui. De là, le lien entre interventions extérieures et terrorisme sur notre sol s’avère bel et bien fondé.  Celui-ci est établi par nombre de chercheurs parmi lesquels le réseau OCTAV (Observatoire contemporain du terrorisme, de l’antiterrorisme et des violences)[1].

 

Par ailleurs si l’on en croit Michel Wieviorka pour qui« le terrorisme est dans les yeux de celui qui regarde, et chacun est le terroriste de l’autre » et Noam Chomsky quand il affirme qu’on a jusqu’ici « cherché une définition du terrorisme qui exclurait la terreur que nous exerçons contre eux, mais inclurait la terreur qu’eux exercent contre nous » on ne peut pas écarter l’idée que ces attentats commis par des Français issus de l’immigration interviennent en réponse à une politique extérieure française elle même meurtrière. D’autant que les explications fournies de type « défense des droits de l’homme » ne convainquent que les sots ou les hypocrites. Surtout en ce qui concerne les interventions françaises directes au Sahel ou indirectes au Yémen. Quand sont écartées les explications de type « civilisationnelles » ou magiques de type « ils en veulent à notre manière de vivre », « à notre liberté et à celle de nos femmes » demeure la réalité nue : la somme des intérêts stratégiques et économiques de la France qu’elle entend se garantir dans la concurrence inter impérialiste aussi implacable que destructrice.

Dès lors, qui peut réfuter l’équation : moins de guerres là-bas = moins de terrorisme ici ?

 

[1] https://www.nouvelobs.com/idees/20201114.OBS36086/guerres-et-terrorisme-sortir-du-deni.html

Édito #15 – Ne pas juger les fous, sauf s’ils sont Musulmans ?

« Quel jurisconsulte oserait déclarer coupable de meurtre, c’est-à-dire coupable d’homicide commis volontairement, un homme dans un état d’ivresse tel que celui que je suppose ? Il y aura, si l’on veut négligence, imprudence, imputabilité civile ; mais où il n’y a pas eu l’intention de crime, volonté de tuer, volonté d’agir en connaissance de cause, il y aura impossibilité de déclarer l’accusé coupable » (Faustin Hélie, ancien magistrat et théoricien du droit pénal).

Le droit pénal moderne connaît un principe fondamental selon lequel n’est pas pénalement responsable la personne qui était atteinte, au moment des faits, d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes.

Effectivement, le procès pénal a pour fonction de juger l’homme dans l’utilisation de son libre arbitre. Les magistrats doivent pour cela caractériser l’élément matériel de l’infraction (par exemple, un agissement ayant entraîné la mort d’une personne) mais aussi son élément moral, l’intention (par exemple, celle de donner la mort). Or, comment la société pourrait-elle juger un homme dont la capacité de vouloir et de comprendre a été abolie au moment des faits qui lui sont reprochés ?

Les malades mentaux ne peuvent qu’être déclarés irresponsables sur le plan pénal (mais pas sur le plan civil, l’abolition du discernement ne faisant pas obstacle à l’octroi de dommages et intérêts à la victime pour la réparation du préjudice subi par elle).

Il s’agit d’un principe que contenait déjà le code pénal dans sa version de 1810, et qu’il reprend aujourd’hui en son article 122-1. Et la Cour de cassation a toujours interprété ce texte comme visant tout trouble mental ayant entraîné une disparition complète du libre arbitre, sans distinguer suivant l’origine du trouble, et sans donc exclure du champ de l’irresponsabilité pénale le trouble mental consécutif à une intoxication volontaire.

Dans la nuit du 3 au 4 avril 2017, Kobili Traoré s’est introduit dans le domicile de sa voisine Sarah Halimi. Au motif qu’elle était Juive, il l’a qualifiée de « démon », l’a frappée puis l’a défenestrée en se réjouissant d’avoir « tué le sheitan ». Il a ensuite été interpellé pendant qu’il récitait des versets du Coran.

Les sept experts psychiatriques intervenus dans le cadre de l’instruction de l’affaire ont, à l’unanimité, abouti à la conclusion que, au moment des faits, Kobili Traoré était sous l’empire d’une « bouffée délirante aiguë » à la suite d’une consommation de cannabis. Six experts sur sept étaient d’avis que le discernement de Kobili Traoré avait, dans sa séquence délirante, été intégralement aboli, seul le premier ayant estimé que la crise subie par l’intéressé avait seulement entravé son discernement.

Dans ce contexte, la chambre d’instruction de la cour d’appel d’Aix-en-Provence, si elle a reconnu qu’il existait des charges suffisantes à l’encontre de l’accusé d’avoir volontairement donné la mort à Sarah Halimi avec la circonstance que les faits ont été commis à raison de l’appartenance de celle-ci à la religion juive, elle l’a toutefois déclaré irresponsable pénalement « en raison d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli sont discernement ou le contrôle de ses actes au moment des faits ». Les juges d’instruction ont alors ordonné l’hospitalisation complète de Kobili Traoré en établissement de soins psychiatriques. Cette décision était alors tout à fait conforme au droit, comme ont pu le démontrer des avocats reconnus.[1]

Saisie de pourvois des parties civiles selon lesquelles Kobili Traoré n’aurait pas dû être considéré comme irresponsable pénalement dès lors qu’il aurait commis une faute en ingérant volontairement une substance illicite susceptible de porter atteinte à son discernement (du cannabis), la Cour de cassation a jugé au contraire que « les dispositions de l’article 122-1, alinéa 1er, du code pénal, ne distinguent pas selon l’origine du trouble psychique ayant conduit à l’abolition de ce discernement ».

En se bornant à rappeler l’état du droit, qui plus est tout à fait respectable et à l’honneur de l’institution judiciaire de n’avoir pas condamné « un fou », cette affaire aurait pu en rester là. Que nenni.

Il est vrai que, dès l’origine, cette affaire a été saisie par les forces politiques réactionnaires. Ainsi, dès le 9 avril 2017, le Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF) a organisé une marche blanche en sa mémoire au cours duquel son vice-président a dénoncé, tour à tour, la « linquance », la « mence » et la « haine antisémite » de l’auteur des faits. Le 1er juin 2017, dix-sept « intellectuels », dont Michel Onfray, Jacques Julliard, Marcel Gauchet, Alain Finkielkraut et Élisabeth Badinter ont publié une tribune dans Le Figaro demandant à ce que « toute la lumière soit faite sur la mort de cette Française de confession juive tuée aux cris d’ « Allah akbar » ».

A la suite de l’arrêt de la chambre d’instruction du 19 décembre 2019, les personnalités politiques de droite et d’extrême droite, telles que Eric Ciotti, Valérie Boyer, Marine Le Pen, Nicolas Dupont-Aignan, et Meyer Habib, ont largement critiqué le verdict rendu. Le président du Consistoire de Paris, Joël Mergui, parlera de « permis de tuer des juifs ». Le Président de la République Emmanuel Macron, lors d’un discours prononcé à Jérusalem face à « la communauté française d’Israël », a exprimé le « besoin de procès » dans cette affaire, au mépris des principes de séparation des pouvoirs et d’indépendance de la magistrature.

En réaction à l’arrêt de la Cour de cassation du 14 avril 2021, Emmanuel Macron a annoncé vouloir modifier la loi pénale pour que l’abolition du discernement consécutive à la prise de stupéfiants ne soit plus une cause d’irresponsabilité pénale.

L’on sait pourtant que la consommation de cannabis est, dans le discours politique hégémonique, imputée aux habitants des quartiers pauvres. En rendant impossible l’exonération de responsabilité pénale en raison d’usage de stupéfiants, alors qu’au demeurant de tels effets du cannabis restent tout à fait exceptionnels, le pouvoir s’engage ainsi à favoriser la répression des indigènes pour qu’ils ne puissent jamais « échapper » à la justice.

L’on observe également que le moteur de l’attention portée à l’affaire Sarah Halimi a été le fait que l’auteur du crime est un homme Musulman (qui, en outre, a entouré son geste de « signes » islamiques, comme l’utilisation du terme sheitan et de l’expression Allahu akbar ou la récitation de versets du Coran avant son interpellation) et la victime une femme Juive. L’avocate générale, lors de l’audience devant la Cour de cassation, tombera d’ailleurs dans ce travers en relevant que l’affaire est particulière « à l’heure de la montée, en France, dans certains quartiers, de l’antisémitisme ».

Il ne fait aucun doute pour nous que le motif antisémite du crime est à considérer car « les fous » ne sont pas imperméables aux idéologies dominantes dans lesquels ils évoluent. Le meurtrier de Sarah Halimi n’y déroge sûrement pas. En l’occurrence, peut être cité l’exemple de l’affaire Thomas Gambet qui, en janvier 2015, juste après l’attentat de Charlie Hebdo, a tué de 17 coups de couteaux Mohamed El Makouli aux cris de « je suis ton dieu, il n’y a pas d’islam ». Le caractère islamophobe du crime est indéniable mais, schizophrène paranoïde et fumeur de cannabis au moment des faits, il a été jugé pénalement irresponsable[2]. Les deux crimes sont symétriquement les mêmes : deux personnes dont la raison a été abolie, en particulier après la consommation de stupéfiants, sont déclarées irresponsables par la justice alors même que leur contexte idéologique agit effectivement dans le choix de leur cible.

Dans le cas de Mohamed El Makouli, aucune campagne de presse n’est venue remettre en cause le verdict, contrairement à celui de Sarah Halimi. C’est donc bien à l’encontre des Musulmans, par la pression de groupes islamophobes, qu’une campagne médiatique a été menée sur cette affaire, le vice-président du CRIF ayant associé ce crime à la « linquance » (dont sont usuellement accusés les Arabo-Musulmans) et les « intellectuels » précités ayant précisément ciblé l’expression Allahu akbar comme élément déterminant de l’affaire.

Kobili Traoré n’était dès lors pas seulement un aliéné au moment de son acte, il était avant tout un Musulman. Et c’est à ce titre que les forces politiques réactionnaires exigent aujourd’hui la révision de ces arrêts.

On serait cependant tentés de s’estimer heureux. En effet, la réaction se cantonne ici à des manifestations pacifiques. Qui se souvient de la longue ratonnade anti-arabes à Marseille en 1973 qui allait provoquer la mort d’une vingtaine d’immigrés ? Elle faisait suite à un jugement reconnaissant l’irresponsabilité pénale d’un meurtrier algérien… pour troubles mentaux.

[1] https://www.lepoint.fr/justice/tribune-affaire-halimi-monsieur-le-grand-rabbin-n-ayez-pas-peur-des-juges-05-01-2020-2356187_2386.php

[2] https://www.pressreader.com/tunisia/le-temps-tunisia/20160713/281698319082287

Youssef s’la raconte ! #11 – La véritable histoire du Colonel Bendaoud

« Arabe tu es, Arabe tu resteras, même si tu t’appelles colonel Bendaoud ». Qui n’a pas entendu mille fois cette morale proverbiale prononcée sur un ton sentencieux qui conclut invariablement ces histoires d’indigènes ayant gravi les échelons de la société coloniale et qui se croyant bien intégrés se voient soudainement éconduits et ramenés à leur condition première ?

Il s’agit sans doute là de la légende urbaine la plus populaire d’Algérie et même au-delà, du Maroc et de Tunisie. Chez les populations ayant connu la colonisation bien sûr mais tout autant dans l’émigration. Ce qui est hautement significatif c’est l’abondance des récits concernant ce Mohammed Bendaoud, la multitude des situations et des moments historiques où celui-ci est censé avoir évolué. L’un raconte que cette péripétie s’est déroulée fin XIX e siècle : un Algérien officier dans l’armée française se serait vu refuser de l’avancement pourtant mérité du fait de son origine, un autre prétend qu’elle se serait produite avant la guerre d’Algérie et qu’il s’agirait d’une histoire de divorce entre un époux indigène et sa femme blanche qui bien imprudemment l’aurait épousé puis l’aurait quitté sur pression de sa famille. Un autre encore est convaincu que le colonel Bendaoud aurait délibérément été ignoré par de Gaulle lors d’un passage en revue pendant la guerre d’Algérie. Certains pensent que le colonel Bendaoud en dépit de son grade n’aurait pas été convié à un dîner de gala. Les récits divergent mais tous sont d’accord sur un point, le colonel Bendaoud se serait ensuite brûlé la cervelle de son révolver d’officier. Comme si seule une fin violente et auto administrée pouvait sanctionner cette triple perte d’honneur.  D’abord pour avoir pactisé, s’être mis au service de l’ennemi mais surtout pour avoir renié son statut personnel, dit autrement sa religion, condition alors pour un indigène d’accéder aux grades supérieurs et enfin pour au final s’être fait ridiculisé d’une terrible façon.

Quelles sont les caractéristiques de cette histoire-légende car il s’agit bien de cela. Voyons sa structure. Un ordre social préexistant, l’Algérie de la Régence est brisée par un élément extérieur, la colonisation. Celle-ci agit non seulement par une politique directement coercitive, par des massacres de masse, des pillages, des destructions mais de façon plus insidieuse encore par le reniement de soi-même qu’elle cherche à produire sur les élites. En effet à la fin du XIXe siècle un danger mortel menace la société algérienne. Les révoltes et tentatives révolutionnaires ayant été brisées l’une après l’autre, le colonialisme déploie à présent sa politique d’assimilation. Certes encore timide mais qui évidemment concerne les élites, les évolués comme on disait (fils de familles féodales, appelés à intégrer l’armée, l’administration des finances et même la justice). Des élites assimilées faisant désormais cruellement défaut à la société traditionnelle dans ses efforts de résistance. Assimiler ces derniers pour la colonisation est donc un impératif stratégique. Toujours dans le narratif sollicité, en réaction, développant ses anticorps, la société algérienne ne pourra survivre et retrouver son ordre ancien que si elle sait opposer un coup d’arrêt décisif à cette politique d’assimilation, la menaçant d’annihilation. C’est à ce stade en tant qu’anti corps qu’agit ce proverbe. Non seulement comme approbation de la sanction (pour avoir rejeté son identité musulmane et avoir embrassé la francité) mais aussi comme mise en garde. En effet pour l’immense majorité des Algériens, il est impossible de vivre sans honneur en abandonnant sa société traditionnelle mais de plus cette assimilation est vouée à l’échec.

Un mythe n’a ni début, ni fin, il se restructure sans cesse et comme tous les mythes celui-ci nous en apprend beaucoup plus sur le peuple qui le véhicule que sur l’histoire en question. D’où le peu d’importance accordé à l’exact déroulement des faits. Un mythe est censé apporter une réponse aux grandes questions que se pose une société : son origine, son ordre social, ses interdits, son devenir. Ici le mythe apporte une réponse à la question, qu’arrive-t-il à celui, à celle qui brade l’identité suprême, l’honneur, la religion.

A propos, chose promise…. Voilà la véritable histoire du colonel Bendaoud

Le fait se déroule à la fin du XIXe siècle. Né en 1837 et mort le 1ᵉʳ juillet 1912 dans la région d’Oran, fils de l’Agha Elseïd Mohamed Bendaoud, le Colonel Mohamed Bendaoud était fier d’avoir été le seul indigène à avoir intégré Saint Cyr mais aussi le seul officier supérieur d’origine arabe dans l’Algérie colonisée du 19ème siècle. Naturalisé Français, ayant abandonné l’Islam, il avait réussi son ascension en ressemblant à s’y méprendre, au colonisateur. A tel point que les journaux ne tarissaient pas d’éloges pour lui car il était la preuve vivante que l’assimilation était possible. « Nul n’a autant servi la France coloniale que le colonel Mohamed Bendaoud », « un soldat de grande bravoure », « vivant à l’européenne » et « très Français de sentiments ». Un jour, une aristocrate donne un bal. Les officiers supérieurs y sont conviés, Bendaoud aussi naturellement. La dame passe en revue ses invités et leur tend la main pour le baise-main après qu’on les lui ait présentés. Elle arrive devant le Colonel Bendaoud. Au moment de lui tendre la main, elle entend son nom et la retire précipitamment. Bendaoud a alors cette phrase terrible: « Arbi, Arbi wa hatta louken ikoun el colonel Bendaoud »  « Un Arabe reste un Arabe, même s’il est le Colonel Bendaoud ».

Peu importe de savoir s’il est vrai ce que certains ajoutent, à savoir qu’il se serait ensuite suicidé ou qu’il aurait ensuite démissionné de l’armée. La sanction suprême est le no-man’s land mental dans lequel il s’est ensuite retrouvé. Après cet épisode plus personne n’ose l’évoquer et il terminera sa vie dans l’oubli. Il aura quand même, « suprême récompense » la joie de savoir que son fils militaire est tombé au champ d’honneur en 1908 au Maroc en criant « je meurs pour la France ». Mais pour autant il n’y aura plus pour lui d’invitation à des dîners mondains.

Le lien avec la société d’immigration post coloniale d’aujourd’hui est patent. En effet, évoquant la trajectoire d’un Malek Boutih, d’un Chalghoumi, d’une Fadela Amara, d’une Zineb El Rhazoui, d’un Mohamed Sifaoui, et tant d’autres, (ceux que Sadri kiari nomme non pas « arabes de service » mais « arabes professionnels ») votre interlocuteur issu de l’immigration maghrébine finit invariablement son récit par la convocation du fameux colonel. Il est facile de se rassurer en se disant qu’une telle péripétie ne peut pas nous arriver. Ce qui est certain c’est que nous avons tous en nous du colonel Bendaoud, si tant est que personne n’est prémuni contre une telle déchéance. On peut au moins reconnaître une qualité à celui-ci, celle de l’ultime lucidité. Car depuis quand un traître reconnaît-il qu’il est traître ? En tout cas au QG décolonial, lucides sur nous-mêmes nous tentons de l’être et de le demeurer.

Édito #14 – France/Algérie : les liaisons dangereuses

La visite annulée de Jean Castex à Alger révèle la nouvelle détérioration des relations entre l’Algérie et la France après celle de juin 2020. Pourtant cette délégation devait, en plus du 1er ministre, comprendre le ministre des Affaires étrangères et celui de l’Économie et des Finances, preuve que Paris était prêt « à mettre le paquet » concernant la mise en œuvre d’un « nouveau partenariat » attendu depuis 3 ans. La presse française, unanime, revient sur le long feuilleton des relations agitées entre ces deux pays. Les uns et les autres de rappeler les sujets de discorde habituels parmi lesquels la question de l’immigration clandestine ou la position française par rapport à la question du conflit au Sahara occidental…Certains médias évoquent, quant à eux, la raison qui semble avoir été le véritable déclencheur de cette crise : la décision du parti d’Emmanuel Macron (LREM) d’ouvrir une représentation à Dakhla – une sorte de consulat français – dans les territoires sahraouis ce qui équivaut à une prise de position claire et sans ambages pour la partie marocaine du conflit. Tout cela s’ajoute aux déclarations de Le Drian qui s’est récemment dit favorable au plan d’autonomie marocain, en opposition frontale au règlement adopté par l’ONU, préconisé par la capitale algérienne : à savoir une consultation d’autodétermination sous égide internationale.

Bien sûr, on peut s’interroger sur l’opportunité d’ouvrir une représentation de LREM dans ces territoires juste au moment où sur le terrain les combats sont relancés. De plus on imagine mal à qui est destiné ce bureau de LREM en plein Sahara. Algéria Watch nous apprend que le député communiste Jean-Paul Lecoq a qualifié de « honte » l’ouverture de ce comité local et a accusé Macron lui-même d’être à l’origine de cette décision. En effet, il serait inconcevable de penser que le chef de l’Etat n’ait pas été consulté. On penche donc volontiers pour une politique parfaitement assumée, ce qui témoigne d’une grande confusion au niveau de l’exécutif français. D’un côté, il veut rétablir de nouvelles relations avec l’Algérie et de l’autre il adopte pleinement le point de vue la monarchie chérifienne sur le Sahara occidental.

Cependant un autre motif de brouille est aussi relevé par la presse des deux pays : la fameuse question mémorielle. Les « efforts » de Macron sur ce dossier semblent encore bien insuffisants au regard de ce qui est attendu de l’autre côté de la Méditerranée, à savoir non pas une repentance mais une reconnaissance en pleine et due forme des crimes de la colonisation. Les préconisations du fameux rapport Stora, ne convainquent pas, à juste raison. Pas plus que les « gestes » symboliques comme la restitution des corps de résistants algériens à la colonisation. Pour beaucoup on est encore loin du compte.

Il faut savoir qu’une reconnaissance pleine et entière de la responsabilité française pour une liste de crimes grosse comme le Ritz, ouvrirait la voie à de possibles poursuites devant des juridictions internationales. La France dans cette perspective aurait beau brandir la clause des accords d’Evian signés par les deux parties qui soldent les comptes de cette guerre y compris au plan judiciaire, la juridiction internationale concernant d’éventuels crimes contre l’humanité (par exemple l’utilisation de napalm contre des civils, les tristement célèbres « camps de regroupement », le massacre du 17 octobre 1961 ou encore la nucléarisation du Sahara au détriment des populations nomades) s’imposerait sur tout accord bilatéral antérieur. D’autant que la qualification de certains de ces crimes empêche toute prescription. Par ailleurs, circonstance aggravante, à la différence de la responsabilité française dans la déportation des Juifs de France commise par la dictature crypto- fasciste pétainiste, les crimes français en Algérie furent perpétrés sous deux républiques en plein exercice démocratique. Ce qui implique directement l’Etat français dans sa continuité actuelle.

C’est pourquoi, on a du mal à comprendre que cette question de la reconnaissance française dans ce long massacre de huit ans (de 132 ans disent certains) ne soit utilisée que comme une variable d’ajustement, par le gouvernement algérien, dans les crises successives entre les deux pays. Ce qui en dit long sur la manière dont l’histoire coloniale, l’indépendance et le sentiment national sont instrumentalisés par le pouvoir en place.

Tout comme on a du mal à comprendre que le gouvernement français, ne considère ce « conflit mémoriel », que comme un sujet de politique extérieure. Compte tenu du nombre très élevé d’Algériens et de bi-nationaux et du nombre important de populations directement issues des colonies françaises vivant dans l’hexagone, il s’agit bel et bien d’une question intérieure. Si l’on ajoute à cela les conflits idéologiques de haute intensité qui déchirent le pays : le triomphe des idées d’extrême droite d’un côté et les progrès de la conscience décoloniale de l’autre, il serait naïf voire inconscient de ne voir ces questions que sous l’angle des intérêts diplomatiques.

Heureusement, les hiraks marocains et algériens sont la pour nous rappeler, malgré les féroces répressions dont ils sont l’objet, qu’ils ne sont dupes ni de leur régime respectif, ni du rôle de l’ancienne et actuelle puissance coloniale. Quant à nous, anticolonialistes de France, il est temps de comprendre que la politique extérieure de la France n’est pas que l’affaire du pouvoir régalien. Elles nous concernent autant sinon plus.

Édito #13 – Le Sénat se survivra-t-il ?

Le Sénat va-t-il s’auto-dissoudre ? C’est la question légitime que l’on peut se poser au regard de l’amendement récemment adopté par celui-ci et destiné à interdire les réunions en non-mixité raciale en France, sous peine de dissolution. En effet, la Chambre haute est un prototype de lieu où se réunissent des femmes et, surtout, des hommes appartenant à la même catégorie raciale (blanche).

L’observateur attentif devinera cependant rapidement que l’amendement adopté par les sénateurs ne vise pas à interdire toutes les réunions en non-mixité raciale, mais seulement certaines d’entre elles. Pour s’en convaincre, il suffit de regarder le contexte législatif dans lequel cette proposition s’inscrit : l’examen de la loi sur le séparatisme, dirigée contre les musulmans, et la déferlante d’amendements connexes, tels que l’extension de l’interdiction du port du voile et la prohibition des drapeaux maghrébins lors de cérémonies maritales.

Les mesures répressives adoptées par les parlementaires ne semblent donc dirigées que contre les indigènes, qu’ils s’organisent entre eux ou simplement expriment leur existence dans la vie sociale. Le Sénat est donc sauvé.

Mais l’est-il réellement ? Le Sénat ne s’engouffre-t-il pas dans la brèche qui risque de le mener à sa propre ruine ?

Historiquement, le Sénat est une chambre parlementaire conservatrice, dont les membres, autrefois nommés, sont élus au suffrage indirect (les sénateurs sont aujourd’hui élus par les élus locaux). Partageant le pouvoir législatif avec l’Assemblée nationale, la fonction du Sénat est de tempérer les ardeurs que peut avoir la Chambre basse, élue au suffrage direct (les députés étant élus par tous les citoyens Français majeurs jouissant de leurs droits civils et politiques). Ainsi, par exemple, le Sénat a pu s’opposer à l’Assemblée nationale en 2016 lorsque la majorité socialiste avait porté le projet de déchéance de nationalité pour les auteurs d’actes de terrorisme, les sénateurs ayant refusé une telle déchéance pour les Français qui n’avaient pas de double nationalité, ce qui aurait créé des apatrides.

Son rôle actuel se manifeste en revanche par un excès de zèle. Alors que l’Assemblée nationale vient d’adopter en première lecture le projet de loi séparatisme, avec son lit d’atteintes aux libertés individuelles, d’association, de culte, d’expression, le Sénat s’est engagé dans une fuite en avant pour étendre le champ des incriminations et réduire celui des libertés. Interdiction de port du voile pour les accompagnatrices scolaires, les sportifs et les mineurs, possible restriction du port du burkini, interdiction d’arborer des drapeaux autres que de la France et de l’Union européenne lors des mariages, interdiction des listes communautaires, extension du refus de séjour aux étrangers qui rejettent manifestement les principes de la République, interdiction de prier dans les couloirs des Universités. Le Sénat a ôté sa modération pour la déraison.

Il est notable que, si ces mesures s’apparentent à des lois autoritaires et racistes pavant le chemin vers des formes renouvelées de fascisme en ce qu’elles placent les intéressés sous le contrôle total de l’État qui en vient à annihiler leurs droits les plus fondamentaux, elles ne sont dirigées que contre une catégorie bien identifiée de la population, à savoir les indigènes. Un pré-fascisme « chirurgical » en somme.

Au-delà du Sénat, ce sont en réalité toutes les institutions républicaines qui sombrent dans l’unanimisme autour de l’islamophobie, plus aucune d’entre elles ne jouant alors son rôle de contre-pouvoir. Et gare à celles qui refuseraient de participer à la folie anti-musulmane, car leurs jours seraient alors comptés. L’Observatoire de la laïcité peut en témoigner, la conservation par lui d’une approche de la laïcité plus respectueuse de la liberté de conscience justifiant aux yeux du pouvoir qu’il soit aujourd’hui supprimé sur le champ.

Le Sénat se retrouve donc pris entre deux feux. D’un côté, s’il fait machine arrière pour reprendre son rôle de chambre modérée, il pourrait être accusé de complaisance avec l’islamisme et, par-là, de perdre en légitimité. De l’autre, s’il poursuit dans sa fuite en avant, il pourrait participer à l’avènement d’un régime de type fascisant qui, lui, pourrait vider le Parlement de ses prérogatives pour les concentrer entre les mains de l’Exécutif. C’est bien ce qui arriva lors du vote des pleins pouvoirs au maréchal Pétain en 1940, et qui connaît curieusement une certaine actualité avec l’accroissement du recours aux ordonnances de l’article 38 de la Constitution par lequel le Gouvernement est de plus en plus autorisé à intervenir dans le domaine de la loi.

D’où cette question : le Sénat se survivra-t-il ?

Édito #12 – Mali : 19 civils tués par la France – Notre indifférence participe du crime

C’est un véritable camouflet pour la France. Depuis près de trois mois, Paris a tenté de minimiser voire d’étouffer une affaire devenue trop encombrante. Un rapport accablant de l’ONU vient pourtant de mettre en cause la responsabilité de l’armée française dans la mort de vingt-deux personnes dont dix-neuf civils, réunis pour un mariage, le 3 janvier, près de Bounti, dans le centre du Mali. A peine ce rapport publié que de nouvelles accusations étaient portées contre l’armée française. Cette fois-ci, ce sont six jeunes chasseurs de Talataye, dans la région frontalière du Niger, qui ont été abattus par une frappe des forces de l’opération Barkhane. Comme dans le cas de Bounti, la France se défend en affirmant avoir ciblé des « djihadistes ».

Dès lors, un mot revient, lancinant: « bavure ». Ces « victimes collatérales » comme il s’agit de les nommer, seraient la conséquence regrettable de la « guerre contre le terrorisme » que la France livre au Sahel. Or, à l’instar des violences policières, les crimes de l’impérialisme français ne sauraient être réduits à de quelconques bavures ou accidents. Ils sont les conséquences même du déchaînement de violences provoqués par les opérations Serval et Barkhane. Loin d’être un cas isolé, le massacre de Bounti illustre au contraire la brutalité systémique qu’engendre les opérations militaires extérieures françaises et occidentales. Souvenons-nous des tueries causées par les frappes de drones états-uniens au Pakistan. Partout les mêmes scènes de carnage et de désolation. Partout une haine et une rancoeur contre les puissances occidentales. Partout ce même terreau propice au terrorisme.

Malgré ces lourdes accusations, il est peu probable que la France change de politique et de stratégie en Afrique. La ministre des armées, Florence Parly, a immédiatement rejeté en bloc les conclusions de l’enquête. Emmanuel Macron avait quant à lui réaffirmé au mois de février l’engagement de la France au Sahel. Les intérêts valent en effet bien quelques « victimes collatérales ».

Car cette « guerre contre le terrorisme » n’est évidemment qu’un prétexte, un écran de fumée visant à occulter les intérêts économiques et géopolitiques de l’État et du capitalisme français. Longtemps considérée comme son pré-carré, la zone sahélo-sahélienne, riche en terres rares et en ressources minières aiguise désormais l’appétit de nombreuses autres puissances mondiales. La Chine, la Turquie, la Russie mais aussi le Canada ou l’Australie convoitent des richesses indispensables à la fabrication des technologies de demain. Le contrôle du lithium, du coltan ou encore des minerais magnétiques sont en proie à une guerre de plus en plus féroce entre les multinationales.

L’exemple de l’or est à ce titre emblématique. Il représente respectivement 54 %, 78 % et 92 % des

exportations du Niger, du Burkina Faso et du Mali, trois pays éminemment stratégiques pour lesquels Paris porte une attention toute particulière.

Et que dire de l’uranium du Niger, dont l’extraction est du ressort quasi monopolistique d’Areva. Il a été a été au coeur de l’intervention française au Mali en 2013, comme l’a rappelé le général Vincent Desportes: « si la France ne s’était pas engagée le 11 janvier ( au Mali ), les risques les plus grands auraient existé ( … ) pour les ressources tout à fait importantes en uranium qui se trouvent au Niger » (1)

Le pillage des richesses, la misère, les massacres comme celui de Bounti, le soutien à des régimes et dirigeants corrompus ont déclenché ces derniers mois des manifestations sans précédent contre la présence française en Afrique. Dernier exemple en date, l’attaque et le pillage de nombreuses enseignes telles que Total ou Auchan, en marge des manifestations contre le président Macky Sall au Sénégal.

En première ligne de ces mobilisations se trouve une jeunesse africaine de plus en plus informée et politisée. Pour elle, pas de doute, les mécanismes néocoloniaux tels que le franc CFA ou les accords de libre-échange maintiennent les économies africaines dans un état de dépendance.

Les combats de cette nouvelle génération africaine ne saurait pour autant nous faire oublier la responsabilité qui est la nôtre, Si nous devons apporter un soutien indéfectible à tout mouvement qui vise à se libérer du joug néocolonial, c’est aussi des entrailles de l’édifice impérialiste que nous devons lutter, dans une perspective résolument internationaliste et décoloniale. Or, le moins que l’on puisse dire c’est que l’opinion est dramatiquement indifférente. On pourrait mettre cela sur le compte de la crise sanitaire qui redéfinit les priorités mais ce serait une fausse excuse. Cette guerre dure depuis bien trop longtemps pour effacer notre responsabilité tant morale que politique. A ce titre, il nous apparait primordial d’appeler chacun d’entre nous à un réveil internationaliste et à rejoindre les rangs du collectif ni guerre, ni état de guerre (http://www.collectifantiguerre.org/) qui a mis l’anti-impérialisme au coeur de son action, sa priorité étant de cibler l’impérialisme français, c’est à dire le nôtre. Il est grand temps de redevenir humain.

(1) Survie, Françafrique, la famille recomposée, Syllepses, 2014

Pépita

La toile est en émoi : cela fait une semaine que l’équipe de l’émission « Canap 95 » de TMC a déterré des séquences de l’émission « Pyramides » alors présentée par Patrice Laffont où Pépita, une animatrice noire, essuyait régulièrement des insultes racistes toutes aussi humiliantes les unes que les autres. Un exemple parmi d’autres : lorsqu’elle montre à la caméra une carte postale de chimpanzé, l’une de ses collègues s’exclame :

“Oh, c’est vous en photo Pépit’ sur la carte postale » et un autre : « C’est à force de manger des bananes, voilà ce que ça fait”.

On reste sidéré devant une telle décontraction mais n’a-t-on pas à cette même époque écouté sans broncher et pendant de longues semaines et de longs mois la chanson « Zoubida » de Vincent Lagaf’ qui tournait en boucle sur toutes les ondes et tous les médias nationaux ? La vérité, c’est que notre réaction collective n’a pas été à la hauteur de l’agression morale. La vérité c’est que pour qu’il y ait réaction collective, il aurait fallu une conscience politique collective qui manquait cruellement à cette époque.

Or aujourd’hui, les choses ont changé et l’affaire « Pépita » est vécue rétrospectivement comme une insupportable insulte raciste.

Mais, coup de théâtre, lorsque la principale intéressée se livre à Cyril Hanouna, sa réaction surprend, elle n’est pas tout à fait celle qu’on attendait. En effet, elle ne cache pas sa colère contre l’émission de TMC et lui reproche de ne pas l’avoir consultée avant. Last but not least, elle défend résolument l’honneur de ses employeurs[1]. Sans mauvais jeu de mots, elle n’hésite pas à les blanchir complètement alors que le caractère négrophobe des saillies crève les yeux.

Il n’en fallait pas plus pour ravir le cœur de Raphaël Enthoven et d’Eugénie Bastié qui ont sauté sur l’occasion pour railler les « antiracistes racistes » qui ne font que s’offusquer et se plaindre alors qu’une véritable « principale concernée » venait de dédouaner les responsables de Pyramides. A Rokhaya Diallo qui réagissait en expliquant que la parole d’une individue ne pouvait pas effacer le caractère systémique du racisme et du sexisme, Tristane Banon a tweeté : « Elle saurait rétablir l’esclavage français au forceps pour mieux se positionner en « résistante » contre lui ». Subtile Tristane, hein ?

Bref, faut-il déduire de cette polémique que Pépita était véritablement consentante ? Et faut-il le lui reprocher ? Ne sommes-nous pas tous « consentants » face à nos employeurs ? Quelle était à ce moment sa marge de manœuvre ? Quelle est la différence entre Pépita qui sourit jaune quand on lui attribue des traits simiesques et mon père qui a dû supporter les propos racistes de ses collègues portugais (à peine mieux traités dans l’échelle raciale) sur son chantier des années durant en rongeant son frein et finalement en acceptant son sort ? Même si tous les racismes ne se vivent pas exactement de la même manière (le racisme anti-arabe ou l’islamophobie ne se confondent pas complètement à la négrophobie qui a ses propres formes d’expression), la relation de subordination est de même nature. On pourrait alors, derrière nos écrans et en djihadistes du clavier, déclarer qu’au nom de son honneur, elle aurait dû démissionner ! Certes ce genre d’héroïsme existe et il aurait été apprécié mais à quel prix ? Qui peut vraiment se le permettre quand on se connaît tous suffisamment pour savoir notre lâcheté (aussi appelée « conscience de ses intérêts immédiats») du quotidien ?

Ainsi et comme souvent, nous nous retrouvons devant les contradictions que nous impose la condition d’indigène et c’est ce qu’il faut comprendre par la réaction ô combien naturelle de Pépita : Fallait-il, en plus du racisme subi, dévoiler au grand jour son humiliation devant des millions de gens qui par leur réaction de pitié ne peuvent que l’écraser davantage ?

C’est là que les journalistes de TMC ont manqué de tact. En dévoilant ces moments de grande humiliation (pour des raisons sans doute honnêtes), ils révèlent du même coup toutes les couleuvres que la jeune femme a dû avaler et d’une certaine manière son « consentement » faisant d’elle et aux yeux des siens une « indigène de maison ». Quoi de plus humiliant ? Ainsi, plutôt que de rendre justice, ils enfoncent le clou. Pépita n’a plus qu’une seule porte de sortie : défendre ses maitres pour sauver la face. Le déni comme échappatoire. La belle affaire !

Finalement, on est encore une fois devant une histoire où des Blancs antiracistes mais indélicats font la morale à des Blancs racistes pendant que les indigènes jouent les seconds rôles. Pire, on voit des Blancs néocons faire la leçons à des indigènes antiracistes. Le pompon !

Je le disais plus haut, l’époque n’est heureusement pas la même. Nos capacités de réagir et notre indignation pèsent plus lourd qu’avant. Pas assez cependant pour que Pépita trouve la force de toiser ses oppresseurs et dire le vrai, soutenue en cela pas ses frères et sœurs de condition qui ne la jugent pas. En attendant, il nous reste les mots de James Baldwin qui arriveront, je l’espère, à la consoler :

« C’est de la montage de la suprématie blanche que les noirs ont à coups de pic détaché la pierre de leur personnalité. J’ai le plus grand respect pour cette humble armée d’hommes et de femmes noirs qui piétinait devant d’innombrables portes de service, disant « oui, Monsieur » et « non, Madame » afin d’acquérir un nouveau toit pour l’école, de nouveaux livres, d’autres lits pour les dortoirs. Cela ne leur plaisait guère de dire « oui », Monsieur » et « non, Madame », mais le pays ne manifestait aucune hâte à éduquer ses Noirs, et ces hommes et ces femmes savaient qu’il fallait que cette besogne-là soit faite et ils mirent leur amour-propre dans leur poche afin de l’accomplir. »

 

Houria Bouteldja

[1] https://www.huffingtonpost.fr/entry/pepita-enragee-face-aux-accusations-de-racisme-dans-pyramides_fr_60661d47c5b67785b7777ffd?fbclid=IwAR27NiFAl1ZDmfjHM3ltVxVk83O6Za91jgLY_c2A_eNsKQ-eSLhqcatPQ2g