Youssef s’la raconte ! #8 – Israël a-t-il voulu attaquer Alger le 10 novembre 1988 ?

Parmi les mythes politiques générés par le conflit entre Israël et les pays arabes l’un d’entre eux à la vie dure : celui de la prétendue invincibilité de l’armée du 1er sur celles des seconds. Une légende véhiculée autant par Israël que par des régimes arabes capitulards soucieux avant tout de justifier leur faible motivation dans ce conflit.

Dans la longue liste des agressions perpétrées par Israël contre des pays arabes hors du champ de bataille classique et qui donnent corps à ce mythe figure l’attaque en 1985 contre Hammam Chott près de Tunis, qui accueillait alors le siège du quartier général de l’OLP. Là se trouvaient réunies en grand nombre les forces palestiniennes après leur départ de Beyrouth en 1982. Le bilan de l’attaque menée par un escadron d’avions ultra-modernes de fabrication étasunienne, on s’en souvient, fut très lourd puisque 50 combattants palestiniens furent tués parmi lesquels des responsables militaires importants, ainsi que 18 civils tunisiens. Une attaque menée par l’aviation israélienne à plus de 3000 km de ses bases que nombre de pays occidentaux, au-delà d’une fausse indignation, saluèrent mezza voce comme une performance technologique, occultant le fait que dans cette opération, l’armée israélienne avait alors pu bénéficier de toute la logistique étasunienne. 10 avions d’attaque F15 ; le soutien d’un avion-radar étasunien surtout. Sans parler des deux Boeings 707 ravitailleurs déguisés en avions de ligne. Ainsi que de la complaisance de tous les staffs aéronautiques des pays côtoyés sur leur trajet.

Rappelons-le, cette attaque surprise se voulait une réplique à l’attentat perpétré par un commando palestinien contre les passagers d’un voilier de gentils touristes israéliens dans le port de Larnaca à Chypre, gentils touristes qui en fait seront reconnus par la suite comme étant trois agents du Mossad dont la célèbre Sylvia Raphaël, chef d’un commando du Mossad ayant à son actif l’assassinat de plusieurs responsables de l’OLP en Europe.

En bref, l’attaque du 1er octobre 1985 contre Tunis a davantage donné corps à la légende d’une aviation israélienne frappant quand et où elle voulait.

C’est dans ce contexte que les Palestiniens décident, en 1988, d’organiser leur CNP à Alger, d’une part parce que le gouvernement tunisien, juste après la prise du pouvoir par Ben Ali, est peu enclin à l’accueillir, mais aussi car désormais, Tunis s’avère une cible facile pour l’aviation israélienne. Compte tenu du précédent tunisien, l’Algérie du président Chadli offre l’asile à l’OLP, mais entend déployer tout un dispositif de sécurité terrestre, maritime, mais surtout aérien pour dissuader une éventuelle attaque. Évidemment, devant les préparatifs d’organisation du CNP, Israël se garde bien d’émettre la moindre menace qui pourrait alerter ses ennemis. Mais les spécialistes algériens et palestiniens en sont certains, Israël ne peut louper une si belle occasion de se débarrasser de toute la direction de l’OLP réunie. La question est : quand ? Dans l’incertitude, les mesures les plus sérieuses sont prises. Tout d’abord le campement de la force 17 palestinienne de Tebessa, près de la frontière tunisienne, va être transféré à El Bayadh dans le Sud-ouest algérien. Ensuite, toute une série de précautions militaires est prise cinq jours avant la date de début des travaux du CNP visant à la création d’un État palestinien en exil. En fait, le déploiement de forces algérien sera plus important encore que lors du conflit avec le Maroc.

Ce sera d’abord l’ensemble des radars et systèmes anti-aériens algériens, c’est-à-dire des stations de missiles anti aériens qui seront mis en alerte. Ensuite toutes les bases aériennes de la côte algérienne d’Annaba, à l’extrême Est du pays, jusqu’à Oran à l’Ouest seront mis en alerte. Pour éviter toute attaque surprise, deux avions Mig 21 dits intercepteurs seront maintenus par roulement en permanence en l’air. Non seulement les militaires algériens installent des batteries de missiles anti-aériens de courte portée depuis Annaba jusqu’au palais des nations à Alger où doit se tenir le congrès, mais ils reçoivent l’ordre d’établir une zone d’interdiction aérienne de 20 kilomètres de rayon autour de la capitale et une zone de contrôle de 200 kilomètres. Cela signifie que plus aucun aéronef, ni civil ni militaire, ne peut se déplacer en direction d’Alger dans cette zone d’interdiction sans autorisation express du commandement de l’armée de l’air.

Ensuite, immédiatement près du Palais des nations, en dernier recours au cas où les attaquants auraient réussi à déjouer les avons en l’air et les radars, des rampes de missiles terre/air montés sur blindés sont disposées. Tout ce matériel étant le dernier cri des industries soviétiques. Mais le top du matériel aérien soviétique est entre les mains de l’armée algérienne les Migs 23 et surtout les Mig 25, un des meilleurs si ce n’est le meilleur avion de sa génération pouvant facilement faire face aux avions F15 étasuniens. Du coup, à l’ouverture du CNP, une dizaine d’avions haut de gamme seront en permanence en l’air. Ce n’est pas tout. Pour parer à toute éventualité, la marine algérienne va déployer plusieurs corvettes lance-missiles entre Alger et Annaba ainsi que ses quatre sous-marins d’attaque.

C’est ainsi que le 10 novembre 1988, à l’ouverture du CNP, l’état de tension est à son comble. Tout le monde en est archi sûr, l’affront que constitue le CNP est intolérable à Israël. « Ils vont attaquer » est sur toutes les lèvres. Et effectivement, ce même jour, les stations de radars avancées du côté d’Annaba captent un écho radar important d’une formation serrée d’avions de chasse provenant de l’est de la Méditerranée. Aussitôt, ce sont 2 Mig 21, deux Mig 23, deux Mig 25 qui sont envoyés à la rencontre éventuelle de la formation ennemie au-dessus de la scène possible de l’attaque (le Mig 25 est aussi le chasseur capable de monter le plus haut et le plus loin sans ravitaillement). Ils viennent renforcer les 2 Mig 21 déjà en l’air. De plus, un navire-radar soviétique amarré dans le port d’Alger au vu et au su de toutes les ambassades coopère à la détection éventuelle des chasseurs ennemis. En fait, ce sont deux groupes d’avions arrivant de l’Est qui ont été détectés. Ce que l’on sait, c’est que la formation d’avions « inconnue » a pris la direction de la Sardaigne, a ensuite obliqué en direction du Sud donc possiblement vers Alger, mais, au bout d’un moment, a repris la direction de l’Est. De plus les vérifications réalisées ont montré « qu’à l’époque et à l’endroit, aucune activité commerciale ou militaire n’était prévue ou annoncée ». Un pilote de Boeing commercial a clairement vu les avions militaires inconnus et a aussitôt demandé des précisions aux tours de contrôle qui lui ont signifié qu’aucune manœuvre aérienne n’avait été annoncée, comme c’est le cas dans ce genre de situation.

Pendant ce temps au sol, au Palais des Nations, pour parer à toute éventualité on est prêt à évacuer vers des abris l’ensemble des congressistes palestiniens.

Pour tous les analystes et notamment un spécialiste étasunien, Tom Cooper, nous dit Middle East Eye, il est clair qu’ils sont venus et, devant l’impressionnant dispositif de défense notable à l’activité électronique au-dessus d’Alger, se sachant attendus, ils ont renoncé. Certes ils auraient pu tout de même mener l’attaque, mais avec un risque très élevé de pertes et même d’échec puisque le facteur-surprise n’était plus en leur faveur.

 Cet épisode militaire est clair, l’invincibilité israélienne est devenue une mauvaise légende. Tout montre que face à une armée déterminée et préparée, l’armée israélienne non seulement recule, mais peut même subir des défaites significatives comme le montrera l’invasion israélienne du Liban en 2006, avec cette défaite cuisante d’Israël face à la milice de Hezbollah.

Évidemment, tout cela rend encore plus inacceptables les reconnaissances et collaborations ouvertes et totales désormais entre Israël et des régimes arabes stipendiés, ce qui, au-delà de l’aspect trahison de la cause palestinienne, pose aussi de graves problèmes de sécurité nationale pour les pays non collaborateurs.

 

Sources

Article de MEE

The war is boring

Maghreb Intelligence

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