Édito #6 : « Trappistan » : les sanglots de Valeurs Actuelles

« Trappistan ». Voilà le délicat sobriquet dont est désormais affublée la ville de Trappes. Ce jeu de mot qui se veut spirituel décrirait la terrible réalité de la ville : un territoire islamisé dans lequel la Sharia ferait loi. Plus qu’un « territoire perdu de la République », il serait maintenant un territoire conquis par les barbus qui imposeraient leurs lois et leurs valeurs à l’ensemble de la population.

Témoin de cette effrayante invasion, Didier Lemaire, professeur de philosophie dans un lycée de la ville, s’est invité sur les plateaux de CNEWS pour partager son témoignage glaçant : à Trappes, le séparatisme n’est plus un projet, il est la réalité du quotidien. Depuis, le « lanceur d’alerte » arpente les plateaux télé et les salles de rédaction pour tirer la sonnette d’alarme. L’islamisme sévit partout : non-mixité, sexisme, censure, pression contre les non-Musulmans… Ces dénonciations lui auraient valu des menaces de mort. Depuis, il est sous protection policière. Du pain béni pour les islamophobes de tout poil, qui ont propulsé Didier Lemaire sur le devant de la scène comme preuve ultime des thèses qu’ils défendent déjà. A l’instar d’un Éric Zemmour qui a profité de l’occasion pour rappeler son rôle de vigie depuis bientôt vingt ans.

Le moins que l’on puisse dire c’est que le témoignage de ce professeur a fait mouche. Trappes est une ville islamique. C’est un professeur de philosophie qui le dit. Circulez, il n’y a rien à voir ! Pourtant, des voix se sont élevées pour contester la version du professeur, au premier rang desquelles celle du premier magistrat de la ville, Ali Rabeh, scandalisé par les amalgames, les accusations à l’emporte-pièce et les outrances, choqué par la stigmatisation des habitants de Trappes. S’il reconnaît qu’il existe dans sa ville des expressions d’un islam rigoriste ou même politique, rien ne vient étayer l’idée folle d’un « Trappistan ». En effet, ni l’exécutif, ni l’administration, ni la police ne sont à ce jour entre les mains d’un pouvoir islamiste. Quant à Didier Lemaire, il n’est pas un simple prof de philo comme il le prétend, il est aussi un militant politique, proche de la gauche laïcarde et islamophobe, collaborateur de Causeur. De plus, un article de Médiapart a révélé le rôle joué par certaines personnalités proches du gouvernement dans la sur-médiatisation et l’instrumentalisation de cette affaire – notamment un conseiller de Marlène Schiappa.

Aujourd’hui, le maire de Trappes est sous protection policière car menacé de mort par l’extrême-droite. Comme il l’a souligné, contrairement à Zemmour ou Finkielkraut, il n’a reçu aucun coup de fil du président de la République, ni le moindre soutien de la part du gouvernement.

Ce n’est pas la première fois que des affabulations s’emparent des esprits à l’échelle du pays avec la complicité active d’un journalisme de meute. Nous nous rappelons tous de l’épisode du bar de Sevran prétendument interdit aux femmes qui a tant fait scandale à l’époque, avant que le Bondy Blog ne rétablisse la vérité. Une vérité trop faiblement relayée pour rendre justice au patron de l’établissement et aux habitants de la ville.

Ces deux phénomènes prouvent que l’intérêt idéologique l’emporte sur les faits. Les faits. Et si les faits étaient les véritables victimes de ce déchainement ? Dans une vidéo que Valeurs Actuelles à mis en ligne, intitulée : « La ville de Trappes, il y a un siècle », le journal d’extrême droite pousse un soupire déchirant de nostalgie : « Au cœur d’une vive polémique, la ville se découvre dans ces images d’archive sous un tout autre jour, celui d’une petite bourgade française tranquille avec ses bêtes, son monument aux morts, son église paroissiale ». Nous pourrions presque partager ce sanglot si en creux il ne prolongeait pas la mystification du passé/présent de Trappes. Faut-il rappeler que ce sont les modernisateurs qui ont écrasé la paysannerie française et pas les travailleurs immigrés ? Faut-il rappeler que ce sont les modernisateurs laïcs qui ont marginalisé et ridiculisé la foi religieuse chez les Chrétiens et pas les Musulmans ? Faut-il rappeler que c’est le jacobinisme français qui a détruit les langues, traditions et cultures de ce pays et pas les « grands-remplaçants » ? Faut-il rappeler que ce sont les grands patrons qui ont fait venir une main-d’œuvre bon marché des colonies pour augmenter leurs taux de profits et pas « l’internationale islamique », que c’est l’exploitation massive de l’immigration post-coloniale qui a permis l’ascension sociale de millions de « vrais » Français appelés à constituer ce qu’on appelle « les classes moyennes », que cette ascension a été rendue possible par le sacrifice de centaines de milliers de travailleurs immigrés et de leurs enfants destinés à occupés les emplois de derniers de cordés si cruciaux en temps de Covid ? Faut-il rappeler que la ghettoïsation (le vrai nom du séparatisme) est une politique planifiée de l’État blanc et bourgeois et que les dizaines d’années de luttes des descendants d’immigrés pour la justice et l’égalité avaient pour but premier de réduire l’espace qui les « séparait » des « vrais » Français ?

Au fond, pourquoi rappeler ce que personne n’ignore : les classes dirigeantes sont séparatistes, la bourgeoisie est séparatiste, l’extrême droite est séparatiste. Que d’esbroufe pour une réalité qui crève les yeux ! Une question demeure cependant : pourquoi ça marche ?

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